Les frontières de compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie sont définies par les articles 544 et 545 du code civil. La Nouvelle-Calédonie est compétente sur l'ensemble du droit civil mais ne peut modifier le principe de la propriété énoncé dans ces deux articles. Cette précision est rappelée dans la loi organique.
Je n'ai pas évoqué les conflits de lois internes. Il ne vous a pas échappé qu'en matière de droit civil nous avons potentiellement des personnes susceptibles d'être régies par la coutume, le droit commun national et le droit commun calédonien. Le législateur calédonien, ayant la pleine compétence sur le code civil local, peut édicter un certain nombre de règles qui seront différentes de notre droit commun. Ainsi, quand un enfant est confié à l'adoption, quelles règles faut-il appliquer ? Il est né sur place, dans un milieu coutumier. Devons-nous appliquer la règle de l'adoption coutumière, adoption bien spécifique qui plonge ses racines dans la tradition mélanésienne de reconnaissance d'un lien avec une famille, d'un clan avec un autre qui va offrir son enfant ? L'adoption a un sens culturel très fort. Allons-nous appliquer la règle du droit commun parce que la famille adoptante habite La Réunion ? Allons-nous adopter le droit commun calédonien parce que les adoptants habitent Nouméa ?
On voit bien les risques de conflit de lois. Or, nous n'avons pas d'instruments pour les résoudre car le règlement des conflits entre le droit civil coutumier et le droit civil commun tel qu'il a été fixé par la loi organique ne porte que sur la période antérieure au transfert de compétence. Nous avons, avec l'article 9, une règle de conflit de lois internes : « Dans les rapports juridiques entre parties dont l'une est de statut civil de droit commun et l'autre de statut civil coutumier, le droit commun s'applique. »
Ce qui nous manque désormais, avec le transfert de compétence, c'est une règle de conflit plus englobante, plus précise sur les nombreux types de conflits de lois. Là encore, le Conseil d'État s'est prononcé en considérant qu'il appartenait au législateur organique de définir les principes des règles de conflits de lois. Cette reconnaissance de compétence du législateur n'est pas facile à mettre en oeuvre. Sinon, la frontière entre le droit commun et le droit coutumier c'est le lien personnel, le statut des personnes. Et là, je vous renvoie aux règles constitutionnelles en matière de reconnaissance de statut personnel.
Vous m'avez interrogé sur la permanence de la règle de droit et la subsidiarité en cas d'absence de normes coutumières. Je pense que l'on sortirait de l'esprit de l'Accord de Nouméa, confirmé par la décision de 2007 de la Cour de cassation qui a estimé que la coutume régissait l'ensemble du droit civil des personnes relevant du droit coutumier.
Néanmoins, en milieu urbain, quand le juge des tutelles est obligé de constater qu'une personne âgée ne parvient plus à se prendre en charge et que le droit commun imposerait une tutelle, il ordonne une curatelle ou une tutelle selon les règles du droit commun, même si la personne relève du statut civil coutumier. Le juge fait prévaloir la protection de la personne sur la règle de droit pure. Il écorne le principe de l'unité du droit coutumier. En milieu traditionnel, dans les villages et les tribus, la situation est différente car une tutelle de fait est assurée par le clan ou sa famille.
Des chercheurs dans le cadre du GIP droit et justice ont lancé une étude sur le droit coutumier, son intégration et ses rapports avec le droit commun. De son côté, le Sénat coutumier s'interroge - et je crois qu'il n'a pas encore répondu à la question - sur le fait de savoir s'il ne devrait pas écrire une partie de la coutume. C'est un débat qui anime tant les chercheurs que les personnes concernées et notamment les représentants des milieux coutumiers.