Intervention de Jean Pierre Vogel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 février 2016 à 9h33
Contrôle budgétaire — Communication sur le programme « antares » adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours

Photo de Jean Pierre VogelJean Pierre Vogel, rapporteur spécial :

Dix ans après l'adoption de la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, votre commission a décidé de me confier une mission de contrôle sur le programme ANTARES, qui vise à mettre en place un réseau radio numérique pour les services de secours.

Avant de vous présenter les conclusions de ce contrôle, permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant le contexte de mise en oeuvre du programme.

Dès les années 1980, l'État français a engagé un vaste projet de développement des moyens de communication de ses forces de sécurité.

Le réseau RUBIS de la gendarmerie nationale, mis en place en 1993, constitue à l'époque une première mondiale.

Par la suite, le programme ACROPOL, lancé en 1995 et achevé en 2007, a permis la mise en place d'un réseau numérique sécurisé à disposition des forces de la police nationale.

À l'inverse, les réseaux des sapeurs-pompiers reposaient encore, avant la mise en oeuvre du programme ANTARES, sur des technologies analogiques.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le passage au numérique des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) est alors apparu indispensable pour permettre aux forces de sécurité et de secours d'intervenir de manière concertée et sécurisée, tout en offrant aux SDIS de nouveaux services de voix et de données adaptés à leurs besoins. Avec ANTARES, il est par exemple possible de géolocaliser les sapeurs-pompiers.

Dans cette perspective, le programme ANTARES consiste principalement à étendre dans les zones rurales le réseau numérique de la police nationale, désormais mutualisé entre les deux forces. Il doit être souligné que de nombreux acteurs regrettent vivement ce choix initial et estiment qu'il aurait été préférable de faire d'ANTARES une extension du réseau RUBIS de la gendarmerie, dont les périmètres d'intervention et les besoins en couverture semblent plus proches de ceux des SDIS. On rappellera qu'à l'époque, la gendarmerie nationale et la sécurité civile ne relevaient même pas du même ministère...

S'agissant du financement du réseau, il est partagé entre l'État et les services utilisateurs. Pour le programme « Sécurité civile », le coût prévisionnel d'ANTARES est estimé à 120 millions d'euros. Pour les SDIS, le coût du déploiement est généralement compris entre 2 et 5 millions d'euros.

Compte tenu de ces enjeux, j'ai fait le choix d'ordonner ce contrôle budgétaire autour de trois grandes questions. Tout d'abord, le déploiement du programme au sein des SDIS a-t-il été satisfaisant ? Rétrospectivement, le coût du passage au numérique est-il réellement compensé par l'intérêt opérationnel de cette technologie ? Enfin, quel est l'avenir d'ANTARES, dans un contexte marqué par le passage à la 4G des réseaux commerciaux ?

Pour objectiver les constats, j'ai pu m'appuyer sur une enquête réalisée auprès des SDIS par l'Association nationale des directeurs départementaux et directeurs départementaux adjoints des SDIS (ANDSIS), que je tiens ici à remercier vivement.

S'agissant du déploiement, si le taux d'adhésion à ANTARES est globalement conforme aux objectifs, les nombreux cas de report et de retard témoignent des difficultés importantes rencontrées par les services utilisateurs.

Ces difficultés sont principalement de deux ordres. Premièrement, d'importantes « zones blanches » ne sont toujours pas couvertes, notamment dans les territoires ruraux. Deuxièmement, depuis 2013, les SDIS ne peuvent plus bénéficier du fonds d'aide à l'investissement (FAI), qui permettait à l'État d'aider financièrement les SDIS à basculer vers ANTARES.

Ces deux facteurs rendent aujourd'hui incertain l'achèvement de la migration et sont générateurs d'importantes inégalités. Ainsi, le taux de prise en charge de la migration par l'État via le FAI varie de 0 % à 60 % selon les SDIS. Certains SDIS ont reçu jusqu'à 3,5 millions d'euros de crédits du FAI, tandis que d'autres n'ont bénéficié d'aucun financement.

S'agissant maintenant du fonctionnement du réseau, le bilan est très contrasté : le service rendu est inférieur à celui escompté, pour un coût pourtant plus élevé.

Sur le plan opérationnel, les difficultés de fonctionnement sont nombreuses. À la suite de la migration, plus d'un SDIS sur trois a constaté une détérioration de la couverture du réseau, tandis que la qualité de la maintenance, désormais assurée par les SGAMI, est jugée insuffisante.

De façon surprenante, il existe de nombreuses situations dans lesquelles le réseau est inutilisable ou sous-utilisé. L'interopérabilité entre les départements n'est pas assurée. Il est impossible d'utiliser des terminaux à bord de la flotte aérienne. La transmission des bilans par ANTARES est souvent refusée par le service d'aide médicale urgente (SAMU). Plus d'un SDIS sur deux n'a jamais utilisé la conférence interservices, qui devait pourtant leur permettre de communiquer avec le reste des forces de sécurité et de secours.

Sur le plan financier, la migration s'est traduite par des surcoûts non anticipés pour les SDIS, liés principalement au chiffrement des communications, qui impose de reprogrammer tous les terminaux tous les deux ans. Au total, la migration se traduit par un surcoût minimum de 25 millions d'euros, pour une estimation initiale de 14 millions d'euros.

Il est indéniable que l'État a pris conscience de ces difficultés. À titre d'exemple, d'importants travaux ont été engagés à partir de 2012 afin d'améliorer la qualité du réseau, dans un contexte budgétaire pourtant contraint.

Aujourd'hui, il est indispensable non seulement d'achever les efforts en cours pour optimiser la couverture et les batteries, mais également d'inciter les services utilisateurs à exploiter au mieux les possibilités offertes par ANTARES et de rénover la gouvernance du réseau.

À cet effet, le rapport propose par exemple de généraliser les conventions de maintenance entre les SDIS et les SGAMI, de mettre en place un nouvel indicateur de performance relatif à la maintenance ou encore de sensibiliser les ARS à la nécessité de renforcer les effectifs dédiés au traitement des bilans.

Sur le plan financier, les pistes d'économies doivent être concrétisées. Ainsi, la contribution des services de secours, qui correspond au tiers des frais de fonctionnement du réseau, pourrait être réduite, en contrepartie de leur participation à la maintenance du réseau. À titre d'exemple, en cas de coupure sur un site, le concours d'un groupe électrogène de secours du SDIS pourrait être sollicité, plutôt que d'attendre l'intervention d'un technicien du SGAMI, dont les délais d'intervention peuvent être particulièrement longs.

Il est par ailleurs nécessaire de systématiser les démarches de mutualisation entre les SDIS et d'alléger les contraintes liés au chiffrement des communications.

Au-delà de son fonctionnement, c'est également l'avenir du programme qui suscite des inquiétudes. En effet, un investissement supplémentaire est nécessaire à court-terme pour prévenir l'obsolescence du réseau, pour un montant compris entre 150 et 200 millions d'euros. Ce chantier bouleverse l'économie initiale du projet et augmente sa durée de six ans. Les premiers crédits ont été inscrits dans la loi de finances pour 2016.

De façon préoccupante, les services utilisateurs rencontrés à l'occasion de cette mission de contrôle ignorent pour la plupart qu'ils pourraient prochainement être mis à contribution pour financer une partie cette modernisation.

Si une participation financière devait être demandée aux utilisateurs, il me semble indispensable de tenir compte du critère de l'ancienneté sur le réseau, afin de ne pas pénaliser les nouveaux entrants (SDIS et SAMU), d'augmenter à due proportion le coût par terminal facturé aux utilisateurs hors forces de police et de secours et de déduire de cette participation l'économie de fonctionnement attendue de cette modernisation - à terme, la convergence des liaisons par faisceaux hertziens devrait permettre une économie annuelle de huit millions d'euros.

Pendant cette phase de modernisation, qui devrait durer six ans, le fossé existant entre les réseaux mobiles commerciaux et le réseau régalien des forces de secours continuera de se creuser, faute d'anticipation.

Pour rappel, la technologie TETRAPOL sur laquelle repose ANTARES offre un débit de seulement 2 kilobits par seconde et par canal, ce qui est 50 fois inférieur au débit de la technologie GPRS - l'ancêtre de la 3G - et plus de 1 000 fois inférieur au débit offert par la 4G. Concrètement, un sapeur-pompier ne peut aujourd'hui transmettre des photos - et encore moins des vidéos - depuis un terminal ANTARES, alors même que son smartphone lui offre depuis bien longtemps cette possibilité.

Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir de l'attribution d'une partie de la bande de fréquences 700 megahertz de la TNT aux réseaux régaliens de sécurité, qui devrait permettre à terme une migration d'ANTARES vers la 4G.

Compte tenu de la situation des finances publiques, la migration ne pourra pas toutefois pas se faire dans les mêmes conditions financières pour les SDIS.

Une solution pourrait consister à associer certains opérateurs d'importance vitale - on peut par exemple penser à la RATP ou encore à Aéroports de Paris (ADP) - à ce nouveau réseau, afin d'en réduire le coût pour l'État et les collectivités territoriales.

Toutefois, l'horizon de la migration, fixé à 2030, semble difficilement compatible avec les calendriers annoncés par ces grands opérateurs privés. ADP et EDF ont par exemple indiqué à l'ARCEP être contraints par un « impératif daté aux alentours de 2017 ». Dès 2014, ADP a d'ailleurs mené une expérimentation sur la 4G en conditions réelles à l'aéroport Paris-Charles de Gaulle.

En conclusion, il est donc indispensable de mettre en place dès aujourd'hui une gouvernance adaptée afin d'assurer un suivi des expérimentations en cours et de recueillir les besoins des utilisateurs potentiels.

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