Je vous remercie, Mme la Présidente.
Chaque 25 novembre, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, les statistiques rappellent tragiquement le bilan implacable des violences au sein des couples en France :
- tous les deux jours et demi en France, un homicide est commis au sein des couples ;
- en 2014, 143 personnes sont mortes en France, victimes de leur conjoint ou ex conjoint ;
- en incluant les suicides des auteurs et les autres victimes, ces violences ont causé la mort de 202 personnes en 2014.
Autrement dit, un meurtre sur cinq est le résultat de violences au sein du couple en France qui constitue une question politique centrale, comme le rappelait le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) dans son communiqué de presse du 25 novembre 2015.
En dépit des conséquences tragiques de ces violences, il a fallu attendre les années 1970 en France pour que se produise une prise de conscience de leur gravité.
Aujourd'hui, la lutte contre les violences faites aux femmes dans leur globalité fait l'objet d'une véritable politique publique, qui intègre la lutte contre les violences conjugales ; à ce jour, depuis 2005, quatre plans d'action pluriannuels ont été adoptés.
Trois lois sont intervenues pour donner à la justice les moyens d'intervenir : la loi du 4 avril 2006 a été complétée par la loi 9 juillet 2010 puis par celle du 4 août 2014 pour prévoir l'ordonnance de protection, généraliser le téléphone grave danger (TGD) et inscrire dans la loi les stages de responsabilisation pour les auteurs de violences.
En dépit d'une mobilisation incontestable des services publics - en particulier de police et de gendarmerie, et d'un renforcement des dispositifs légaux visant à prévenir ces violences, on n'observe malheureusement pas de diminution significative du nombre de femmes déclarant être victimes de violences de la part de leur conjoint. Ce constat nous a incités à effectuer un bilan de la mise en oeuvre des dispositifs destinés à lutter contre les violences au sein des couples.
Je remercie mes collègues du groupe de travail pour la collaboration confiante que nous avons su instituer sur un sujet aussi grave. D'octobre 2015 à janvier 2016, les membres de notre groupe du travail ont entendu :
- la responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, également coordinatrice nationale de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein de la MIPROF, le Procureur de Paris, des représentants des deux principaux syndicats de la magistrature, des associations de défense des droits des femmes, une avocate spécialisée dans les violences faites aux femmes ainsi que des médecins et psychologues. Vous rappeliez également, madame la présidente, le déplacement en Seine-Saint-Denis effectué à l'invitation de la responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes du conseil départemental de ce département.
Ces contacts ont confirmé que la lutte contre les violences au sein des couples constitue aujourd'hui une politique publique à part entière, clairement identifiée au sein des violences faites aux femmes.
L'ensemble de nos interlocuteurs l'ont relevé : une pause législative est souhaitable actuellement car les acteurs de la lutte contre ces violences disposent d'outils pour mener leurs missions parmi lesquels l'ordonnance de protection, le téléphone grave danger et la mesure d'accompagnement protégé sont probablement les plus emblématiques. Il faut laisser aux professionnels, magistrats, responsables associatifs, et auxiliaires de justice et de police le temps de se les approprier et de leur permettre d'atteindre leur pleine efficacité.
L'ordonnance de protection justifie un développement particulier car c'est le besoin d'un bilan de ce dispositif, cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi de 2010, qui se trouve à l'origine de la constitution du groupe de travail.
La délivrance de l'ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales implique un changement complet de mentalité car l'ordonnance ne suppose pas le dépôt d'une plainte par la victime, ce qui constitue une innovation importante.
Dans l'esprit du législateur, cette nouvelle mesure visait des objectifs très ambitieux : elle devait permettre de mettre à l'abri rapidement (en 72 heures dans l'esprit du rapporteur du Sénat) une femme en danger à l'intérieur de son foyer, sans présager de la culpabilité de l'auteur, et d'organiser la séparation de manière provisoire (six mois renouvelables).
