Intervention de Laurent Fabius

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 février 2016 à 16h30
Accord de paris sur le climat et ses suites — Audition de M. Laurent Fabius ministre des affaires étrangères et du développement international

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

En me présentant devant vous, je ne fais qu'honorer un engagement. Le Parlement a joué un rôle fondamental dans cet accord, à travers la diplomatie parlementaire : vous avez bien travaillé pour convaincre les parties. C'est un véritable succès, salué de toutes parts, devant lequel personne n'a boudé son plaisir, les mécanismes de négociation prévoyant que l'accord devait faire l'objet d'un consensus mondial.

Je ne doutais pas que nous parviendrions à un accord, tant la pression était forte ; mais je craignais qu'il soit minimal. Or nous avons non seulement obtenu un accord - le plus important depuis le début du siècle - mais, qui plus est, un accord qui nous engage pour aujourd'hui, demain et après-demain, à un niveau d'exigence considérable.

Il est vrai que, comme François Delattre vous l'a dit, tous ont salué l'action de la France - signe que le multilatéralisme peut aboutir à des accords. Encore faut-il les appliquer.

Quelques réflexions sur le texte négocié. J'en conviens, ce n'est pas du Flaubert ! Il faut distinguer l'accord de Paris, qui comporte 29 articles, et les 140 paragraphes de la décision - le 137e mentionne une tarification du carbone, ce qui n'a pas été sans lutte. Le point le plus important est qu'il entrera en application en 2020 dès lors que 55 pays, représentant plus de 55 % des émissions, l'auront ratifié.

Première étape, le secrétaire général de l'ONU invitera les dirigeants de la planète à venir signer et, le cas échéant, ratifier l'accord le 22 avril à New York. Le Président de la République s'y rendra, j'envisage de l'y accompagner.

Au niveau national, la ratification doit être aussi rapide que possible, pour que nous conservions notre leadership. Les autres pays européens doivent, eux aussi, aller vite, avec cette particularité qu'une ratification est prévue par l'Union européenne une fois que ses 28 membres l'auront fait.

Vous le savez, les principaux émetteurs de gaz à effet de serre sont la Chine pour 28 % des émissions mondiales, les États-Unis pour 20 % et l'Union européenne et l'Inde pour environ 15 % chacune. Commençons par eux. Je n'ai pas d'inquiétude particulière à cet égard, bien qu'une difficulté soit très récemment survenue aux États-Unis : saisie par des États et des entreprises charbonnières qui souhaitaient suspendre la mise en oeuvre du plan contre les émissions des centrales au charbon - un engagement du Président Obama - la Cour suprême leur a donné gain de cause. La suspension, obtenue par cinq voix contre quatre, intervient dans l'attente d'une décision d'un tribunal de niveau inférieur. Le secrétaire d'État John Kerry, avec qui j'en ai discuté aujourd'hui, s'est montré rassurant ; reste que cette décision pourrait interférer avec l'élection présidentielle.

Deuxième étape, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCCC) doit préciser à partir du mois de mai une série d'éléments de l'accord, comme le reporting sur la manière dont les États remplissent leurs obligations ou encore le contrôle de l'application. En liaison avec mon successeur marocain, je compte faire en sorte que plusieurs points aient d'ores et déjà été éclaircis au mois de novembre, pour la COP22 à Marrakech. La notion de réévaluation des objectifs ou review est fondamentale ; nous avons obtenu un réexamen en 2018, j'espère que les parties seront incitées à aller plus loin.

La Conférence de Paris a débouché sur des engagements pris par les États, désignés sous l'acronyme anglais INDC. Sur les 195 États présents, 187 se sont engagés, certes avec des ambitions variables - le Costa Rica figure au premier rang - mais le simple fait que chacune des parties se soit livrée à un examen pour aboutir à ces engagements est une révolution.

J'ai bon espoir que ces INDC soient ultérieurement améliorés. Certes, aucune peine de prison ne menace les dirigeants nationaux qui ne les respecteront pas, mais la pression des pairs et des populations qui prennent de plus en plus conscience des conséquences du dérèglement n'est pas à négliger. Enfin, les novations technologiques à venir devraient contribuer à une évolution. Dans quelques années, des satellites pourront déterminer, en le survolant, la quantité d'émissions de gaz à effet de serre d'un pays donné.

