Intervention de Marie Walazyc

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 21 janvier 2016 : 1ère réunion
Audition de représentants du ministère de la justice

Marie Walazyc, chef du bureau du droit immobilier et du droit de l'environnement à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice :

La répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française résulte de l'article 13 de la loi organique du 27 février 2004. La compétence de la Polynésie française est de droit commun sur toutes les matières qui ne relèvent pas de l'État. En particulier, le droit des successions revient à l'État. Dans ce domaine s'applique le principe de spécialité législative avec une extension à la Polynésie française des mesures nouvelles par mention expresse et avec une possibilité d'adaptation locale par une loi de pays. La Polynésie est, en revanche, compétente pour fixer le régime de la propriété foncière, ce qui comprend notamment la publicité foncière, le cadastre, la conservation des hypothèques, le fichier immobilier et l'usucapion. Elle est également compétente en matière de procédure civile et d'obligations conventionnelles. La compétence de l'État comprend le régime légal de l'indivision, sauf les dispositions du code civil sur l'exercice en commun des droits indivis sur un bien qui reviennent à la Polynésie en vertu, précisément, de sa compétence en matière de contrats.

La diversité des régimes juridiques applicables dans les différents archipels a des racines historiques selon qu'ils appartenaient ou non au royaume de Tahiti et selon les modalités de prise de possession par la France. Dans les terres du royaume de Tahiti et de ses dépendances a été mis en place par l'administration française un régime d'enregistrement des terres en 1852. La première phase de revendication de propriété sur des terres a donné lieu à l'attribution de titres, appelés Tomite, qui se trouvent aujourd'hui à la conservation des hypothèques dépendant de la direction des affaires foncières (DAF) de Papeete.

Le cadastrage est pratiquement complet puisque 98,5 % de la surface du territoire est cadastré. Seuls manquent à l'appel certains îlots des Tuamotu de l'Est. La base géographique est suffisante pour commencer d'ores et déjà la rénovation et la mise à jour des données cadastrales. Un fichier informatique a été créé pour permettre l'accès au cadastre aux notaires et aux géomètres-experts. La DAF envisage également d'ouvrir l'accès gratuitement aux particuliers.

Le service de la publicité foncière tient à jour les fiches concernant les titres de propriété. Il convient de noter que le décret de 1955 relatif à la réforme de la publicité foncière applicable en France métropolitaine n'a pas été étendu à la Polynésie française, qui conserve donc le régime antérieur. Or, ce régime ne prévoit pas de constituer une fiche par bien immobilier ; il est par conséquent très difficile de reconstituer les chaînes de propriété d'un même bien. Il existe des fiches par propriétaire mais, dans certaines hypothèses, une même personne peut avoir plusieurs fiches à son nom car le lien n'est pas fait au moment de la publication.

Un autre obstacle réside dans le fait que n'est pas toujours pratiquée la transcription des titres de propriété à l'issue d'un partage judiciaire. En effet, cette transcription est de l'initiative propre des parties qui ne le font pas toujours, soit qu'elles sont mal conseillées, soit qu'elles n'en voient pas l'utilité en considérant que le jugement suffit, parfois aussi pour des raisons de coût. En outre, la DAF a accepté la transcription partielle des jugements de répartition des terres, c'est-à-dire une transcription uniquement par une des parties pour le bien qui lui revient sans répertorier les conséquences pour les biens des autres parties. Cette pratique aboutit à des erreurs dans la mise à jour du fichier immobilier et du cadastre. Elle complique l'opposabilité du jugement aux tiers en l'absence d'une transcription complète du partage. La DAF semble toutefois avoir mis un terme à cette pratique en supprimant les frais de transcription : qu'elle soit partielle ou intégrale, la transcription est désormais gratuite, ce qui lève l'obstacle financier.

L'identification des propriétaires pose des difficultés depuis l'époque des Tomite. Il est arrivé, en effet, que des personnes revendiquassent des terres sans être les vrais propriétaires. En l'absence de contestation, elles furent déclarées propriétaires et reçurent un titre. En outre, à l'époque des Tomite, le cadastre n'existait pas, si bien que les mentions portées sur le titre pour identifier le terrain étaient extrêmement vagues et sommaires. Il est dans certains cas impossible de retrouver la parcelle en question.

En outre, le nom patronymique n'existe pas dans la tradition polynésienne. Les changements de nom à divers moment de la vie sont une pratique traditionnelle courante. Nous avons connaissance de cas où une personne ne portait pas le même nom sur son acte de naissance et sur son acte de décès, ce qui complique encore le suivi des chaînes de transmission d'un bien. L'état civil a été institué en Polynésie par la loi du 11 mars 1852 qui imposait de recourir à un nom invariable et à tenir un registre. Mis en oeuvre à partir de 1856, l'état civil n'a pas été tenu avec rigueur et n'est en vérité fiable qu'à partir des années 1950. La DAF possède un service de généalogie mais il ne dispose que d'une base de données très incomplète car n'y figurent que les personnes nées en Polynésie française.

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