Intervention de Jacqueline Gourault

Réunion du 3 février 2016 à 14h30
Laïcité : inscriptions des principes de la loi de 1905 dans la constitution — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Jacqueline GouraultJacqueline Gourault :

Au fond, c’est la définition d’un juste équilibre entre la liberté des consciences et l’organisation laïque de l’État qui a conféré à ce texte sa longévité et son efficacité. L’esprit de modération, on le voit, est un gage de saine législation.

La laïcité s’impose donc en France et elle impose la neutralité à l’État, mais celui-ci n’impose pas la laïcité à la société civile et aux personnes, pour qui le droit de pratiquer ou non leur religion demeure un droit privé.

Ce que l’on dit moins souvent, c’est que la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État a permis aussi le développement d’un pluralisme dans les Églises, en particulier au sein de l’Église catholique, qui est ainsi devenue plus indépendante. On peut citer, par exemple – Mme Benbassa a fait référence tout à l’heure au MRP –, le cardinal Liénart, qui a été pendant quarante ans évêque de Lille ; il a été le fondateur de l’Action catholique, notamment de l’Action catholique ouvrière, montrant ainsi la diversité de l’Église.

La loi de 1905 a donc aussi libéré l’Église, il est très important de le rappeler.

Après notre rapporteur, le président de la commission des lois et un certain nombre d’orateurs, permettez-moi de relever qu’aujourd’hui le principe de laïcité paraît menacé. Le communautarisme et les revendications de toute nature sont de plus en plus pressants. Nous y faisons tous face, en tant qu’élus, notamment en tant qu’élus locaux. Je pense aux maires en particulier qui ont à faire face – cela a été dit par d’autres – à des situations parfois très difficiles, où des communautés tentent d’imposer leur vision. Je pense également à tous les fonctionnaires, à l’école ou dans les hôpitaux, qui assument chaque jour le lourd devoir de rappeler chacun à la retenue dans l’espace public.

La constitutionnalisation du titre Ier de la loi de 1905 est-elle une solution pertinente pour faire face à ces dérives ? Bien que nous partagions, bien sûr, les inquiétudes exprimées par Jacques Mézard, la présente proposition de loi ne semble pas de nature, comme d’autres l’ont dit avant moi, à y apporter une réponse.

La première série d’interrogations porte sur le champ des principes constitutionnels.

Notre Constitution est déjà très explicite en matière de reconnaissance du principe de laïcité. L’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Cela impose donc la neutralité à l’État.

Dans un sens complémentaire, le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 dispose très explicitement que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Tout est dit. Le terme même de « laïcité » n’est pas dans la loi de 1905. Dès lors, élever au rang constitutionnel le titre Ier de cette loi ne présenterait aucune plus-value réelle. Cela n’enlève rien au fait que ce texte demeure la déclinaison idéale dans la loi du principe de laïcité qui est déjà constitutionnel. Notre rapporteur l’a très justement formulé en rappelant que la Constitution, en tant que norme suprême, avait sa fonction propre et n’avait donc pas vocation à devenir un simple « code de la République ».

La seconde série d’interrogations porte sur l’équilibre actuellement en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, et on sait l’importance du sujet.

Ces territoires bénéficient d’un droit des cultes partiellement dérogatoire à la loi de 1905 pour des motifs historiques. Cet état du droit cristallise un équilibre social et religieux que nous ne pouvons qu’appréhender avec la plus grande prudence.

La question se pose également pour les collectivités ultramarines, comme le rapporteur l’a rappelé.

Au-delà des régimes dérogatoires, les dispositions fiscales actuellement en vigueur, le régime des dons ou des baux emphytéotiques administratifs concédés à des associations cultuelles ne manqueraient pas d’être déclarés inconstitutionnels, si l’on suivait la proposition de loi de notre collègue. Nous ne ferions ainsi qu’alimenter le malaise actuel sans répondre au problème de fond vécu par nos concitoyens.

Dans ces conditions, le groupe UDI-UC, après avoir pesé le pour et le contre, a décidé de ne pas voter en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle.

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