Intervention de Patrick Calvar

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2016 à 9h35
Rapport 2015 de la délégation parlementaire au renseignement — Communication de M. Jean-Pierre Raffarin président et Audition conjointe de M. Bernard Bajolet dgse et de M. Patrick Calvar dgsi direction générale de la sécurité intérieure

Patrick Calvar, directeur général de la Sécurité intérieure :

Notre stratégie est d'anticiper et de neutraliser sur le plan judiciaire des menaces aussi diverses qu'un Coulibaly agresseur d'un militaire à Nice à la limite de la pathologie psychiatrique ou un Abaoud très professionnalisé et qui sait se dissimuler. Tout le monde connaissait les grands trafiquants comme Pablo Escobar ou El Chapo, les appréhender n'en a pas été moins difficile. Le renseignement est une chaîne obéissant à deux impératifs : la complémentarité et la coordination. Nous avons organisé une cellule rassemblant les services du premier cercle, en incluant à ses côtés la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, et le Service Central du Renseignement Territorial.

La difficulté est moins d'analyser que d'établir des priorités. Dans vos circonscriptions, vous le savez, le moindre voleur à la roulotte dispose de cinq à dix moyens de communication et peut chiffrer ses messages... Abaoud faisait l'objet de très nombreuses procédures judiciaires, il était soupçonné d'être à l'origine d'attentats comme celui tenté dans le Thalys, mais cela ne nous disait pas où il était ni ce qu'il faisait. La question est de savoir grâce à quelles pièces d'identité il sort de Syrie ou y retourne et si le fichier européen comprend des éléments de biométrie et permet le croisement des fichiers. Un point important : jusqu'à quel point nous sommes prêts à aliéner des libertés pour notre sécurité ?

Nous étions les seuls à parler encore avec les services algériens durant la guerre civile. Et le nouveau dirigeant, le général Tartag, était l'un de ceux qui était chargé de la lutte contre le terrorisme durant les années noires. Nous coopérons toujours avec ces services qui sont de grande qualité. Outre leur très grande qualité et efficacité, les services marocains ont la particularité, comme nous, d'avoir une dimension judiciaire. Un article du Monde se plaignait récemment de cette particularité française : signalons que la Suède, la Norvège et le Danemark ont la même.

Les terroristes ciblent leur action. Ils savent très bien ce qui nous effraie ; ils lisent notre presse et connaissent nos peurs. Les terroristes choisissent des cibles d'opportunité pour faire le maximum de dégâts. Ils ont utilisé des Kalachnikov parce qu'ils ont l'habitude d'en utiliser en Syrie, mais ils peuvent demain recourir à des véhicules piégés. Considérant que nous leur faisons la guerre, ils nous la font à leur tour.

La coopération avec la Russie est forte, ne serait-ce que parce que 7 à 8 % des personnes souhaitant quitter la France pour la Syrie ou en revenir sont des Tchétchènes, certains impliqués dans des projets d'attentats ou leur financement. Elle est étroite y compris concernant la zone du Nord-Caucase. La coopération au sein de l'Europe est forte, malgré ce qu'on imagine, mais elle se heurte à des régimes juridiques différents. Nous intégrons nos 8 000 fiches S dans le fichier de Schengen, ce qui nous vaut une grande popularité. C'est ainsi que M. El Khazzani nous avait été signalé par les services espagnols comme susceptible de venir en France : nous ne parvenions pas à le localiser sur notre sol, mais avions créé une fiche S, un marqueur pour suivre un individu. Un an après, il est signalé comme prenant un avion à Berlin pour Istanbul ; nous l'indiquons à nos camarades espagnols qui nous disent que le suivi est désormais l'affaire des Belges, car il a séjourné en Belgique depuis son départ d'Espagne. Mais ni les Espagnols, ni les Belges ne peuvent mettre de fiches dans le système d'information... Et ce sont les Français qui ont été accusés de ne pas l'avoir surveillé. Il est indispensable que tous les partenaires contribuent au système d'information Schengen. Europol pratique une coopération policière, pas de renseignement. L'important aujourd'hui c'est de pouvoir croiser l'ensemble des différentes bases de données françaises et européennes.

Le financement du terrorisme sur notre sol commence par un microfinancement : il suffit de quelques poignées d'euros pour prendre un avion pour la Turquie. Ce n'est donc pas un élément fondamental, même si c'est un élément constitutif de l'association de malfaiteurs. Il y a aussi le macrofinancement de Daech suivi notamment par la DGSE et Tracfin.

Concernant l'Autriche, des personnes ont effectivement été arrêtées. Nous disposons d'informations faisant état de la présence de commandos sur le sol européen, dont nous ignorons la localisation et l'objectif.

Noter travail, c'est la lutte antiterrorisme, pas la déradicalisation. Mais nous ne pouvons pas ne pas nous demander : qu'est-ce qui pousse une gamine de quinze ans à partir de Syrie, ou un gamin de quinze ans à poignarder un enseignant juif ? L'ensemble des sociétés européennes est dans cette situation. Nous sommes comme le Samu : nous traitons l'urgence, pas le mal de fond.

Je ne fais pas de lien entre les événements de Cologne et les réfugiés ; mais la population peut le faire. Une forte hostilité se fait jour en Europe du Nord, en Allemagne ; un mouvement violent est apparu à Calais. C'est un danger majeur de déstabilisation de nos sociétés, auquel il faudra trouver une solution.

Nous avons arrêté plus de 300 personnes ; que nous disent ces jeunes ? Qu'ils n'ont aucun espoir ; qu'ils n'ont pas d'existence en tant qu'individu, qu'ils ne sont « personne ». Une fois qu'ils sont passés dans le monde de la barbarie, cela change, mais au départ, ce que nous entendons est bien un cri de désespoir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion