Intervention de Éloi Buat-Ménard

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 21 janvier 2016 : 1ère réunion
Audition de représentants du ministère de la justice

Éloi Buat-Ménard, adjoint à la sous-directrice de l'organisation judiciaire et de l'innovation à la direction des services judiciaires (DSJ) du ministère de la justice :

Pour la mise en place du tribunal foncier, l'échéance fixée par le II de l'article 24 de la loi du 16 février 2015 n'est pas contraignante au sens où elle ne comporte pas de délai butoir. Le texte vise « la date d'installation effective » du tribunal foncier, date à laquelle est reportée l'abrogation de la commission de conciliation. Or l'installation effective suppose la publication du décret en Conseil d'État déterminant « les conditions de désignation et les attributions du commissaire du gouvernement de la Polynésie française dans le respect du principe du contradictoire » en application du dernier alinéa de l'article L. 552-9-1 du code de l'organisation judiciaire (COJ).

Ce même article prévoit une formation échevinée du tribunal foncier, qui sera composé d'un président et de deux assesseurs. Les assesseurs titulaires et suppléants sont des personnes qualifiées en matière foncière et proposées pour agrément à l'assemblée générale des magistrats de la Cour d'appel par un collège d'experts. Les membres du collège sont des personnalités ayant elles-mêmes acquis une compétence particulière en matière foncière et nommées par l'Assemblée de la Polynésie française. La composition, l'organisation et le fonctionnement du collège d'experts sont également fixés par délibération de l'Assemblée de la Polynésie française, conformément à l'article 58 de la loi organique du 27 février 2004. Une délibération n° 2009-61 du 18 août 2009 a fixé les règles régissant le collège d'experts en matière foncière. Les assesseurs sont choisis pour une période de trois ans renouvelable. Les conditions qu'ils doivent respecter sont assez classiques : être de nationalité française, âgés de plus de 23 ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d'impartialité. Ce sont les dispositions de l'article L. 552-9-3 du COJ : on les retrouve pour la quasi-totalité des assesseurs non professionnels dans les différentes juridictions judiciaires. À défaut d'un nombre suffisant de candidats remplissant ces conditions, le tribunal foncier statue sans assesseur (art. L. 552-9-4 COJ).

Que reste-t-il à prévoir pour parfaire ce statut ? Même si cela n'est pas renvoyé directement à un décret d'application dans les dispositions législatives du COJ précitées, il pourrait être utile de préciser comment sont désignés les assesseurs une fois qu'ils ont été agréés et choisis par le collège. On pourrait procéder à une désignation par ordonnance de roulement prise par le Premier président, comme pour l'affectation des magistrats professionnels dans les différentes fonctions juridictionnelles, puisque l'on sait qu'ils sont proposés à l'assemblée générale de la Cour d'appel. Les conditions d'impartialité exigées pourraient également être précisées, en prévoyant par exemple la non-éligibilité des fonctionnaires de la DAF puisque les assesseurs doivent jouir d'un statut de tiers par rapport aux parties potentielles. Des conditions de résidence pourraient aussi être prévues, de même que l'exigence d'une déclaration d'intérêts ou d'une présentation du bulletin n° 2 du casier judiciaire, comme pour les autres assesseurs non-professionnels. La procédure de sélection pourrait aussi être précisée pour définir le contenu du dossier de candidature. Toutes ces précisions pourraient être utiles, même s'il faut reconnaître que le statut défini par les dispositions législatives est déjà assez fourni.

Les assesseurs siègent dans la formation de jugement. Rien de plus n'est précisé pour le moment. Le COJ mentionne simplement quelques modalités de l'exercice de la fonction : l'obligation de prêter serment, l'obligation de rester en fonction jusqu'à l'installation des successeurs mais pour une durée maximale de quatre mois, le fait qu'ils sont réputés démissionnaires en cas de refus de service, des causes de déchéance, des peines en cas de manquement aux devoirs de la fonction, une procédure de suspension. Ce sont également des éléments classiques du statut des assesseurs non-professionnels. Par ailleurs, l'article L. 552-9-7 du COJ prévoit une disposition nécessaire au regard du droit du travail : les employeurs sont tenus d'accorder à leurs salariés assesseurs au tribunal foncier les autorisations d'absence nécessaires pour qu'ils puissent siéger. Il pourrait être précisé les conditions dans lesquelles ces absences pourront être indemnisées. En matière de récusation, il n'y a pas de dispositions spécifiques pour les assesseurs du tribunal foncier. Les dispositions générales du COJ s'appliquent (articles L. 111-6 à L. 111-8).

