Intervention de Gaëtan Gorce

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2016 à 9h35
Audition de s.e. dr khalid bin mohammad al ankary ambassadeur d'arabie saoudite en france

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

La région est traversée par une crise profonde, débouchant sur un flux massif de réfugiés vers le Liban ou la Jordanie. Peu se dirigent vers l'Arabie saoudite. Envisagez-vous d'ouvrir vos frontières, qui restent actuellement assez hermétiques ?

Dr Khalid Bin Mohammad Al Ankary. - Ce sont des questions importantes et sensibles.

Nous souhaitons toujours avoir des relations de bon voisinage avec les pays voisins et notamment l'Iran, fondées sur le respect des intérêts communs, d'autant que nos deux peuples ont beaucoup en commun. Malheureusement, au cours des quatre décennies écoulées - surtout depuis 1979 - les relations saoudo-iraniennes ont beaucoup évolué à cause des idées de la révolution iranienne, et en particulier de la volonté d'exporter la révolution dans d'autres pays. L'Iran s'est ingéré dans les affaires des pays voisins, ce que nous refusons. Cette politique iranienne est constante, à l'exception des présidences de MM. Rafsandjani et Khatami, durant lesquelles le pouvoir iranien était plus rationnel et avait arrêté son ingérence. Nos relations s'étaient bien améliorées, avec des conséquences positives sur les relations économiques, culturelles et politiques dans la région. Cela n'a pas duré après les élections de MM. Ahmadinejad et Rohani. Souhaitons que ces relations reviennent à la situation précédente.

Malheureusement, le gouvernement iranien - non le peuple iranien, avec lequel nous avons de bonnes relations - déploie des efforts considérables pour renforcer le confessionnalisme dans la région. Depuis deux ans, l'Iran, par le Hezbollah, son bras armé au Liban, a empêché l'élection du président de la République libanaise, malgré plus de 34 tentatives du Parlement libanais pour se réunir et élire un président. Espérons que la situation s'améliorera et qu'un président pourra être élu.

En Syrie, l'intervention de l'Iran par le biais du Hezbollah, des gardiens de la révolution iranienne et des milices irakiennes ayant des liens avec l'Iran et se battant en Syrie, protège le régime de Bachar el-Assad. L'ingérence est flagrante également en Irak ou à Bahreïn : des armes passent en contrebande d'Iran. En Arabie saoudite, certains extrémistes saoudiens, comme ceux du parti Hezbollah du Hedjaz - zone occidentale de l'Arabie saoudite où se trouve La Mecque - ont été formés et entraînés en Iran. Ce parti, créé en Iran, dont la base principale est à Qom, veut déstabiliser notre pays et a mené des opérations terroristes. L'Iran mène ses opérations soit directement, soit par le biais de ses agents et de ses représentants. Cela n'aide pas à stabiliser la région, ni à rétablir des relations normales entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Si cette politique se poursuivait, l'avenir ne serait pas très prometteur pour la stabilité de la région.

Je citerai quelques exemples. En 1983, deux explosions concomitantes du Hezbollah à Beyrouth ont fait 241 morts et plus de 100 blessés dans l'infanterie de marine américaine et 64 morts français, civils et militaires, dans l'attentat contre la base des forces françaises, composante de la force des Nations-Unies. En 1983, des éléments du Hezbollah et du parti Al Dawa dépendant de l'Iran ont attaqué les ambassades américaine et française au Koweït. En 1991, Chapour Bakhtiar, dernier Premier ministre du Shah, a été assassiné près de Paris. En 1992, un attentat dans un restaurant à Berlin a fait quatre morts : le procureur général allemand a lancé un mandat d'arrêt contre Ali Fallahian, chef des services de renseignement iraniens. En 1994, une attaque contre le centre culturel juif de Buenos Aires a fait 85 morts et 300 blessés ; en 2003, la police britannique a arrêté l'ex-ambassadeur iranien en Argentine, Hadi Soleimanpour, accusé d'avoir planifié cet attentat. En 1996 un attentat a fait plus de 120 morts à Khobar en Arabie saoudite, en majorité des soldats américains. L'un des meneurs arrêtés, le saoudien Ahmed Al Mughassil, porteur d'un passeport iranien, a été formé et entraîné en Iran. L'attaché militaire iranien au Bahreïn était également impliqué.

