Intervention de Michel Mercier

Réunion du 2 février 2016 à 14h30
Lutte antiterroriste — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Philippe Bas vient d’exposer les raisons pour lesquelles nous avons pris l’initiative de déposer cette proposition de loi.

Cela peut s’expliquer par une raison simple : poursuivre des auteurs d’attentats terroristes nécessite de disposer d’un ensemble de règles destinées aussi bien aux services administratifs et aux préfets qu’aux magistrats de l’ordre judiciaire. Nous avons besoin d’un droit dérogatoire – il l’est d’ailleurs déjà largement ! – pour enquêter efficacement sur les actes de terrorisme, ainsi que pour poursuivre et faire condamner leurs auteurs.

Nous vivons aujourd’hui un état d’urgence et, si M. le ministre de l’intérieur nous a correctement renseignés ce matin, le Gouvernement devrait adopter demain, en conseil des ministres, un projet de loi tendant à le proroger de trois mois. Pourtant, il faudra bien sortir un jour de cet état d’urgence, car il ne peut pas constituer l’état normal de la lutte contre le terrorisme dans notre République !

Si l’on veut sortir de l’état d’urgence, il faut préparer un corpus de règles de droit commun qui soient efficaces. C’est l’un des objectifs visés par M. Bas et les auteurs de cette proposition de loi. Si l’on ne veut pas que le terrorisme l’emporte, il faut à tout prix que la République puisse disposer des règles de droit commun pour l’anéantir. Nous ne pourrons vaincre le terrorisme que grâce à notre droit, à nos règles et à notre démocratie.

Comme l’a très opportunément rappelé M. le président de la commission des lois, le texte vise à attribuer aux magistrats de l’ordre judiciaire et à l’autorité judiciaire les moyens de conduire plus efficacement les enquêtes, grâce notamment à la création de nouvelles incriminations, ainsi qu’à créer un régime d’exécution des peines pour les personnes condamnées pour actes de terrorisme qui diffère de celui qui est applicable aux autres condamnés.

Monsieur le garde des sceaux, je voudrais insister sur le fait que nous avons abordé la question de l’efficacité des enquêtes du parquet et de l’instruction sans a priori. Nous avons rencontré, écouté et auditionné beaucoup de praticiens : les membres du parquet antiterroriste de Paris, les juges d’instruction du pôle antiterroriste de Paris, des magistrats de la chambre correctionnelle qui sont amenés à siéger en matière de terrorisme, ou encore des policiers, notamment de la police judiciaire. Les mesures que nous proposons dans le texte résultent en quelque sorte des suggestions qu’ils nous ont faites pour renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste.

À l’article 1er, nous nous sommes demandé si nous ne devions pas augmenter la durée de l’enquête de flagrance. C’est ce que nous pensions proposer initialement, avant que les magistrats auditionnés nous fassent remarquer qu’il existait une solution plus efficace.

Aujourd’hui, toutes les mesures prises dans le cadre de l’enquête sont interrompues dès que l’enquête de flagrance ou l’enquête préliminaire sont terminées, quand le juge d’instruction est saisi. On met par exemple un terme à toutes les écoutes qui ont été autorisées pendant une enquête. Si le juge d’instruction souhaite les renouveler, il doit alors s’approprier les mesures décidées au moment de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire. Cette interruption entre l’enquête et l’instruction en matière terroriste nous semble extrêmement préjudiciable.

C’est la raison pour laquelle nous proposons une mesure toute simple et pragmatique à l’article 1er : lorsque le procureur de la République saisit le juge d’instruction, un certain nombre de dispositions techniques et pratiques qui ont été prises pourraient continuer à vivre leur vie pendant quarante-huit heures, jusqu’au moment où le juge d’instruction serait en mesure d’en décider la prolongation ou non.

L’article 2 tend, de la même façon, à autoriser les perquisitions de nuit dans les domiciles lors de l’enquête préliminaire en matière terroriste, ce qui est le moins que l’on puisse faire.