Saluons à cet égard le rôle fondamental du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Il y a cinq ans, les réunions internationales sur le climat se divisaient en deux séquences : la première sur la réalité du dérèglement climatique, la seconde sur la responsabilité de l'homme dans ce dérèglement. Ces deux questions ont été tranchées, sauf peut-être aux États-Unis, nous laissant concentrer désormais nos efforts sur ce qu'il faut faire. D'après le Giec, si rien n'est fait pour réduire les dérèglements, nous sommes sur une trajectoire de + 4 à + 5 °C à la fin du siècle. C'est catastrophique et ce serait invivable. La somme des INDC nous ramène à une augmentation de 3 °C ; l'objectif de l'accord est d'infléchir encore la courbe jusqu'à 2 °C et, si possible, à 1,5 °C. L'inclusion de ce dernier chiffre dans le texte a fait l'objet d'une rude bataille, remportée avec le concours des petits États insulaires pour qui le danger n'est pas un dérèglement climatique mais une submersion par les eaux.

Examen périodique de la mise en oeuvre des INDC, novations technologiques, prise de conscience croissante du phénomène : voilà les ingrédients de l'infléchissement de la courbe des températures.

Le dérèglement sera beaucoup plus rapide qu'on ne le pense. Le jour où la décision de mettre en place une circulation alternée à Paris au-delà d'une concentration de particules fines de 50 microgrammes par mètre cube a été prise, je me trouvais à Pékin où la concentration était de 600 microgrammes ! Là-bas, la pollution entraîne des maladies respiratoires, mais aussi des problèmes économiques. Le pouvoir chinois en a pris conscience et s'efforce de faire de cette contrainte une source de création d'emplois. La Chine a déjà atteint l'excellence dans le solaire, elle s'engage dans les autres filières.

Vous estimez que cet accord n'est pas juridiquement contraignant ; c'est à voir, car certains éléments le sont.

Au mois de juin ou de juillet aura lieu, à l'invitation d'Angela Merkel, la réunion annuelle du Dialogue de Petersberg, suivie, au mois de septembre, de l'assemblée générale des Nations unies. Mais de nombreuses réunions non gouvernementales se tiendront aussi dans l'intervalle : le succès du sommet de Paris réside non seulement dans l'accord final, mais aussi dans la coopération entre les partenaires publics et les organisations non gouvernementales. C'est en réalité une série d'accords entre gouvernements, entre partenaires privés et entre entités publiques et privées qui fait toute la force de ce processus. Les collectivités territoriales se sont, elles aussi, engagées à un certain nombre de résultats - c'est une question que Ronan Dantec connaît bien. Les engagements des collectivités les plus importantes en matière de transport ou de logement sont susceptibles d'avoir un effet d'entraînement, d'autant plus si ces engagements figurent dans la plateforme Nazca de l'ONU.

Certains engagements associent l'État et les entreprises, notamment en matière de raccordement énergétique en Afrique. Citons également l'Alliance solaire internationale dirigée par le Premier ministre indien Narendra Modi, qui associe les pays situés entre les tropiques du Cancer et du Capricorne ainsi que la France et des partenaires privés ; ou encore la Mission innovation lancée par Barack Obama, François Hollande et Bill Gates, qui vise une augmentation des crédits de la recherche et de l'investissement pour, grâce aux sauts technologiques, atteindre l'objectif de 2° C voire 1,5° C. Les coûts comparés des énergies fossiles et renouvelables ont déjà été profondément modifiés, cette évolution devrait se poursuivre.

L'Agenda pour l'action sera décliné tout au long de l'année et suivi par un « champion » désigné par le président de la COP. J'ai ainsi nommé Laurence Tubiana championne pour la COP21, et mon successeur marocain fera de même pour la COP22. Comme nous avons été aidés par nos prédécesseurs péruviens, nous essaierons de faire en sorte que les Marocains prolongent et portent plus loin notre action.

Enfin, début septembre, un point sera fait à Nantes sur l'action des collectivités territoriales et la mise en oeuvre de leurs engagements précis. Ainsi se déploie le calendrier de l'année 2016. Une précision : président de la COP, j'étais chargé de parvenir à un accord et non de diriger la délégation française, une tâche qui incombait à la ministre de l'écologie. Mon mandat de président, bénévole, doit prendre fin au mois de novembre. Il a été jugé préférable que je conserve cette fonction après la Conférence car il serait difficile pour mon successeur de repartir de zéro.

Le dérèglement climatique est toujours abordé sous l'angle de la contrainte. Ce qu'il est, mais il convient de faire du risque une chance, en développant l'activité économique pour rester dans le wagon de tête. En Afrique tout particulièrement, le travail à mener est considérable. Nous essayons de faire du thème d'une vie durable un facteur de progrès.

Vous avez voté le budget de la COP ; il faut rendre hommage aux fonctionnaires, en premier lieu Pierre-Henri Guignard, qui en a suivi le déploiement et grâce à qui nous avons conclu la Conférence en deçà du budget initial.

Bien sûr, le chemin à parcourir est ardu. Le diable se niche dans les détails. Veillons à ce que les fruits tiennent la promesse des fleurs.

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