Intervention de Gilles de Kerchove

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 février 2016 à 9h05
Audition de M. Gilles de Kerchove coordinateur de l'union européenne

Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme :

Les compétences de l'immigration et du contrôle des frontières extérieures ont été pendant longtemps exercées sans lien avec les questions de sécurité, véritable « schizophrénie institutionnelle » qui résulte de la façon dont l'Union européenne s'est construite. En effet, on a communautarisé les compétences par étapes et en laissant volontairement de côté les aspects sécuritaires ; ainsi les compétences relatives à l'immigration et au contrôle des frontières extérieures, confiées à l'Union par le traité d'Amsterdam, ont-elles été exercées depuis des années sans beaucoup de lien avec les questions sécuritaires - en prenant ses fonctions, le nouveau directeur de Frontex a constaté que ses services étaient absents de la lutte contre la criminalité et le terrorisme, en particulier qu'ils n'avaient pas accès, dans l'opération Triton en Méditerranée, aux fichiers d'Europol. Les choses changent, chacun comprend bien qu'il faut recouper les témoignages et les informations du plus grand nombre de sources disponibles : Frontex et Europol ont passé, il y a deux mois, un accord pour échanger leurs données à caractère personnel, c'est le b-a ba.

Face à la crise migratoire, les États membres se mobilisent pour que les États en première ligne, en particulier la Grèce, disposent des outils de contrôle, ne serait-ce qu'une connexion suffisante à internet pour l'accès rapide au système Eurodac. La situation est critique : j'ai constaté, dans un hotspot en Italie, combien les services étaient débordés lorsque, dans un épisode de beau temps et de mer calme, quelque cinq mille migrants sont arrivés en quelques jours alors que la capacité d'accueil n'était que de trois cents places...

La procédure d'IPCR, dispositif intégré pour une réaction à l'échelon politique en situation de crise, a été déclenchée pour la crise migratoire ; elle force les acteurs à partager leurs informations sur les migrants qui entrent sur le territoire communautaire. Est-ce à dire que tous les migrants font l'objet d'un enregistrement en bonne et due forme, avec prise d'empreintes digitales ou biométriques ? Ce n'est certainement pas encore le cas.

Sur les services de renseignement, je rappelle que l'Union n'a pas de compétence ; cependant, dans la pratique, les services de renseignement des États membres échangent des informations au quotidien dans la lutte antiterroriste. Faut-il structurer davantage cette coopération ? Le Conseil européen l'a demandé, les services de renseignement y travaillent dans le Groupe anti-terroriste. Il faut s'assurer, ensuite, que les États aient tous un niveau élevé de renseignement, c'est loin d'être le cas ; la France a atteint un haut niveau, grâce à des équipements comme des satellites, des services complets - la DGSE, la DGSI, l'Académie du renseignement - et une véritable culture du renseignement, ce qui place votre pays au tout premier rang européen, avec la Grande-Bretagne, quand d'autres pays ont encore beaucoup d'efforts à faire.

Il faut également parvenir à ce que les services de renseignements partagent leurs informations avec le Système d'information Schengen (SIS) et Europol. Des États membres s'y refusent avec Europol, perçu comme un service de police et non de renseignement - le circuit doit alors passer par les services de police de l'Etat membre. En revanche, le SIS a démontré son efficacité, la France a fait des progrès spectaculaires dans le partage d'information : la plupart des fiches « S » figurent désormais dans le SIS, c'est loin d'être le cas pour les autres pays et j'en alerte les ministres concernés dès que j'en ai l'occasion. Nous avons intérêt à partager les informations très en amont, comme le fait la DGSI, parce que nous pouvons obtenir des résultats en agrégeant des faits qui paraissent peu significatifs pris isolément - c'est le cas, par exemple, quand un individu fiché en France prend, à Berlin, un billet pour la Turquie...

Il m'est difficile de répondre sur les algorithmes et la cybercriminalité ; ils peuvent effectivement aider à cibler des comportements anormaux, les services de renseignement travaillent dans ce sens et, de fait, plus notre dispositif passe par les technologies numériques, plus il est vulnérable à la cybercriminalité - je sors là de ma compétence, je sais que les services sont mobilisés et qu'il faut mettre l'ensemble des États membres à niveau, c'est l'objet de la directive de 2013 relative aux attaques contre les systèmes d'information, ainsi que de la stratégie européenne en la matière.

Je ne peux guère répondre non plus sur la disponibilité des fonds ; la commission Juncker a récemment mobilisé des fonds additionnels pour faire face à la crise migratoire, et nous pouvons compter également sur les fonds mobilisés pour aider les pays en première ligne, en particulier la Grèce et l'Italie.

Serait-il judicieux de racheter les armes de guerre qui sont dans les Balkans ? C'est la première fois que j'entends cette idée... créative, dont le coût serait probablement très élevé, surtout si l'on compte que des armes pourraient provenir aussi du Proche-Orient et de Libye...

Quant au débat franco-français sur l'état d'urgence et sur la déchéance de nationalité, je ne saurais m'y inscrire, vous le comprendrez.

Notre contrôle aux frontières extérieures est-il suffisant ? Nous pouvons faire bien mieux, c'est pourquoi je soutiens la proposition de la Commission tendant à modifier le code frontières Schengen afin de prévoir un contrôle systématique des ressortissants européens aux frontières extérieures, la Suisse par exemple contrôle 100% des entrants via ses aéroports ; la Commission européenne a fait des propositions à cet égard.

Quel contre-discours face à la radicalisation islamiste ? Je ne crois pas trop à un contre-discours qui serait diffusé par les gouvernements, mais plutôt au soutien apporté aux voix modérées qui, dans la société civile, s'élèvent sur ce sujet. Il y a des initiatives, Tweeter dispense par exemple une formation de quelques jours - qu'a suivie l'équipe de campagne du président Obama. Beaucoup peut être fait en la matière, avec des « repentis » qui reviennent de théâtres d'opération, ou encore dans les pays d'où viennent des terroristes - nous soutenons des actions en Tunisie et au Liban par exemple, bientôt en Jordanie.

Quel lien entre les migrants et le terrorisme ? La menace terroriste est endogène, des nationaux sont partis combattre en Syrie - mais le risque existe bien que Daech instille le doute sur les groupes de migrants, on l'a vu avec l'un des terroristes du Stade de France, détenteur d'un faux passeport syrien et entré comme migrant sur le territoire de l'Union ; les conséquences seraient alors très fortes dans l'opinion.

Quelle cohérence dans notre attitude envers le wahhabisme et le salafisme ? L'Union européenne doit débattre de ce sujet difficile, comme les États-Unis l'ont fait ; l'Arabie Saoudite est un pays allié, actif dans le partage de renseignement, confronté à de nombreux défis sur son territoire - nous avons de nombreux dossiers à évoquer avec eux, ils en sont bien conscients, en particulier le prosélytisme en dehors de leur territoire national.

Sur la contrefaçon, j'avoue manquer d'éléments...

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