Je n’y vois pas un hasard, mais plutôt un symbole, et une invitation !
Un symbole, parce que la lutte contre le terrorisme, la défense des libertés, l’efficacité de notre dispositif pénal, notre capacité d’anticipation et de prévention, ne sont pas des questions partisanes, mais des questions d’unité nationale. Or, pour moi, l’unité nationale ne constitue rien d’autre qu’une exigence !
Mais c’est un véritable plaisir, doublé d’un grand honneur, que de m’exprimer pour la première fois au Sénat en tant que garde des sceaux. En effet, si j’ai souvent fréquenté ces murs dans le cadre de diverses commissions mixtes paritaires, pour y retrouver notamment MM. Philippe Bas ou Jean-Pierre Sueur, je n’avais jamais eu le privilège jusqu’ici de m’adresser à vous depuis cette tribune.
Je vois ensuite dans cette première une forme d’invitation : une invitation au dialogue, à la recherche, sinon du consensus, au moins du compromis. En tout état de cause, c’est une invitation permanente à la disponibilité, à l’ouverture, à la capacité d’élaborer ensemble des mesures auxquelles chacun d’entre nous aura longuement réfléchi après en avoir mesuré l’efficacité et évalué l’utilité.
Je salue donc naturellement tous ceux que j’ai déjà croisés dans mes nouvelles fonctions et me fais déjà un plaisir de rencontrer tous ceux que je ne connais pas encore.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite de la lutte antiterroriste. Ici, tous autant que nous sommes, nous connaissons, hélas, assez bien le sujet. Oui, hélas, nos assemblées, le Sénat en particulier, réfléchissent depuis longtemps aux modalités de cette lutte, s’attachent à renforcer les dispositifs en vigueur, et cherchent en permanence à les adapter aux situations nouvelles et à les perfectionner.
Depuis 2012, le gouvernement actuel, comme son prédécesseur, a proposé de nombreuses mesures dans ce domaine. Ces mesures, mesdames, messieurs les sénateurs, vous en avez souvent discuté, vous les avez adoptées et avez parfois souhaité les améliorer.
Il est assez logique que nous soyons perpétuellement en train d’adapter notre droit, et cela ne date pas de la présente législature. Que ce soit durant la dernière législature, celle qui l’a précédée, etc., les gouvernements n’ont eu de cesse de rechercher cette adaptation, car le droit évolue toujours moins vite que l’imagination de ceux que nous combattons. Voilà pourquoi il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier.
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, en 2012, discuté de mesures présentées par Jean-Marc Ayrault. En avril 2014, Bernard Cazeneuve a proposé un plan de lutte contre la menace liée, notamment, au conflit syrien. Puis, la loi du 13 novembre 2014 est venue ajuster notre arsenal.
Enfin, je citerai la loi relative au renseignement : préparée dès juillet 2014, elle revêt un sens particulier à mes yeux. Elle n’avait pas comme vocation première la lutte contre le terrorisme, même si cette lutte constituait bien l’un de ses objets, et visait plutôt à encadrer, légaliser des pratiques trop souvent obscures, à « mettre de l’État de droit », en quelque sorte, dans ces pratiques. Pour autant, elle a également permis une amélioration du dispositif.
À ces textes, sont venus s’ajouter des efforts budgétaires, que je veux rappeler ici.
En janvier 2015, le Gouvernement a annoncé un plan de recrutement de 2 680 emplois sur trois années – dont 950 emplois au sein du ministère que j’ai, aujourd’hui, le privilège de représenter, d’animer et de diriger –, 1 400 emplois au sein du ministère de l’intérieur, 250 emplois au sein du ministère de la défense, 80 emplois au sein du ministère des finances.
En outre, des moyens de fonctionnement ont été octroyés à hauteur de 425 millions d’euros, dont 181 millions d’euros pour le ministère de la justice et 233 millions d’euros pour le ministère de l’intérieur.
Récemment, lors de cette séance du Congrès à laquelle nous avons tous participé, le Président de la République, François Hollande, a annoncé la création de nouveaux emplois : 2 500 dans les services de justice, 5 000 dans la police et dans la gendarmerie, 1 000 dans les services des douanes.
Et c’est sans compter les décisions prises pour suspendre les suppressions de postes qui étaient envisagées au sein de nos armées – 9 218 postes devaient être supprimés.
Les chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs, parlent d’eux-mêmes : ils témoignent de la détermination du Gouvernement et illustrent une volonté de protection. Il s’agit là d’objectifs partagés sur toutes les travées de cette assemblée. Tous ici, nous manifestons la même volonté de rassemblement contre cette menace protéiforme, éperdument folle et déterminée.
