Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 10 février 2016 à 21h30
Liberté de création architecture et patrimoine — Article 10 quinquies nouveau, amendements 328 330 10

Fleur Pellerin, ministre :

Avec votre permission, madame la présidente, en sus de cet amendement n° 328, j’évoquerai également les amendements n° 330 à l’article 10 sexies, 331 à l’article 10 septies et 332 à l’article 10 octies, qui ont pour objet de supprimer les quatre articles introduits par votre commission à la suite de l’amendement présenté par M. le rapporteur.

À chaque fois, notre volonté de suppression repose sur le même raisonnement : premièrement, ces dispositions modifiant la loi de 1986 sur l’audiovisuel n’ont pas leur place dans ce projet de loi, comme j’ai eu l’occasion de le dire voilà quelques instants ; deuxièmement, elles empiètent sur les compétences du pouvoir réglementaire ; troisièmement, leur mise en œuvre déséquilibrerait les relations entre producteurs et diffuseurs.

Nous avons la chance de disposer, en France, d’un paysage extrêmement diversifié, avec de grandes entreprises de production et de plus petites sociétés, des producteurs indépendants ou non, ce qui conduit à une production audiovisuelle extrêmement dynamique qui nous est enviée dans beaucoup d’autres pays. Pour l’essentiel, nous devons cette diversité au décret pris par Mme Tasca, à l’époque où celle-ci était en charge du secteur audiovisuel.

Comme je l’ai dit, cet article n’a pas de lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi. Il s’insère dans le chapitre II, relatif au partage et à la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique. Je me suis déjà exprimée en ce sens à propos d’un amendement du groupe socialiste et républicain. Je le redis : le Gouvernement n’est pas favorable à l’introduction, dans ce texte, de modifications de la loi de 1986 sur l’audiovisuel.

Ensuite, sur le plan juridique, cette question ne relève pas du domaine de la loi. Cette dernière fixe les grands principes, tels que celui d’une contribution des éditeurs de services à la production d’œuvres audiovisuelles. En revanche, le décret vient en préciser l’ampleur en fixant les différents taux.

Enfin et surtout, une divergence de fond nous oppose au texte issu des travaux votre commission à la suite de l’adoption d’un amendement de votre rapporteur. Cette divergence porte tant sur les modalités des évolutions nécessaires que sur leur ampleur.

Sur les modalités, je souhaite rappeler la méthode qui est la mienne et que j’ai appliquée avec succès tant dans le domaine de la musique que dans celui du cinéma ou du livre.

Mon rôle est de définir les objectifs de réforme et d’inciter ensuite les professionnels à s’en saisir et à négocier. C’est mon rôle d’accompagner la négociation et de la traduire ensuite dans les dispositions réglementaires et, le cas échéant, législatives nécessaires. Dans le domaine des relations entre producteurs et diffuseurs, j’ai clairement indiqué que la situation actuelle devait évoluer.

Le paysage de la production se structure fortement, notamment sur l’initiative d’acteurs internationaux. Dans le même temps, les diffuseurs français sont soumis à une concurrence exacerbée de la part, entre autres, d’acteurs internationaux non régulés, dans un contexte d’atonie du marché publicitaire français.

Je souhaite des évolutions pour donner plus de flexibilité aux diffuseurs dans le respect de la production indépendante. Je l’ai dit à plusieurs reprises aux uns comme aux autres et j’ai engagé les travaux qui étaient nécessaires pour mettre tout le monde autour de la table. Ces évolutions sont en cours, afin de mieux partager le risque. Je tiens d’ailleurs à souligner le succès des négociations sur la transparence, qui ont abouti à un accord que nous signerons la semaine prochaine.

Les négociations se sont engagées voilà plusieurs mois. Elles ont connu une avancée décisive avec l’accord conclu entre France Télévisions et les producteurs, en décembre dernier, qui renforce les possibilités d’investissement du groupe audiovisuel public au travers de sa propre filiale de production, lui donne plus de marges de manœuvre pour exploiter ses œuvres, notamment de manière non linéaire, et, dans le même temps, préserve le cœur de l’investissement dans la production indépendante.