Le caractère novateur de cette nouvelle procédure consistait à conférer au juge civil, en dehors de toute procédure pénale, le pouvoir de prendre des décisions dans l'urgence concernant la garde des enfants, de faire attribuer des papiers aux victimes en situation irrégulière, d'accorder l'aide juridictionnelle provisoire et de faire arrêter l'auteur présumé quand il enfreint les prescriptions de l'ordonnance.
Cette novation complète suscite, vous vous en doutez, certaines réticences, voire résistances parmi les magistrats, formés à une culture de la conciliation, et explique en grande partie une montée en puissance relative et inégale selon les juridictions.
Sur un plan quantitatif, derrière une augmentation constante du nombre d'ordonnance de protection (OP) délivrées en France, se dessine une grande disparité selon les départements et les 200 OP prononcées chaque année en Seine-Saint-Denis ne valent pas pour tous les départements.
Sans en sous-estimer les difficultés d'application, le groupe de travail estime que l'objectif d'efficacité, qui fonde la spécificité de l'ordonnance de protection, justifie le caractère hybride de la procédure (à la marge entre la procédure civile et la procédure pénale).
Sa montée en puissance doit s'accompagner d'un travail de formation et d'accompagnement, tant du juge qui prend la décision de délivrer l'ordonnance, que des avocats qui formulent les requêtes des parties demanderesses. Nous reviendrons sur l'importance de la formation de l'ensemble des professionnels qui interviennent au cours de la procédure de l'OP.
Je souhaite ensuite souligner les avancées réelles de la politique pénale de lutte contre les violences au sein des couples : même si des progrès restent à réaliser, certains procureurs ont mis en place des politiques exemplaires. C'est le cas à Paris.
Je vous rappelle que le juge pénal ne peut prononcer de mesures de protection et engager des poursuites judiciaires contre l'auteur des violences que si un signalement a été effectué, soit auprès de la police ou de la gendarmerie, soit auprès du procureur de la République.
Même si l'on rencontre encore des cas où des femmes n'ont pas reçu au commissariat l'accueil et l'écoute qu'elles sont en droit d'attendre, il est ressorti de nos entretiens que, dans toute la France, les parquets ont mis en place des réseaux de réflexion visant à améliorer l'accueil des victimes, à assurer une réception plus effective des dépôts de plainte (trop souvent requalifiés par le passé en mains courantes) et à mieux apprécier les priorités en matière de traitement des dépôts de plainte pour violences au sein des juridictions. La présence d'intervenants sociaux dans les commissariats, dont le nombre a été multiplié par deux, participe de la même volonté.
À Paris, l'objectif défini est d'apporter une réponse ferme aux cas déclarés de violence au sein des couples : je veux insister sur le fait que la médiation pénale, parce qu'elle ne met pas en présence les deux parties à égalité, y est proscrite dans les affaires de violence conjugale.
La concertation au sein des juridictions entre les juges du pénal et le juge civil, éventuellement saisi d'une ordonnance de protection nous a paru une procédure à généraliser et nous proposerons une recommandation en ce sens.
Nous le savons bien, la formation de l'ensemble des intervenants chargés du traitement des violences est un facteur clé de réussite. Dans ce domaine, nous avons identifié deux priorités, qui ont trait non seulement à la poursuite de l'effort de formation de l'ensemble des professionnels (magistrats, avocats, policiers et gendarmes, personnels de santé) mais aussi à la mise en place d'un maillage partenarial de lutte contre les violences au sein des couples sur l'ensemble du territoire, sur le modèle de ce que nous avons observé en Seine-Saint-Denis, véritable laboratoire d'innovations et d'expérimentations. Je voudrais souligner l'intérêt des expérimentations qui y sont actuellement conduites, s'agissant notamment de la mesure d'accompagnement protégé des enfants et de la prise en charge des enfants mineurs orphelins, lorsqu'un des parents est tué par son conjoint, dans le cadre du protocole dit « féminicide ». Chaque expérimentation fait l'objet d'une convention qui installe un comité de pilotage de l'expérimentation.
