Le Président de la République a proposé mon nom pour prendre la présidence du collège de la HAS ; c'est un honneur qui m'est fait. La HAS est à la fois un organisme scientifique et une autorité publique indépendante qui a de nombreuses missions. Je suis médecin, professeur des universités en hématologie clinique. Pendant vingt ans, j'ai été responsable de l'unité de soins intensifs et de greffe de moelle à l'hôpital Necker-Enfants malades. J'ai quitté ces fonctions en 2011 - je n'ai gardé qu'une consultation à l'hôpital Saint-Antoine - pour prendre la présidence non exécutive de l'IRSN en 2008 puis, en 2011, de l'INCa, présidence exécutive et temps plein.
Pendant tout mon parcours professionnel, ayant fait une thèse en immunologie, j'ai eu une activité de recherche fondamentale et, pendant quelques années, j'ai été responsable d'une équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). J'ai donc eu à la fois une activité clinique et une activité de recherche. Mon activité clinique était humainement lourde : j'ai souvent été confrontée à des pertes de chances liées à des problèmes organisationnels, d'équipes, de bonnes pratiques, ce qui a probablement orienté mon parcours pendant toutes ces années. Beaucoup des jeunes patients étaient atteints de maladies graves, certains mouraient : j'ai toujours considéré que l'activité clinique ne pouvait pas être coupée d'une activité de recherche fondamentale afin de faire progresser les connaissances sur ces maladies. Enfin, mon unité étant la plus coûteuse à l'hôpital Necker, j'ai été sensibilisée au coût des prises en charge et à l'efficience de nos pratiques.
Sur le plan administratif, mon expérience a débuté en 2008 avec la présidence d'un Epic, l'IRSN. J'y ai appris la gestion d'un établissement public, mais aussi la gestion du risque, nucléaire et de santé, puisque cet organisme s'occupe de la sûreté nucléaire dans le domaine industriel et médical. Sa culture de retour d'expérience et d'interprétation des signaux faibles m'a confortée dans l'idée que le monde la santé devait se préoccuper de la gestion des risques.
J'ai eu ensuite la chance d'être proposée pour la présidence de l'INCa, qui était plus dans mon champ de compétence. J'ai mis toute mon énergie pour élaborer le plan cancer et pour faire aboutir un certain nombre de mesures en faveur des patients et de la santé publique. À cette occasion, j'ai également appris le management. De cette expérience, j'ai conclu que les professionnels de la santé devaient être les premiers à se préoccuper des bonnes pratiques, de l'efficience dans le champ de la santé et de la gestion des risques. Ce parcours devrait me permettre de présider le collège de la HAS dont nombre de missions rejoignent mon expérience médicale et administrative.
Ma candidature est liée au départ du professeur Jean-Luc Harousseau, un an avant la fin de son mandat. Je souhaite pouvoir achever son mandat et, si l'occasion m'en est donnée, revenir devant vous en janvier 2017 pour solliciter un mandat plein de six ans. Je précise d'emblée que je reprends à mon compte la pratique de mes deux prédécesseurs, Laurent Degos et Jean-Luc Harousseau, de ne faire qu'un seul mandat, au-delà de cette période transitoire de l'année 2016, comme cela est préconisé dans le rapport du sénateur Gélard pour les autorités publiques indépendantes. Ce principe de mandat unique pourrait être inscrit dans l'ordonnance prévue à l'article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé.
La gouvernance de la HAS souffre d'un défaut de parité. Son collège de huit membres n'a jamais compté plus d'une femme ; actuellement il n'en comprend aucune. Il est urgent de progresser, ce qui implique de modifier l'ordonnance que je viens d'évoquer. Le problème touche aussi les commissions réglementées au sein de la HAS.
Un mot sur le positionnement de la HAS face à la recomposition du paysage des agences sanitaires. Lors de mon audition, les députés m'ont demandé mon avis sur un éventuel rattachement de l'INCa à la HAS. Les missions des deux institutions sont différentes : l'INCa a une vision intégrée de l'ensemble du champ, y compris sur la recherche fondamentale, ce qui n'est pas le cas de la HAS. Ce rapprochement ne me semble donc pas opportun. En revanche, nous devons prendre en compte la demande récurrente des parlementaires de simplifier le paysage des agences sanitaires : la feuille de route de la HAS en matière de mutualisation et d'efficience comporte à ce jour deux sujets immédiats. Le premier concerne l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) - instance de certification et de recommandation du champ social et médico-social. Les deux institutions partagent déjà l'agence comptable et, dès ce mois-ci, elles partageront des fonctions de support. Il faudra probablement modifier des dispositions législatives dans le code de l'action sociale et des familles. Le deuxième sujet concerne l'annonce faite, le 12 janvier, par Mme Touraine, concernant le Comité technique de la vaccination (CTV), actuellement rattaché au Haut Conseil de la santé publique. Suite au rapport de Mme Sandrine Hurel, Mme la ministre souhaite rattacher le CTV à la HAS. Ce rapprochement est logique : la HAS devra veiller à ce que les avis soient rendus avec une totale rigueur scientifique et une totale indépendance des experts.
Si vous acceptez ma candidature, ma nomination interviendra presque simultanément avec la promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé. La loi reconnaît à la HAS quinze missions nouvelles, d'inégales importances. Depuis sa création, outre les lois sanitaires, toutes les lois de financement de la sécurité sociale ont chaque année ajouté une voire plusieurs missions à l'institution. Comme mon prédécesseur l'a dit à M. Mézard, un budget socle est souhaitable pour la HAS. Comme tous les autres acteurs, la HAS doit participer à l'effort de redressement des comptes publics et je ne remets pas en cause le prélèvement sur le fonds de roulement. Il arrivera néanmoins un moment où ce fonds aura atteint son plancher et où la HAS aura besoin de visibilité sur un budget socle pour assurer la totalité des missions qui lui sont confiées, notamment par la nouvelle loi.
