Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 3 février 2016 à 14h30
Laïcité : inscriptions des principes de la loi de 1905 dans la constitution — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Patrick Kanner, ministre :

Adopter le présent texte conduirait ainsi à remettre en question les équilibres juridiques et politiques construits depuis plus de cent ans et appliqués depuis plusieurs décennies, notamment dans trois domaines.

Premièrement, je songe, bien entendu, au droit des cultes en Alsace-Moselle. La rédaction proposée fait disparaître les dispositions spécifiques à ces trois départements, alors que le Conseil constitutionnel lui-même en a affirmé la validité constitutionnelle dans sa décision du 21 février 2013 répondant à une question prioritaire de constitutionnalité, que M. le rapporteur a citée à juste titre.

Deuxièmement, j’ai à l’esprit le droit des cultes outre-mer. À cet égard, la Guyane, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon sont actuellement régis par des textes spécifiques : une ordonnance de 1828 pour la Guyane, ainsi que les décrets-lois Mandel des 16 janvier et 6 décembre 1939. La suppression de ces régimes particuliers, telle qu’elle est proposée ici, aurait des conséquences profondes pour ces départements et ces territoires. Il est difficile d’en mesurer l’ampleur, y compris psychologique, pour nos concitoyens ultramarins.

Troisièmement et enfin, je pense aux subventions ou aides allouées par les collectivités publiques. En la matière, cette proposition de loi conduirait à supprimer des exceptions figurant déjà dans la loi de 1905, à commencer par son article 13, qui permet l’inscription aux budgets des collectivités publiques, État, départements, communes, des dépenses destinées à l’entretien et à la conservation des édifices du culte dont elles sont propriétaires. C’est le cas de quatre-vingt-sept cathédrales et de la très grande majorité des églises de notre pays, construites avant 1905, sans oublier de nombreux temples et synagogues.

De même, l’adoption du présent texte aboutirait à interdire les sommes allouées aux associations cultuelles par les collectivités publiques pour la réparation des édifices, contrairement aux dispositions du dernier alinéa de l’article 19 de la loi de 1905.

On peut donc déclarer que cette proposition de loi constitutionnelle opère un tri dans la loi de 1905 et, de ce fait, déséquilibre les dispositions garantissant au quotidien le bon fonctionnement et l’utilité de la loi de séparation des Églises et de l’État.

Plus généralement, cette proposition de loi supprimerait la possibilité de conclure un bail emphytéotique administratif pour affecter un immeuble appartenant à une collectivité territoriale à une association cultuelle. Elle annulerait la garantie des emprunts contractés par ces mêmes associations pour construire ces édifices et les avantages fiscaux dont font l’objet les dons accordés par les particuliers, lesquels permettent l’exercice des cultes.

Ces solutions sont aujourd’hui offertes par le code général des collectivités territoriales. Je précise qu’elles sont utilisées depuis quatre-vingts ans, pour assurer la construction d’édifices dans certains territoires qui n’en comptent pas. Elles permettent ainsi aux croyants de pratiquer leur culte dans de bonnes conditions de sécurité sans gêner les non-croyants de notre pays.

Enfin, cette proposition de loi marquerait une inflexion sensible par rapport à la jurisprudence administrative, qui reconnaît actuellement la possibilité, offerte aux collectivités territoriales, d’apporter des subventions ou des aides pour des opérations à caractère cultuel dont l’intérêt général est établi, ou de mettre des locaux communaux à disposition à d’associations cultuelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les dispositions que je viens de rappeler s’accordent parfaitement avec l’article 1er de la loi de 1905, en vertu duquel « la République garantit le libre exercice des cultes ».

La révision de la Constitution qui nous est proposée aurait pour effet de bouleverser les équilibres subtils, très subtils, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion