Comme vient de l'indiquer M. Borniche, les partenaires conventionnels ont pris des mesures de régulation dans le cadre de diverses conventions, à commencer par celle des infirmières. Cette initiative est partie du constat d'une mauvaise répartition géographique des professionnels dans différents métiers.
Je ferai cependant un constat un peu plus nuancé que lui, car en comparaison de l'écart de densité qui, dans certaines professions paramédicales, en particulier celles des infirmiers, allait de 1 à 9, celui des médecins généralistes va de 1 à 2 - cela dit sans minimiser les problèmes que connaissent certaines zones, où les patients ont le plus grand mal à trouver un généraliste.
Permettez-moi de rappeler tout d'abord le champ dans lequel les conventions avec les professionnels de santé libéraux interviennent. Pour qu'une convention mette en place des mesures incitatives ou de régulation dans un cadre conventionnel, il faut que le code de la sécurité sociale lui en reconnaisse la compétence. Cela était le cas pour les infirmiers, mais pas pour les masseurs-kinésithérapeutes, ce qui a conduit à l'annulation, par le Conseil d'Etat, du dispositif de régulation les concernant. Depuis, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a introduit cette nécessaire base juridique, de même que pour les sages-femmes, dont le dispositif de régulation manquait de cette assise, et les chirurgiens-dentistes, pour lesquels n'existaient, jusqu'à présent, que des mesures incitatives.
Hormis pour les infirmiers, qui avaient été pionniers en 2008, et ont même élargi la portée du dispositif par un avenant de 2011, un dispositif de régulation existait donc pour les masseurs-kinésithérapeutes, qui a été invalidé et sera renégocié en fin d'année, ainsi que pour les sages-femmes, via une régulation au conventionnement. Un tel dispositif, enfin, va s'ouvrir pour les chirurgiens-dentistes, à côté des mesures incitatives.
Je précise que la régulation porte sur le conventionnement et non l'installation, ce qui n'a pas la même portée selon les professions : autant une infirmière non-conventionnée a peu de chances de pouvoir s'installer, autant cela est moins vrai pour un masseur-kinésithérapeute, qui peut avoir d'autres activités. J'ajoute que la régulation n'a jamais bloqué le conventionnement : les dispositifs existants retiennent plutôt le principe du « un pour un » - un conventionnement pour un départ. Rappelons enfin que la régulation n'a pas été conçue pour imposer l'installation dans certaines zones. Tous les dispositifs existants ont toujours procédé, pour les zones sous-dotées et très sous-dotées, par des mesures incitatives.
Notre conviction est que lorsque les professionnels libéraux sont d'accord, on parvient à construire ensemble des solutions qui ont plus de chances d'être adoptées. On voit bien que les professions qui l'ont décidé sont parvenues à mettre en place une régulation, tandis que celles qui n'acceptent pas de faire de même - avec, aussi, de bonnes raisons, car les enjeux sont très différents selon les professions - restent en retrait. Dès lors que l'on a une base juridique, on peut mettre en place des dispositifs adaptés, précisément, à ces enjeux différents : telle est la force du dialogue conventionnel.
Quel bilan ? Je comprends bien que vu des territoires en tension, il n'apparaît pas sous le même jour que considéré au plan national et statistique. Vous savez que la semaine prochaine débute la négociation d'une nouvelle convention médicale et que l'accès aux soins entre dans les lignes directrices de la ministre et les orientations du Conseil de l'Ordre. Nous avons donc dressé un bilan du contrat incitatif, qui a bien fonctionné par rapport aux précédents, puisqu'il a recueilli davantage d'adhérents. On a le sentiment que cela a évité une détérioration de la situation dans certaines zones. En revanche, le mécanisme innovant de l'option santé-solidarité, par lequel des médecins venus de zones bien dotées étaient incités à venir en zone sous-dotée, n'a pas produit les résultats escomptés et mériterait d'être revisité. Autre constat : les mesures incitatives proportionnelles redonnent certes du revenu dans des zones où les médecins sont moins nombreux, mais ne résolvent pas le problème.
La négociation conventionnelle sera l'occasion de poser toutes ces questions, et d'ouvrir la discussion avec les jeunes médecins, que nous allons inviter à la séance d'ouverture, qui portera justement sur la démographie.
On voit qu'il n'y a pas de méthode ni de solution unique, comme en témoigne d'ailleurs l'inventivité au niveau local. Des études, comme celle de l'IRDES (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé) ont montré que les maisons de santé pluriprofessionnelles, lorsqu'elles fonctionnent bien, améliorent la situation ou, du moins, évitent une détérioration.
Dans les professions en croissance, comme celle des infirmiers ou des sages-femmes, la régulation, qui évite que les installations se fassent toutes en zone surdotée, couplée à des mesures d'incitation, produit des résultats, ainsi qu'en témoignent les coefficients statistiques et les taux d'installation dans ces zones. Elle ne corrige pas tout, mais comble certaines inégalités de répartition. Mais tout dépend des professions, les enjeux étant différents selon qu'il s'agit des chirurgiens-dentistes, qui voient arriver beaucoup de diplômés, ou des médecins.
Le bilan est donc positif pour certains, plus mitigé pour d'autres. On n'a pas été au bout de l'inventivité, de la bonne articulation des différentes mesures. Ce qui m'amène à rebondir sur ce qu'a dit Mme Frelat : il est bon que les idées foisonnent, mais cela peut brouiller le paysage. Si bien que l'assurance maladie et les Agences régionales de santé (ARS) ont un rôle à jouer pour rendre les incitations lisibles, car bien souvent, les jeunes ne les connaissent pas.
Autre levier, la diversification des modes de rémunération. La convention médicale s'est engagée dans cette voie et nous nous efforçons d'avancer. Il s'agit aussi de mieux organiser le parcours de soin, afin de dégager du temps collectif. La simplification administrative, la télémédecine sont aussi des moyens de dégager du temps pour les médecins. Il faut faire jouer tous les leviers. Et pour certaines professions spécialisées où se pose un problème de délai de rendez-vous, comme celle des ophtalmologistes, l'idée d'une aide apportée par les orthoptistes, comme l'a permis la loi de modernisation de notre système de santé, peut aussi être un levier. Tout ce qui est exercice pluriprofessionnel, aussi, où un accord, repris par un règlement arbitral, sera renégocié l'an prochain, constitue également un gisement.