En 1987, l'ambassade saoudienne en Iran a été occupée, pillée et brûlée, et cela s'est produit à nouveau début 2016 : les agresseurs ont été poussés par certaines instances officielles. N'oublions pas l'occupation en 1979 de l'ambassade américaine, en 1988 l'occupation et l'incendie de l'ambassade soviétique - au prétexte que l'Union soviétique collaborait avec Saddam Hussein -, en 1999 l'occupation de l'ambassade du Pakistan et en 2011 celle de l'ambassade britannique. Ces agressions enfreignent le droit international, et le Conseil de sécurité de l'ONU avait condamné ces actes terroristes.

L'Iran fait également parvenir en contrebande armes et munitions, comme dernièrement, en énorme quantité, au Koweït. Nous devons toujours nous assurer que l'Iran ne répètera pas de tels actes - difficile à croire avec une si longue histoire de violations du droit international. Nous souhaiterions pourtant avoir de bonnes relations avec ce pays, compte tenu de son poids dans la région.

Je suis content qu'on ait abordé le sujet du terrorisme et de son financement. Mme Goulet a pris connaissance de certains éléments lors de sa visite : elle a vu personnellement les choses sur place et a peut-être même davantage d'informations que moi !

L'Arabie saoudite souffre du terrorisme comme d'autres pays - dont la France. Nous vivons au coeur d'une région où prolifèrent des actions terroristes commises par Al Qaida ou désormais Daech. Nous menons d'importants efforts pour résister, sensibiliser la population, organiser la répression et prévoir des sanctions contre les auteurs des crimes, en proportion de ceux-ci.

L'Arabie saoudite participe à tous les instruments internationaux de lutte contre le financement des organisations terroristes : contrôle des mouvements bancaires, surveillance des ONG et des associations caritatives - certaines d'entre elles utilisent ces activités comme une couverture pour financer des organisations terroristes. Nous avons donc réduit les activités de ces organisations. Plusieurs lois ont régulé les transferts, les surveillent et sanctionnent les infractions. Les documents du Conseil de la Choura, demandés par Mme Goulet et en cours de traduction, vous seront communiqués dans les tout prochains jours.

Depuis la révolution populaire au Yémen en 2011, les pays du Golfe ont proposé des solutions pacifiques. L'initiative des pays du Golfe, adoptée par les Nations-Unies, a permis l'élection d'un nouveau président et la constitution d'un gouvernement. Malheureusement, des milices houthies ont refusé cette solution, ainsi que les forces de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, qui a quitté le pouvoir après la révolution et qui bénéficiait d'une immunité dans le cadre de l'initiative internationale. Il n'a pas respecté cet accord et les houthis ont commencé à occuper les principales villes yéménites et à paralyser les institutions, empêchant le gouvernement légitime de gouverner. Ce dernier a demandé à l'Arabie saoudite d'intervenir. Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution qui appuie cette intervention, pour assurer la légitimité du gouvernement yéménite.

Les forces de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite sont en train de libérer une grande partie du territoire yéménite, et se trouvent à 20 kilomètres de la capitale - s'ils n'avancent pas jusqu'à Sanaa, c'est en raison de la complexité du relief et pour préserver les civils. Nous espérons que les opérations militaires se termineront prochainement, après la récupération de la capitale par le gouvernement légitime. La solution politique existait dès le début, notamment grâce au travail remarquable de l'envoyé des Nations-Unies, M. Ismail Ould Cheikh Ahmed, mais les milices houthies et les forces soutenant l'ancien président Saleh l'ont refusée.

Peut-on envisager une opération terrestre en Syrie ? Ce pays est dans une situation humanitaire déplorable avec de nombreuses victimes civiles. Elle subit de nombreuses interventions étrangères de l'Iran et de ses alliés en Irak et au Liban. Les bombardements russes ne distinguent pas l'opposition légitime des organisations terroristes, ni les cibles militaires des cibles civiles. Nous avons tous vu les images des sièges inhumains de nombreux villages et villes.

Le roi d'Arabie saoudite a annoncé que si la coalition internationale - dirigée par les Américains - décide d'intervenir au sol, notre pays participera à cette intervention terrestre en tant que membre de cette coalition. Pour le moment, nous n'avons aucun signe d'une telle intervention.

Nous préparons l'après État islamique, pour instaurer un gouvernement légitime en Syrie, à travers les négociations entre les représentants du régime (sans Bachar el-Assad) et les insurgés syriens (sans les terroristes du Front Al Nosra et de Daech, avec lesquels on ne peut pas négocier). Si les négociations de Genève aboutissent, nous pourrons envisager cette transition pacifique vers un nouveau régime en Syrie.

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