Pour faire écho aux propos de mon collègue, tout attentat, qu'il se déroule sur le sol français ou fasse des victimes parmi nos compatriotes à l'étranger, est ressenti comme un échec également par la DGSE. La mission de mon service consiste à détecter et entraver la menace à l'étranger, qu'elle vise le sol français ou nos intérêts ailleurs dans le monde. Si nous n'avons pu éviter les attentats du 13 novembre ni les attaques du Radisson Blu à Bamako ou du Cappuccino à Ouagadougou, nous avons contribué, au côté de la DGSI, à empêcher d'autres attentats en France ainsi que plusieurs attaques notamment en Afrique.
La menace présente plusieurs aspects inédits : la territorialisation du groupe État islamique, grâce au concours d'anciens officiers de Saddam Hussein ; une cruauté absolue, un nihilisme mais aussi un véritable professionnalisme, Al-Baghdadi s'étant assuré les compétences d'ingénieurs et de propagandistes de métier. C'est visible dans la qualité morbide de la propagande de Daesh, mais aussi dans sa capacité à utiliser des méthodes clandestines de communication, de transport, etc.
Comme Patrick Calvar l'a rappelé, des instructions ont été données par des dirigeants du groupe État islamique pour de nouvelles opérations en Europe. Et la menace vient aussi de la mouvance Al-Qaeda qui, affaiblie, cherche à se signaler par des coups d'éclat. Nous l'avons vu récemment à Ouagadougou, où l'organisation Al-Mourabitoune agit au nom d'Al-Qaeda.
Le schéma des attentats du 13 novembre n'est pas le seul ; d'autres modèles existent, fondés sur des cellules dormantes en France et une circulation entre les zones de djihad et l'Europe, qui brouille les frontières entre menace extérieure et intérieure. Pour y faire face, la DGSE et la DGSI n'ont pas attendu janvier 2015 pour se rapprocher, mais une impulsion supplémentaire a été donnée alors avec une structure mixte installée à Levallois. Toute coordination impliquant un chef de file, c'est, avec notre plein accord, la DGSI qui remplit ce rôle. Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre nos deux services, ni aucune restriction dans l'échange de données. Au contraire, après le 13 novembre, une étape supplémentaire a été franchie, avec le partage de l'ensemble des données entre nos services, dans le cadre de l'article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure créé par la nouvelle loi sur le renseignement.
On dit que nos services s'appuient trop sur le renseignement technique. Il est vrai que nos moyens dans ce domaine ont été renforcés depuis 2008 par les gouvernements successifs, en dépit du contexte budgétaire ; mais nous investissons aussi dans le renseignement humain. Discret, ne figurant dans aucune statistique, le renseignement humain fait néanmoins partie des priorités de mon service ; là aussi, nous travaillons en lien avec la DGSI et les autres services français ou étrangers amis pour le recrutement de certaines sources.
Les partenariats avec les services étrangers se sont intensifiés après janvier 2015, et de nouveau à la suite des attentats de novembre. Aucune limite n'est posée à la coopération technique et humaine entre pays occidentaux, autour d'un noyau européen constitué avec nos partenaires britanniques, allemands et d'autres, en Europe notamment. La coopération s'est aussi développée avec nos homologues d'Afrique du Nord.
La loi sur le renseignement conforte la sécurité juridique de nos activités dans le domaine technique. Certaines dispositions sont déjà en application. Une grande partie du dispositif sera opérationnel en juin prochain.
Enfin, nous avons reçu des moyens en personnel supplémentaires. Pour la DGSE ce sont un peu plus de 800 postes supplémentaires, de 2014 à 2019 inclus, dont près de 530 décidés après les attentats de janvier et de novembre. La DGSI a reçu des renforts comparables.
La zone syro-irakienne est le coeur de la menace, mais ne la délimite pas. Des transferts s'opèrent vers la Libye où se regroupent des combattants étrangers, maghrébins mais aussi, dans une moindre mesure, syriens et irakiens, voire français, en nombre encore limité. Nos services se mobilisent pour anticiper la menace.
À mon tour de souligner que la réponse sécuritaire seule ne suffit pas. Certes, nos services travaillent de façon mutualisée, nos forces armées, renseignées aussi par la DRM, contribuent à l'attrition du groupe État islamique et des autres organisations terroristes en Syrie, en Irak et au Sahel, mais nous avons besoin d'une réponse politique. Daech s'appuie sur la marginalisation de la communauté sunnite en Irak, où un certain nombre de milices chiites ne sont plus contrôlées par le gouvernement. En Syrie, la minorité alaouite monopolise le pouvoir depuis 1963. L'État islamique met cette marginalisation à profit pour asseoir son emprise sur les Sunnites. Au-delà des questions de personnes, il faut rendre le gouvernement syrien plus inclusif. Enfin, en Libye, aussi, la clé est politique.