Les missions et les enjeux auxquels la HAS sera confrontée durant les six prochaines années peuvent être classés en trois grandes familles : tout d'abord l'évaluation des produits et des technologies de santé, le health technology assessment. La HAS évalue ainsi chaque année près de 800 médicaments, près de 150 dispositifs médicaux et près de 50 actes médicaux en vue de leur inscription au remboursement. Trois évolutions probables affecteront cette activité : d'abord, l'évolution très rapide des progrès médicaux. Nos processus d'évaluation actuels sont remis en cause par l'irruption d'innovations thérapeutiques majeures, traitements contre l'hépatite C ou contre le cancer par exemple, qui vont mettre en tension le financement de la sécurité sociale et, à terme, l'accessibilité à certains médicaments. La réforme des outils et des procédures d'évaluation sera inscrite dans une des ordonnances prévues à l'article 166 de la loi. Je suis en phase avec les conclusions du rapport de Mme Polton qui prône l'évaluation des médicaments selon leur valeur thérapeutique relative. Ces propositions, ainsi que celles du rapport de l'Igas, devraient se retrouver dans l'ordonnance. Il est également indispensable de rapprocher l'évaluation économique des produits de santé et l'évaluation médicale. La mission d'évaluation médico-économique a été confiée à la HAS en 2008 - qui devait se borner à une évaluation des stratégies thérapeutiques - mais, depuis 2012, il lui a été demandé de rendre des avis d'efficience. Enfin il convient également de rapprocher l'évaluation des produits et l'élaboration des recommandations des stratégies thérapeutiques. La HAS a ainsi créé la Commission des stratégies et des prises en charge et a publié une série de recommandations pour les professionnels, recommandations qui ne sont pas obligatoires, mais qui ont un impact majeur comme celle en faveur de la prise en charge de l'hépatite C.
L'article 143 de la loi de modernisation de notre système de santé, relatif au bon usage, va encadrer un certain nombre de pratiques médicales, comme les innovations thérapeutiques les plus coûteuses.
Les enjeux de la certification et de l'accréditation sont plus qu'importants. La HAS certifie 2 700 établissements et en visite près de 700 chaque année. Je me félicite de la médicalisation progressive du processus de certification, grâce notamment à la méthode du patient traceur, dont le parcours au sein de l'établissement est examiné. Cette médicalisation du processus pousse les établissements à s'améliorer sans cesse, grâce notamment à l'outil du compte qualité, indicateur développé par la HAS. Les indicateurs seront revus avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et les professionnels de santé afin qu'ils soient compris et acceptés.
Des expérimentations en matière d'accréditation en équipe sont actuellement en cours pour les activités à risque. Ces expérimentations sont appréciées par les professionnels et elles améliorent les pratiques. Nous poursuivrons sur la base du volontariat. Des défis majeurs restent cependant à relever dans ce champ de l'accréditation et de la certification : il faut simplifier les indicateurs et les démarches, améliorer la cohérence entre les indicateurs de la HAS et les systèmes d'autorisation des agences régionales de santé (ARS). La loi de modernisation du système de santé traite des groupements hospitaliers de territoires (GHT) : nous devrons adapter les certifications à ces groupements, tout en veillant à la parfaite information des patients.
Enfin, le financement des établissements de santé devra se faire en fonction de leurs résultats, ce qui passe par l'incitation financière à l'amélioration de la qualité (Ifaq).
Après dix ans d'existence, la HAS est une agence reconnue pour ses compétences scientifiques, y compris au niveau international. Je veux rendre hommage au travail du professeur Jean-Luc Harousseau : la HAS est moteur, à l'étranger, parmi les agences de health technology assessment.
La loi de modernisation a confié à la HAS de nouvelles missions, ce qui démontre la confiance des parlementaires. Cependant, du fait de son périmètre d'action large et du nombre important de publics cibles - grand public, usagers, malades, professionnels, établissements de santé, décideurs publics -, la lisibilité de l'agence est un véritable enjeu. La HAS pourra-t-elle à l'avenir remplir toutes ces missions ? La Haute Autorité les exerce dans un environnement contraint du fait des progrès médicaux toujours plus rapides, soumis à l'évaluation de la HAS. Comme le voulait le professeur Harousseau, les actions de la HAS devront être plus transversales. Les évolutions du champ sanitaire et social, qu'il s'agisse des parcours de soin, des innovations médicales et organisationnelles, impliquent que les commissions rendent des avis cohérents sur les certifications, les accréditations et les évaluations. Les processus internes de la HAS doivent donc être revus : les commissions devront travailler ensemble et avec le collège. Ce dernier devra être garant de la transversalité, de la cohérence et de la lisibilité des avis de la Haute Autorité.
Si vous m'accordez votre confiance, je répondrai à ces enjeux stratégiques en améliorant l'organisation et les procédures internes afin de gagner encore en transversalité, en lisibilité et en réactivité. J'associerai toutes les parties prenantes, les professionnels de santé, l'environnement institutionnel de la HAS et les parlementaires. L'une des ordonnances de l'article 166 pourrait refonder ce cadre réglementaire. La HAS doit affronter de nouveaux défis, ce qui implique d'autres modes de fonctionnement. J'y veillerai avant, éventuellement, de me représenter devant vous en 2017 pour un mandat plein.
Si vous le décidez, je dirigerai cette instance avec détermination et engagement, comme je l'ai toujours fait dans les agences ou institutions que j'ai eu la chance de présider antérieurement.