Un autre organe nécessaire au fonctionnement du tribunal foncier est le commissaire du gouvernement de la Polynésie française. C'est l'objet principal du décret en Conseil d'État à prendre en application de la loi du 16 février 2015. La Chancellerie souhaite confier l'exercice des fonctions de commissaire du gouvernement à un fonctionnaire de la DAF. Ses compétences spécifiques et sa connaissance des dossiers permettront d'accélérer la mise en état des dossiers, qui est le but essentiel recherché avec l'institution de cette fonction. Il doit pouvoir délivrer tout élément utile à la bonne information du tribunal foncier en procédant à une forme d'instruction. L'inspiration vient du commissaire du gouvernement en matière d'expropriation, procédure qui n'est pas sans similarité avec le contentieux du tribunal foncier. Le but est aussi de parvenir à une parfaite synergie entre les institutions du Pays et le tribunal foncier car l'instauration de celui-ci est insuffisante et inapte à garantir, si ce n'est l'apurement, le traitement plus rapide et pérenne des affaires de terre.

Concernant la désignation du commissaire du gouvernement, le respect de l'impartialité et du principe du procès équitable pourraient être garantis par différents éléments. Tout d'abord, il conviendrait que le commissaire du gouvernement ne participe pas à la formation de jugement et n'assiste pas au délibéré. Cela paraît incontournable. Ensuite, ses attributions pourraient s'inspirer, comme je le disais précédemment, de celles du commissaire du gouvernement devant le juge de l'expropriation. Cette fonction est ordinairement assumée par le directeur des services fiscaux du département. Dans le cadre des affaires de terre qui impliqueraient le Pays, les fonctionnaires désignés pour agir devant le tribunal foncier comme partie au nom du gouvernement de la Polynésie française ne pourront être désignés pour assumer les fonctions de commissaire du gouvernement dans la même affaire. Enfin, pour le respect du contradictoire, expressément visé par la loi, il faut que l'ensemble des parties soit avisé des conclusions du commissaire du gouvernement. Une question demeure posée et demande à être expertisée plus avant : la nomination comme commissaire du gouvernement d'un fonctionnaire de la DAF porte-t-elle atteinte à l'autonomie de la Polynésie française garantie par l'article 63 de la loi du 27 février 2004 qui prévoit que le gouvernement de la Polynésie française dispose de l'administration de la Polynésie française. Cette articulation reste à expertiser. Nous souhaiterions que le groupe de travail se penche sur cette question.

La fixation des attributions du commissaire du gouvernement relève de l'organisation judiciaire et non pas de la procédure civile. Aux termes de la loi organique, cela relève de la compétence de l'État. C'est pourquoi il revient au décret en Conseil d'État d'y procéder. Si l'on conserve le parallèle avec le commissaire du gouvernement devant le juge de l'expropriation, on pourrait compter comme attribution du commissaire du gouvernement devant le tribunal foncier la notification de ses conclusions aux parties à l'instance, lesquelles devront contenir les éléments nécessaires à l'information de la juridiction. Il pourrait également être entendu par le tribunal, et pas seulement amené à déposer des conclusions écrites. Il pourrait également disposer de la faculté d'interjeter appel de la décision du tribunal foncier. C'est le cadre général qui est envisagé. Pour aller plus avant, il nous faudrait disposer d'un éclairage plus précis sur la procédure qui serait envisagée devant le tribunal foncier car l'organisation judiciaire n'est pas sur ce point complètement détachée de la procédure civile. Les questions de fond et de procédure s'imbriquent et il est nécessaire de les considérer de façon coordonnée pour calibrer au mieux les interventions respectives des différents acteurs. C'est pourquoi à ce stade il est difficile d'aller plus loin, par exemple dans la description des éléments susceptibles d'être transmis par le commissaire du gouvernement au tribunal foncier.

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