Avec le dispositif de l’article 3, nous proposons de créer un régime autonome pour la saisie de données de messagerie électronique dans le cadre de l’enquête et de l’instruction, indépendamment de la perquisition. Je rappelle en effet que le régime de la perquisition exige la présence de l’intéressé et son accord pour qu’il soit procédé aux prélèvements nécessaires.

L’article 5 vise à permettre au procureur et aux juges d’instruction d’avoir recours à l’IMSI catcher, dispositif dont disposent déjà les services de renseignement.

À l’article 6, nous proposons enfin d’autoriser le parquet et les juges d’instruction à mettre en œuvre la technique de sonorisation et de fixation d’image dans des lieux privés.

Voilà quelques-uns des nouveaux outils qui nous semblent nécessaires pour rendre l’enquête en matière terroriste plus efficace.

Par ailleurs, nous proposons la création de trois nouvelles incriminations, mais nous nous sommes surtout interrogés sur les mesures à prendre lorsque les terroristes ont fini d’exécuter leur peine.

Au moment où nous rédigions le texte, nous pensions qu’il était nécessaire de mettre en place des mesures de sûreté pour les condamnés pour terrorisme à l’issue de leur peine. Cependant, après avoir travaillé sur le sujet et écouté les différents intervenants auditionnés – je le répète, nous n’avions aucun a priori en la matière –, nous avons préféré instituer une perpétuité réelle pour les personnes condamnées pour actes de terrorisme, c’est-à-dire les punir d’une peine de prison incompressible de trente ans, et permettre au juge de prononcer un suivi socio-judiciaire à la sortie de prison de ces personnes, le cas échéant.

La commission des lois nous a suivis en adoptant ces deux mesures qui permettront de suivre en permanence les condamnés terroristes qui auront exécuté leur peine. De telles dispositions constituent des outils qui appartiennent à notre droit commun, mais qui ont été adaptés à la situation que nous connaissons aujourd’hui en matière de lutte contre le terrorisme.

Voilà l’essentiel des mesures que nous proposons pour aggraver les incriminations à l’encontre des personnes condamnées pour terrorisme.

En outre, nous prévoyons d’instaurer un régime d’application des peines plus strict, qui permettra notamment au tribunal d’application des peines de s’opposer à une libération conditionnelle qui pourrait causer un trouble grave à l’ordre public.

Si le droit pénal et la procédure pénale applicables aux terroristes doivent respecter les grands principes de notre droit et notre État de droit, ils doivent aussi tenir compte de la situation particulière à laquelle nous devons faire face, à savoir une lutte sans merci contre le terrorisme.

Mes chers collègues, la présente proposition de loi renforcera le rôle du juge judiciaire. En raison des événements récents, on a bien compris – nous n’y sommes pas opposés – que les services administratifs avaient pour fonction de prévenir les actes terroristes et qu’il fallait par conséquent leur donner les moyens nécessaires pour prévenir, par des mesures de police administrative, la commission de tel ou tel attentat.

Dans ce cadre-là, ces services sont soumis au contrôle du juge administratif qui est d’ailleurs aussi – et peut-être en premier lieu – le juge des libertés publiques : il l’a démontré par sa jurisprudence tout au long de notre histoire et cela ne nous pose donc aucun problème.

Mais nous savons aussi que le juge judiciaire est symboliquement, dans notre vécu juridique républicain, le gardien de la liberté individuelle. Bien que le Conseil constitutionnel ait interprété l’article 66 de la Constitution de manière stricte et que nous soyons soumis à cette interprétation, le juge judiciaire doit, lui aussi, être un acteur de la lutte contre le terrorisme.

C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à lui donner les moyens techniques, les moyens d’enquête et de répression qui font de lui à la fois un acteur comme les autres de la lutte antiterroriste, tout en restant aussi le gardien des libertés individuelles.

Dans la République, la lutte contre le terrorisme ne doit pas nous conduire à renoncer à nos principes et à ce qui constitue le fondement de notre vivre-ensemble ! C’est précisément cet esprit que les auteurs de la proposition de loi ont voulu conserver.

C’est aussi la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission des lois a soutenu, après y avoir intégré quelques amendements, le texte qui vous est soumis et qu’elle vous demande d’adopter !

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