Concernant la formation, rappelons que l'article 51 de la loi d'août 2014 fixe l'objectif de former tous les professionnels en lien avec les violences, notamment sur la nécessité de veiller à ne pas mettre en présence l'auteur et la victime. Plusieurs guides d'information ont déjà été réalisés par la MIPROF et sont à l'heure actuelle diffusés. Il faut plaider pour une meilleure diffusion encore de ces documents. Nous avons également constaté que la connaissance des conséquences psycho-traumatiques des violences au sein des couples pourrait être améliorée. Une recommandation sera formulée en ce sens. À cet égard, il est important de relever que, en partenariat avec le centre de psycho-traumatologie de l'Institut de victimologie de Paris, le département de la Seine-Saint-Denis propose aujourd'hui 17 consultations de psycho-traumatologie, ce qui est exemplaire.
Bien entendu, la réussite de la mobilisation dans ce département repose essentiellement sur l'impulsion et la coordination de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes.
Eu égard à son rôle déterminant, notre groupe de travail propose la généralisation de tels observatoires sur tout le territoire.
Avant de vous présenter les recommandations du groupe de travail, j'en viens aux insuffisances que nous avons détectées.
Nous estimons nécessaire de traiter la violence à la source et d'anticiper les dégâts psychologiques qui en sont la conséquence et qui trop souvent font le lit des violences futures. C'est dans cet esprit que nous avons consacré un chapitre de notre rapport à la nécessité d'« enrayer le cycle de la violence » et que nous jugeons souhaitable de s'intéresser tant au traitement des auteurs qu'à la prise en charge des conséquences traumatiques de la violence sur les victimes, et tout particulièrement sur les enfants.
En ce qui concerne le traitement des auteurs, nous avons remarqué avec intérêt qu'au Canada, les centres d'accueil pour les hommes violents existent depuis 1982. En France, il a fallu attendre 2005 pour que le Plan global de lutte contre les violences au sein du couple intègre dans ses composantes la prise en compte des auteurs de violences, pour renforcer les sanctions à leur encontre et leur prise en charge thérapeutique. Notre pays accuse donc du retard sur ce point.
Quand on sait que la majorité des auteurs continuent de vivre avec le conjoint qui subit leur violence, la prise en charge psychologique de l'auteur apparaît tant comme un élément de lutte contre la récidive que comme une mesure de protection de la victime et des enfants.
L'audition du Docteur Louvrier, président de l'association Le cheval bleu, centre d'hébergement situé à Lens a été très constructive sur ce point. Elle a renforcé la conviction acquise lors du déplacement de membres de notre délégation à Arras le 25 novembre 2014, au Home des Rosati, qui dispose d'une dizaine de places pour accueillir les hommes auteurs de violences. Le groupe de travail vous proposera, par conséquent, l'institution d'un label qui permettrait de distinguer des structures pilotes proposant l'accueil et la prise en charge des auteurs de violences conjugales, afin de pouvoir diffuser les bonnes pratiques sur l'ensemble du territoire.
S'agissant de l'insuffisante prise en compte des conséquences psycho-traumatiques de ces violences sur les victimes, et en particulier sur les enfants, il semble que dans notre pays ces conséquences soient sous-estimées, tant de la part des professionnels que du public : or ce retard est d'autant plus préoccupant qu'une prise en charge précoce est véritablement indispensable au rétablissement des victimes, comme l'ont démontré les psychologues interrogés.
Or il n'existe pas en France à proprement parler de centres spécialisés dans la prise en charge spécifique des conséquences posttraumatiques des violences intrafamiliales. Le groupe de travail estime qu'il faudrait publier un répertoire des centres de prise en charge spécialisés des conséquences traumatiques des violences intrafamiliales et que mission pourrait être confiée à la MIPROF. Une recommandation sera formulée en ce sens.