Voilà un exemple typique d’accord gagnant-gagnant dont les principales stipulations seront reprises dans le cahier des charges de France Télévisions.

Sur ce modèle, des discussions se sont engagées entre les chaînes privées et les producteurs. Elles doivent aboutir, dans le courant du premier trimestre, à des assouplissements que le Gouvernement pourra traduire dans la réglementation. Je le redis, à défaut d’accord, le Gouvernement prendra ses responsabilités.

Je comprends votre impatience, monsieur le rapporteur, mais je souhaite que vous mesuriez que nous risquons, aujourd’hui, d’interrompre ce processus de discussion engagé sur tous les sujets de l’équilibre producteurs-diffuseurs.

Il n’est donc pas opportun de légiférer en la matière et de mettre fin, de manière aussi abrupte, à l’ensemble des négociations professionnelles en cours ou à venir.

En effet, si elle était adoptée par la représentation nationale, la rédaction de ces articles figerait les relations entre producteurs et diffuseurs et entraînerait un déséquilibre en fixant un taux unique là où la réglementation module la part indépendante, notamment en fonction du niveau d’investissement – très variable – des chaînes.

Cette solution ne permettait plus d’aller au-delà du taux de 60 %, qui serait gravé dans le marbre de la loi, ce qui bouleverserait l’économie des relations entre diffuseurs et producteurs audiovisuels. France Télévisions, par exemple, consacre aujourd’hui quelque 95 % de sa contribution à la production audiovisuelle indépendante. Ce sera bientôt 75 %, en vertu de l’accord qui a été signé, et non 60 % comme vous le prévoyez.

Cet amendement me semble d’autant plus irrecevable qu’il doit être analysé au regard des dispositions de l’article 10 sexies, lequel supprime la fixation par le Conseil supérieur de l’audiovisuel de la durée des droits acquis par les éditeurs de services auprès des producteurs audiovisuels au sein des conventions qu’il conclut avec ces derniers.

Le mécanisme de fixation de la durée des droits par le CSA a été introduit en 2009 pour permettre la mise en œuvre des accords professionnels conclus en 2008 entre éditeurs et producteurs. Il s’agissait de permettre aux différentes chaînes de négocier avec les producteurs des droits adaptés à leurs besoins.

La fixation de ces droits par décret dans la part indépendante de la contribution a été supprimée et renvoyée aux conventions conclues par le CSA, qui tiennent compte des accords professionnels négociés en la matière.

Ce dispositif très équilibré a un double mérite : il est souple pour les diffuseurs et il protège les producteurs, ce qui permet de laisser toute sa place à la négociation interprofessionnelle. Cette négociation est aussi équilibrée en ce qu’elle associe diffuseurs, d'une part, et organisations professionnelles de producteurs, d'autre part.

Supprimer tout encadrement de la durée des droits pour le renvoyer à une négociation de gré à gré fragiliserait considérablement la situation des producteurs. Je vous proposerai de revenir sur ces dispositions au travers de l’amendement n° 330.

L’article 10 septies prévoit de fixer à 60 % la part de production indépendante au sein de l’obligation de contribution des éditeurs de services du câble, du satellite et de l’ADSL à la production audiovisuelle.

Il en va de même de l’amendement n° 332 visant à supprimer la détermination par la loi de la part maximale qu’une chaîne de télévision peut détenir dans un producteur indépendant. Passer de 15 % aujourd’hui à une notion de contrôle au sens du code du commerce provoquerait un bouleversement structurel majeur qui n’a pas été analysé. En toute hypothèse, ce débat doit avoir lieu au sein de la filière, avant d’être repris par le pouvoir réglementaire.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de bien vouloir adopter l’amendement n° 328, ainsi que les amendements n° 330 à l’article 10 sexies, 331 à l’article 10 septies et 332 à l’article 10 octies.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion