Alors que l'accord avec la Suisse vise à répondre à un problème ponctuel et précis, le présent accord avec Singapour s'inscrit dans le mouvement continu de renégociation de nos conventions fiscales, engagé depuis plusieurs années.
L'actualité, pourtant, n'est jamais loin. D'abord parce que certaines informations demandées à la Suisse auraient pu opportunément être demandées à Singapour à l'époque... Ensuite, et surtout, parce que cette convention a été négociée dans le contexte agité des débats sur le projet « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE, qui vise à lutter contre la délocalisation abusive des bénéfices.
Ces débats nous rappelé qu'une convention fiscale n'est pas seulement un texte technique. C'est un acte politique. Ce n'est pas sans raison que notre commission avait organisé, le 1er juillet dernier, une audition conjointe sur le thème de la diplomatie fiscale. De fait, c'est dans une convention fiscale que se joue la répartition entre les États du droit d'imposer les bases fiscales, et donc sur le partage des fruits de la croissance mondiale. Et c'est dans une convention fiscale que les entreprises et les particuliers trouvent, ou pas, une incitation à aller investir et s'installer dans un autre pays.
En l'espèce, cette convention fiscale signée le 15 janvier 2015 viendra se substituer au texte actuel, qui date du 9 septembre 1974 et ne correspond plus à la réalité des échanges économiques entre les deux pays.
Plaque tournante du commerce et des investissements en Asie du Sud-est, premier partenaire de la France dans la région, hub portuaire et aéroportuaire majeur, Singapour a en effet vu son économie évoluer en profondeur, délaissant en quatre décennies les activités manufacturières au profit d'une spécialisation en finance et en innovation dans les activités à haute valeur ajoutée - chimie, pharmacie etc. Très exposée au retournement de la conjoncture mondiale, la cité-État cherche aujourd'hui à attirer de nouveaux investissements dans ces secteurs de pointe. Cela tombe bien : la France y excelle. Ses champions industriels et ses ingénieurs bien formés ne pourront que tirer parti d'un nouveau cadre fiscal, plus favorable aux investissements et aux échanges commerciaux.
Le texte de l'accord est, en pratique, très proche modèle de base élaboré en 2010 par l'OCDE. Il n'en demeure pas moins que chaque clause a fait l'objet d'une négociation : les différences avec le modèle résultent des compromis entre les deux pays, ainsi que d'une volonté de conserver « ce qui fonctionne » dans la convention de 1974, afin de ne pas créer d'incertitude juridique.
Par rapport à l'accord de 1974, la nouvelle convention fiscale offre un cadre plus favorable aux investissements, ce qui pourrait d'abord profiter aux entreprises françaises.
En premier lieu, la retenue à la source opérée sur les dividendes est abaissée de 10 % à 5 %. Comme les investissements français à Singapour excèdent les investissements singapouriens en France, ceci permettra aux entreprises françaises y détenant des filiales de faire « remonter » plus facilement leurs bénéfices vers la France.
En deuxième lieu, les intérêts sont exonérés de la retenue à la source de 10 % s'ils résultent de prêts inter-entreprises, ce qui est un mode de financement très utilisé par les entreprises françaises.
En troisième lieu, une clause particulière permet de protéger le régime français des sociétés d'investissement immobilier, notamment celui des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC), qui est particulièrement favorable. Celles-ci se verront appliquer la législation de leur État, en l'occurrence une retenue à la source de 30 % sur les dividendes distribués à des non-résidents, en lieu et place de la retenue à la source de 5 % prévue par la convention.
En quatrième lieu, un chantier devra dorénavant avoir une durée de douze mois pour être considéré comme un « établissement stable », et donc imposable à Singapour, contre six mois auparavant.
Enfin, la présence française à Singapour est également encouragée par le maintien de clauses particulièrement favorables, déjà présentes dans le texte de 1974, pour les étudiants, stagiaires, apprentis et enseignants.
Dans le même temps, la nouvelle convention fiscale préserve le droit des États à imposer des activités sur leur territoire. On signalera notamment trois clauses.
D'abord, le maintien d'une imposition à la source des redevances provenant d'activités littéraires et artistiques. Ce n'est pas grand-chose par rapport au droit commun de l'imposition à la résidence, mais cela devrait tout de même bénéficier surtout à Singapour.
Ensuite, l'introduction de la notion d'établissement stable de services. Aujourd'hui, il n'est pas toujours facile de dire si une prestation de services relève d'un établissement stable ou pas. L'introduction de cette notion, certes de nature à profiter à Singapour, va surtout dans le sens d'une meilleure sécurité juridique pour les entreprises. Son seuil de déclenchement - douze mois sur quinze, au lieu de six mois sur douze dans les autres accords récents - demeure toutefois très favorable aux prestataires français.
Enfin, la suppression du système des crédits d'impôt forfaitaires : ce mécanisme ancien permettait de réduire de 10 % à 15 % l'impôt payé en France - quel que soit le montant réel de l'impôt payé à Singapour. Le Trésor public français en sera le grand bénéficiaire, après la fin de la période de transition. Le système des crédits d'impôt forfaitaires, qui représentait une forme de subvention à l'exportation vers les pays en développement, paraît aujourd'hui anachronique dans le cas d'un pays comme Singapour. Il sera remplacé par un crédit d'impôt égal au montant réellement acquitté à Singapour, conforme au modèle OCDE.
La convention comporte enfin une série d'améliorations visant à prévenir la fraude fiscale et l'optimisation fiscale abusive.
Relevons, notamment, l'introduction d'une clause anti-abus générale, visant à combattre les montages dont le but est principalement, sinon exclusivement, de tirer indûment un avantage fiscal des stipulations de la convention. Les clauses de ce type, systématiquement introduites par la France dans les nouveaux accords, ont d'ores et déjà permis à l'administration fiscale d'effectuer des redressements.
Un autre point important est le renforcement du mécanisme d'échange d'informations à la demande. Celui-ci était déjà conforme au dernier standard de l'OCDE depuis la signature de l'avenant du 13 novembre 2009 à la précédente convention, mais il est dorénavant précisé que les renseignements obtenus peuvent être utilisés, sous conditions, à d'autres fins que des fins fiscales, comme la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La coopération fiscale avec Singapour est satisfaisante, et devrait encore être renforcée par le prochain passage à l'échange automatique, auquel la cité-État s'est engagée à horizon 2018.
Bien sûr, la présente convention fiscale n'est pas exempte de critiques. Il faut toutefois garder à l'esprit qu'un texte de ce type est toujours le résultat d'un compromis, et qu'il est difficile d'obtenir satisfaction sur tous les points.
On peut tout d'abord regretter l'absence de clauses traitant des sociétés de personnes et entités transparentes, qui figurent pourtant dans d'autres conventions récentes. L'interposition de ces entités, notamment en matière immobilière, constitue pourtant un montage courant - pour ne pas dire grossier - pour échapper à l'impôt. En théorie, la doctrine administrative interne et l'interprétation actuelle des deux parties permettent de régler la plupart des cas. Mais quelques précautions supplémentaires dans l'accord eussent été bienvenues, pour se prémunir contre d'éventuels conflits d'interprétation à venir.
Ensuite, on note l'absence de clauses anti-abus « sectorielles », par exemple sur les intérêts, dividendes et redevances, comme c'est le cas dans les autres accords récemment signés par la France. La clause générale a toutefois vocation à couvrir l'ensemble des possibles abus, et devrait être dorénavant privilégiée dans la pratique conventionnelle de la France.
D'une manière générale, les avantages certains de cet accord l'emportent nettement sur ses quelques faiblesses. Ce texte, très attendu par les acteurs économiques, devrait marquer une étape importante du développement des relations économiques entre la France et Singapour, pour le bénéfice mutuel des deux États, de leurs entreprises et de leurs citoyens. Compte tenu de ces observations, et considérant que ses avantages sont très supérieurs aux quelques inconvénients qui demeurent, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi sans modification.