Intervention de Patrick Bouet

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 17 février 2016 à 9h00
Démographie médicale — Table ronde

Patrick Bouet, Président de l'Ordre national des médecins :

Je veux parler du débat entre M. Poher et moi. Mais nous aurons l'occasion de le mener tous deux.

Comment construire une politique territoriale d'accès aux soins qui permette de respecter l'équité, en faveur de la population, sur l'ensemble du territoire ? Telle est la gageure. Se posent, de là, des questions de fond, dont la première porte sur ce qu'il faut entendre par accès aux soins : la présence permanente d'un médecin ou l'organisation de l'accès aux soins pour la population ? Faut-il mettre un professionnel de santé en tous points du territoire ou bien plutôt des coeurs de prestation et de distribution des soins, permettant aux professionnels d'irriguer le territoire ? Cette question est fondamentale, car nous oscillons pour l'heure entre des mécanismes de regroupements pluridisciplianires et des initiatives de collectivités qui souhaitent maintenir dans leur territoire la présence permanente de professionnels.

Nous ne disons pas qu'il ne faut pas mettre en oeuvre de régulation. Nous sommes d'ailleurs un organisme régulateur. Nous disons que la régulation ne peut être une solution unique, hors toute intégration dans l'ensemble des mécanismes des parcours professionnels - notamment la formation des jeunes. À quand la fin de la culture de l'expérimentation, pour aboutir à la vraie mise en place de protocoles visant à l'installation des professionnels et l'irrigation des territoires ?

Il ne s'agit pas d'inventer, cependant, pour retenir ce qui a été un échec ailleurs. Notre modèle de liberté totale, pose, de fait, un problème de répartition sur le territoire. Mais l'expérience inverse, en Europe, de coercition absolue, menée par l'Allemagne avant la réunification, dans un souci d'anticipation, n'est guère un exemple. Elle a consisté à contraindre les médecins, dans le cadre du conventionnement, à exercer dans un lieu désigné avant de choisir une installation de leur choix. Le résultat en est que dans les Länder de l'Est, il y a trois fois moins de médecins que dans les Länder de l'Ouest et que dans les grandes villes comme Berlin, des quartiers entiers restent sans médecins. L'Allemagne a fait le pari du conventionnel comme le seul moyen de mettre en oeuvre la prise en charge des soins. Mais elle a ce faisant engagé un autre pari, consistant à ouvrir la porte de la prise en charge des soins aux assureurs complémentaires. Si bien que les médecins ont choisi d'aller vers l'assureur complémentaire plutôt que vers l'assureur obligatoire.

L'Angleterre a mis en place un système encore plus draconien : elle n'autorise que 100 000 médecins à s'installer librement. Tous les autres, pour pouvoir exercer en autonomie, doivent être admis dans la pratique de ces médecins autonomes - et notamment les médecins en provenance d'autres pays. C'est un échec, car dans les espaces sous-dotés, on assiste à une accélération majeure de la désertification.

Regardons à présent la Hollande, qui a choisi la voie du regroupement des professionnels et de la territorialité : elle a réussi son pari de créer des espaces communs à partir desquels les professionnels irriguent le territoire néerlandais. Ce n'est pas parfait, puisqu'il existe des problèmes dans certaines régions, notamment du nord, mais c'est encore un autre système.

Ne négligeons pas les enseignements de ces différentes tentatives. Ce que nous pensons, c'est que pour réussir la territorialité et assurer l'accès aux soins des populations, nous devons inventer un modèle regroupant un ensemble de dispositions, qui ne sauraient consister en de pures mesures incitatives à bourse ouverte, lesquelles ne donnent pas de résultats, mais doit tenir compte des spécificités territoriales, et par conséquent s'appuyer sur les initiatives locales.

J'ajoute que le problème de l'installation ne concerne pas seulement la médecine libérale : 40% des postes de praticien hospitalier ne sont pas pourvus. Il faut donc une politique qui vienne aussi irriguer les hôpitaux, car comment s'organiser via des groupements hospitaliers de territoire si ces groupements manquent de la ressource humaine nécessaire pour fonctionner ? Comme vous l'avez relevé, la permanence des soins a été totalement déstructurée à partir du moment où la loi a permis que ce soit le volontariat qui prévale pour les gardes - nous y étions défavorables. Elle est déstructurée tant au niveau de la médecine libérale que dans la capacité des hôpitaux à jouer le rôle d'acteurs complémentaires. C'est donc bien sur l'ensemble qu'il faut raisonner.

Un mot, pour finir, sur les médecins étrangers. L'exemple cité par M. Pointereau, nous le vivons en permanence. Le maire d'une région rurale m'a un jour interpellé sur ce problème. À la suite du départ en retraite d'un médecin, sa commune a restauré, pour 80 000 euros, le cabinet médical, et investi dans un chasseur de tête qui lui a trouvé une praticienne roumaine. Pour qu'elle puisse exercer en France, il a fallu, comme le veulent les règles européennes, en passer par la procédure d'autorisation d'exercice. Une fois cette jeune consoeur installée, le maire réinvestit 40 000 euros pour créer, dans l'idée d'une maison médicale, un cabinet d'infirmier et de kinésithérapeute mais voilà que quatre mois plus tard, cette jeune consoeur quitte la commune... pour aller s'installer huit kilomètres plus loin, dans une commune plus importante où le maire a mis en place, avec les professionnels de sa commune, une maison médicale. Moyennant quoi ce maire, ayant investi toutes ces sommes pour rien, m'envoie une lettre dans laquelle il me reproche d'avoir autorisé ce médecin à exercer.

Ceci pour dire qu'il est indispensable de dialoguer, pour construire les choses de concert, sans quoi on continuera, d'anathème en anathème, à se reprocher mutuellement notre manque de souplesse et d'adaptabilité.

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