La laïcité n’est pas un particularisme accidentel de l’histoire ; elle constitue une conquête, qu’il faut préserver et promouvoir. Si la compréhension de la laïcité exige dialogue et volonté de convaincre, elle n’exclut pas le rapport de force, et la seule force qui vaille, c’est celle de la loi !
Or, la laïcité relève d’abord du droit. C’est une exigence de la raison, inscrite dans la loi, qui reste le plus fiable des boucliers. La question qui nous est posée aujourd’hui au travers de cette proposition de loi est de savoir si celle dont nous disposons est suffisamment puissante et s’il ne faudrait pas en inclure l’article 1er dans la Constitution pour lui donner plus de force.
Je le dis, l’intention est louable et, au premier abord, nous voudrions la partager. Encore faut-il que le but recherché soit atteint. Or, sans revenir dans le détail sur l’analyse de M. le rapporteur, que je partage, plusieurs points méritent d’être soulevés.
Tout d’abord, la laïcité a-t-elle valeur constitutionnelle ? La réponse réside dans l’article 1er de la Constitution de 1958, faisant suite à celle de 1946, aux termes duquel « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Si cela ne suffisait pas, les juges constitutionnels ont pris la précaution, le 23 novembre 1977, de ranger la liberté de conscience et la liberté de culte, inscrites à l’article 1er de la loi de 1905, au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et, à ce titre, de les inclure dans le bloc de constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel est allé plus loin encore, dans une décision du 21 février 2013, en constitutionnalisant le principe même de laïcité, cela après l’engagement pris par le candidat François Hollande, ce qui modifie sensiblement la portée de cet engagement.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a mis en avant les éléments suivants, « considérant qu’aux termes de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “ Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ” ; qu’aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution : “ La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ” ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte. »
Dès lors, il n’apparaît ni nécessaire ni opportun de surajouter à la Constitution.
En outre, l’inscription dans celle-ci de l’article 1er de la loi de 1905, si la proposition de loi venait à être adoptée, remettrait en cause un équilibre acquis au prix de onze modifications de la loi et d’une large jurisprudence, ce qui créerait immanquablement du désordre, là où l’on veut mettre de l’ordre.
En particulier – nos collègues dont les territoires sont concernés y reviendront sans doute –, en remettant en cause les statuts dérogatoires de l’Alsace-Moselle et des territoires ultramarins, une simple question prioritaire de constitutionnalité pourrait aboutir à la caducité de ces régimes.
Enfin, si la loi de 1905 instaure trois interdictions – « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » –, seules les deux premières sont placées au rang de principes constitutionnels, la troisième ayant fait l’objet de nombreux tempéraments pour l’entretien des bâtiments cultuels transférés aux collectivités, le financement des aumôneries ou la possibilité de garantir des emprunts, de conclure des baux emphytéotiques ou encore de bénéficier d’exonérations de taxe foncière ou de déductions fiscales.
En 2005, le Conseil d’État a ainsi jugé que le principe constitutionnel de laïcité n’interdisait pas l’octroi, dans l’intérêt général et selon les conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou équipements dépendant des cultes.
C’est pour ces raisons, mes chers collègues, que, tout en adhérant à la volonté de ses auteurs d’affirmer et de proclamer la laïcité, le groupe socialiste s’abstiendra sur cette proposition de loi. Notre objectif commun est d’apaiser, de rassembler, et non d’ouvrir de nouveaux fronts.
Nos prédécesseurs au Parlement ont eu la fulgurance intellectuelle de placer la laïcité au sommet de la hiérarchie des normes dans la Constitution. C’est une particularité de notre pays, mais elle est de portée universelle. C’est aussi une chance ; elle est, depuis plus d’un siècle, le pilier du pacte républicain, notre cadre collectif. Elle doit être expliquée, défendue, proclamée. La laïcité est une langue vivante : faisons en sorte que tous ceux qui vivent dans notre beau pays la comprennent et la parlent couramment !