De nombreuses prises en charges psychothérapiques sont efficaces et des outils de soins existent, il faut le souligner. Les 17 consultations en Seine-Saint-Denis le prouvent. L'idéal serait la mise en place d'un centre de psycho-trauma par bassin de 200 000 habitants ou par département, après expérimentation dans des départements pilotes à identifier. Une recommandation sera formulée en ce sens.
J'en viens maintenant au délit de harcèlement psychologique au sein du couple, défini par l'article 31 de la loi du 9 juillet 2010 et qui reste difficile à détecter et à prouver. En effet, il est impossible de savoir précisément combien de requêtes déposées visent cette disposition du code pénal car les cas de violences sont enregistrés globalement. Le délit de harcèlement psychologique au sein du couple est peu connu, notamment des magistrats, même si le fait qu'un cas ait été poursuivi à Paris montre que la constitution de ce délit peut être prouvée. Le groupe de travail souhaite donc qu'une circulaire du Garde des Sceaux rappelle le contenu de l'article 222-33-2-1 du code pénal et attire l'attention des magistrats sur ce délit.
Parallèlement, le logement est, c'est évident, une question centrale de la lutte contre les violences conjugales. Le droit de bénéficier d'un logement, que ce soit dans l'urgence ou de façon plus pérenne, après un jugement, constitue une étape essentielle pour la victime et pour les enfants.
Certes, l'article 35 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes a affirmé le principe de l'éviction du conjoint violent du logement du couple et le maintien de la victime dans celui-ci.
L'article 19 de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants avait modifié les articles 4 et 5 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, afin de favoriser l'accès à un logement social des femmes victimes de violences.
Le groupe de travail vous propose de recommander le renforcement des financements des associations mettant à la disposition des victimes de violences des hébergements spécifiques permettant un parcours vers l'autonomie et de demander au ministère en charge du logement des statistiques précises du nombre de logements sociaux attribués pour le motif « violences familiales ».
J'aborde maintenant la situation des enfants, encore trop souvent considérés comme des témoins et non comme des victimes à part entière de la violence intrafamiliale.
Les professionnels qui travaillent avec les enfants nous ont beaucoup émus, tant par leur bienveillance que par leur dévouement admirable.
À cet égard, la mesure d'accompagnement protégé, qui consiste à encadrer le droit de visite du père, nous a semblé intéressante. Expérimentée en Seine-Saint Denis, nous souhaitons qu'elle puisse être diffusée à l'ensemble du territoire. Une recommandation vous sera proposée en ce sens.
Enfin, la question de l'autorité parentale et de son éventuel retrait visant le père violent qui aurait commis un acte grave envers la mère des enfants a fait l'objet d'un débat long et complexe entre les membres du groupe. Interrogé sur le sujet, le procureur de la République de Paris a estimé que le juge devait pouvoir apprécier au cas par cas la pertinence d'une mesure de retrait. Le groupe de travail a été sensible à ces arguments mais il nous a semblé contestable que, dans les cas les plus extrêmes comme celui de l'assassinat, un juge puisse confier l'autorité parentale au conjoint meurtrier, car cela nous a paru en contradiction avec toutes les analyses produites par les pédopsychiatres sur le sujet.
L'article 20 de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant, déposée au Sénat par Michelle Meunier, Muguette Dini et plusieurs de leurs collègues le 11 septembre 2014 visait à modifier l'article 378 du code civil afin, notamment, de rendre automatique le retrait total de l'autorité parental par une décision expresse du jugement pénal, à l'encontre des père ou mère qui auraient été condamnés comme auteurs, co-auteurs ou complices d'un crime sur la personne de l'autre parent. Au cours de l'examen en séance, le 28 janvier 2015, cet article a été supprimé. Conscient des difficultés soulevées par cette modification, le groupe de travail souhaite néanmoins que le ministère de la justice travaille sur la question du retrait de l'autorité parentale quand le père ou la mère aurait été condamné comme auteur, co-auteur ou complice d'un crime sur la personne de l'autre parent.
Je vous remercie de votre écoute.