Évidemment, certaines frustrations peuvent être ressenties, les décisions de créations d’emplois que je viens d’évoquer ne trouvant pas forcément une concrétisation immédiate – il existe toujours un laps de temps entre le dire et le faire. On pourrait déplorer ce temps nécessaire au recrutement et à la formation, mais l’universitaire que je suis ne peut s’empêcher d’observer qu’au regard de la complexité de la menace, ce n’est pas prendre du retard que de former.
Surtout, je me réjouis que ces créations de postes massives viennent soutenir ceux des fonctionnaires du service public qui sont déjà engagés dans la lutte contre le terrorisme : les magistrats, évidemment, mais aussi l’ensemble des personnels des juridictions, les policiers, les gendarmes, les douaniers, je l’ai dit, et les fonctionnaires du ministère de l’économie et des finances.
Vous avez, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, évoqué la dernière décision prise par le Président de la République et approuvée par votre assemblée : l’instauration de l’état d’urgence.
En parallèle, de nouveaux ajustements du dispositif de prévention et de répression du terrorisme ont été annoncés et font l’objet d’un projet de loi que j’aurai l’honneur – ce sera ma première intervention dans ce cadre – de présenter, demain, au conseil des ministres. Je veux espérer, et à la lecture de vos débats en commission des lois, je ne doute pas d’une issue favorable, que ses orientations susciteront votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs. Toutes ces mesures, au moins l’essentiel d’entre elles, sont animées du même esprit que celui que l’on retrouve, cher Philippe Bas, dans votre proposition de loi.
La discussion de ce jour est donc, pour moi, l’occasion de saluer l’ampleur du travail accompli par le Sénat dans la lutte contre le terrorisme. Je ne le découvre évidemment pas ! Comme je l’ai déjà expliqué, j’ai eu l’occasion d’être rapporteur de la loi relative au renseignement et de travailler au quotidien, depuis maintenant plusieurs mois – deux ans –, avec Philippe Bas. Je ne veux pas parler en son nom ni le placer dans une situation désagréable, mais il me semble qu’ensemble, nous avons utilement œuvré au service de l’intérêt général. C’est une collaboration que je juge exemplaire, animée par la même préoccupation, celle du juste compromis au service d’un unique objectif, l’intérêt général.
Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en appelle maintenant à nos relations futures. Je les souhaite empreintes des mêmes intentions ! Le ministre que fut Michel Mercier le sait mieux que moi : la justice est un bien commun, mais aussi, avant tout, une œuvre commune. Je souhaite donc que nous puissions construire un compromis à toutes les étapes de notre dialogue.
Bien sûr, y compris s’agissant du présent texte, nos approches divergeront parfois, mais je suis convaincu que, sur ces sujets, il existe bien plus d’éléments qui nous rapprochent que d’aspérités qui nous séparent.
À ce titre, je veux saluer Jean-Pierre Sueur, avec qui j’ai également beaucoup travaillé sur ces questions et continue de le faire. Je sais l’intention qui l’anime, le travail qu’il a fourni, l’imagination dont il sait faire preuve, la détermination dont il ne se départit jamais… §Je sais aussi que la voix qu’il porte dans cette assemblée servira les intérêts défendus par le Gouvernement, c’est-à-dire la protection du pays et de ses habitants.
Je veux donc vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, ma disponibilité pour un travail bâti sur le respect mutuel et sur la compréhension. Vous trouverez toujours chez moi une oreille attentive pour ce qui peut nous faire progresser vers plus d’efficacité, de justice et de libertés.
Le pays traverse une épreuve, nous en sommes tous convaincus, et deux demandes sont formulées : fermeté dans la réponse pénale et solidité dans nos institutions. Ensemble, nous allons nous efforcer d’y répondre.
Évidemment, la considération dont je vous fais part ici ne relève pas de la captatio benevolentiae et ne me détournera pas de certaines convictions et orientations politiques. Aussi, par souci de clarté, je voudrais vous signaler les points sur lesquels, s’agissant de cette proposition de loi, nous divergeons.
Il en est ainsi de votre volonté d’exclure de la contrainte pénale toutes les infractions terroristes. Je connais votre cohérence, sur un thème sur lequel vous avez manifesté une opposition sans faille, mais vous connaissez aussi la détermination du Gouvernement et la cohérence qui le caractérise dans ce domaine. En l’espèce, il semble que le parquet de Paris ait déjà manifesté son intérêt pour la conservation de cet instrument dont il mesure les potentialités, y compris dans le traitement des cas terroristes. Je serai donc conduit à défendre un amendement de suppression de cette proposition.
Dans le même esprit, la question de l’allongement de la détention provisoire des mineurs soulève des points de principe, que je ne souhaite pas aborder ainsi, de manière parcellaire et par le biais du terrorisme, …