Deux membres du collège de l'Arcep, qui en compte sept, m'accompagnent : Mme François Benhamou et M. Pierre-Jean Benghozi. L'Arcep aura toujours plaisir à venir devant vous : le contrôle parlementaire est, à mon sens, la contrepartie de notre indépendance.
Comment mieux exercer les missions qui nous sont confiées par la loi et la réglementation européenne ? Comment être un meilleur régulateur en 2016 ? Quand l'Arcep a été créée, en 1997, les communications électroniques se caractérisaient par leur rareté, leur coût et une situation de monopole. Le téléphone mobile n'existait pas ; Internet faisait son apparition, il était réservé à une petite élite. Aujourd'hui, c'est l'abondance - grâce à la concurrence. Qui pouvait imaginer l'illimité il y a quelques années ? Cette société hyper connectée nous expose à de nouvelles dépendances. On demande toujours plus de débit, la connectivité dans les territoires exclus, la neutralité d'Internet pour empêcher la constitution de péages sur les autoroutes de l'information, et la fiabilité des réseaux, dont on a vu l'importance avec les récentes attaques.
L'enjeu de la revue est de pivoter en restant sur nos fondamentaux, comme on dit dans les start up ; autrement dit, de chercher l'utile en conservant notre ADN. Premier pilier de la revue, les infrastructures. La concurrence favorise-t-elle trop le consommateur au détriment de l'investissement ? Nous ne le croyons pas et plaidons pour une concurrence bénéfique aux deux. Nous essayons de rendre le marché efficace pour les quatre opérateurs mobile, qui doivent pouvoir partager les coûts et les fréquences pour aller vers le très haut débit. Le projet de concentration actuel, s'il est notifié en France, fera l'objet d'une procédure à double guichet : l'Autorité de la concurrence, auprès de laquelle nous jouerons un rôle d'expert, donnera ou non son autorisation ; après quoi, nous veillerons à éviter toute thésaurisation du spectre par les opérateurs - au besoin, des fréquences seront rendues à l'État pour qu'il les redistribue. La plus grande vigilance s'impose : un gros se marierait avec un moyen quand, depuis 19 ans, c'étaient plutôt des petits qui s'unissaient pour donner un moyen. L'Arcep sera attentive au marché des entreprises, où existe un quasi duopole, alors que la numérisation des petites et moyennes entreprises (PME) est un élément clé de notre compétitivité ; à la question des zones rurales, à travers le fonctionnement du marché des RIP, où la concurrence demeure limitée, côté offre comme côté demande ; et aux marchés de gros sur lesquels interviennent les MVNO, c'est-à-dire les opérateurs de réseau mobile virtuels.
Deuxième pilier, la couverture les territoires. Nos outils juridiques sont limités mais nous les mobiliserons tous, en accompagnement de l'État et des collectivités territoriales, pour atteindre les objectifs. Le plan France très haut débit suscite beaucoup de questions et de frustrations. N'oublions pas qu'il est de long terme ; il mérite un consensus républicain au-delà des alternances politiques, comme cela a été le cas en 2012.
Attention à tout virage à 180° ! Notre pays a la particularité d'être condamné à tirer massivement de la fibre optique, faute de pouvoir utiliser les réseaux existants. Cela ne se fera pas d'un coup de baguette magique. Déstabiliser un dispositif patiemment élaboré reposant sur l'intervention complémentaire des opérateurs et des collectivités serait contreproductif. À l'Arcep de veiller à la bonne articulation entre les acteurs, notamment au sein de son groupe d'échange avec les collectivités, le Graco. Notre première ébauche sur la tarification des RIP a été jugée un peu conservatrice. Chiche ! Nous l'avons reprise.
Pour le téléphone mobile, nous sommes plutôt dans une phase de rattrapage. La connectivité est un besoin, ce n'est plus un confort. Nous jouons un rôle de serre-file du plan de couverture des centres-bourgs en 2G et en 3G en nous assurant de la mise à jour des cartes.
Troisième pilier, l'Arcep sera le gardien effectif et efficace de la neutralité d'Internet, posée dans un règlement européen. Le projet de loi pour la République numérique nous donne plus de moyens, avec des visites et des saisies chez les opérateurs, pour discipliner ces derniers.
Enfin, il nous faut adopter un angle pro-innovation. C'est une nouveauté dans l'histoire de l'Arcep. Jusqu'à présent, les innovations comme la 2G, la 3G, la 4G ou le très haut débit, étaient venues des opérateurs. De nouveaux modèles vont s'affronter, on le voit bien avec l'Internet des objets. De « nouveaux barbares », si vous me passez l'expression, doivent pouvoir entrer sur les marchés. Nous encourageons également le développement des territoires intelligents, auxquels nous avons consacré un colloque.
Pour moderniser notre action, nous affirmons trois nouveaux modes de régulation. D'abord, nous jouons un rôle d'expert, et plus seulement d'arbitre. Le Gouvernement nous a saisis à plusieurs reprises ; dernièrement, la ministre, Mme Axelle Lemaire, l'a fait sur la migration massive de notre pays vers l'Internet Protocol version 6 (IPv6). Le Parlement le peut également, la loi Macron prévoit d'ailleurs que nous lui présenterons chaque année un rapport sur l'investissement mobile. Ensuite, nous développerons la co-construction, notamment avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) ou l'Autorité de la concurrence. Enfin, nous développerons la régulation par la data, une forme de soft power. Publier massivement de l'information sur les réseaux orientera le comportement des opérateurs.
Le projet de loi numérique aborde la question complexe et grave de la régulation de plateformes. Il s'agit de rien moins que la manière dont notre pays peut se numériser sans tomber dans les filets de quelques acteurs qui transféreraient la valeur ajoutée hors de nos frontières. La régulation de ce qu'on appelle l'« ubérisation » de l'économie ne peut avoir qu'un horizon : il est européen. La France s'isolerait si elle se lançait seule dans cette entreprise. La notion de loyauté des plateformes, que l'Assemblée nationale a retenue, serait un remède pire que le mal : nous créerions un handicap concurrentiel pour nos plateformes comme Allociné.fr, Leguide.com, Linternaute.com ou Heetch... Or il ne faut pas seulement réguler, il faut être à la pointe ! Le Conseil national du numérique (CNNum) a proposé, plutôt qu'une régulation en dur, un système de notation pour inciter les acteurs à adopter des comportements vertueux.