Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de me recevoir ce matin. Le sujet est d'actualité, comme vous le voyez. Vous avez bien choisi la date, puisque le président Tusk a fait ses propositions hier.
Le référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne mobilise toute la classe politique britannique depuis plusieurs mois, plus particulièrement David Cameron qui, depuis les élections, a entamé un périple à travers l'Europe. Il s'est rendu au moins deux ou trois fois dans les différents pays. Il est venu voir le Président de République au mois de mai dernier, dès l'adoption du discours de la Reine, qui annonçait ce référendum. Il l'a reçu à Chequers en septembre pour préciser ses demandes, et également à Paris pour un petit-déjeuner à la suite des attentats du 13 novembre. Je tiens à le dire, les Britanniques nous ont accordé un soutien exceptionnel à la suite des attentats de Paris. David Cameron lui-même a dit : « La France est un allié et un ami, et on doit tout faire pour l'aider ». C'est la raison pour laquelle il a lancé le débat au Parlement sur les frappes en Syrie, qu'il a mis à notre disposition la base d'Akrotiri à Chypre, et que les Britanniques sont prêts à nous aider en Afrique, à la suite de la demande du ministre de la défense.
Pourquoi ce référendum ? Tout d'abord, il existe un euroscepticisme ambiant au Royaume-Uni, qui n'a jamais tellement adhéré à l'Europe telle que nous la concevons, mais l'envisage essentiellement sous l'angle du marché commun. Dans le contexte électoral, face à la poussée du mouvement nationaliste UKIP qui fait un lien entre l'Europe et les problèmes d'immigration, David Cameron s'est engagé dès 2013 à organiser un référendum sur l'Europe.
Il pensait, s'il gagnait les élections - ce qui n'était pas sûr - être en coalition avec le parti des Libéraux démocrates. Mais il a gagné les élections d'une courte majorité et le manifesto, qui est le programme du parti, s'applique donc intégralement, et le référendum aura donc bien lieu.
La situation pour le premier ministre est difficile, parce qu'il a doit faire face au sein de son parti aux backbenchers, des députés qui ne sont pas eurosceptiques mais europhobes, et qui veulent sortir de l'Union européenne quoi qu'il arrive.
Le sujet, pour eux, n'est pas celui de l'immigration, mais de la souveraineté intégrale du Parlement : tout doit se décider à Westminster. Ils ne peuvent accepter, surtout pour un pays qui n'a pas de Constitution écrite, qu'une partie de la loi soit rédigée à Bruxelles, d'où un risque de scission du parti.
Une autre difficulté vient de l'incertitude du nouveau leadership du parti travailliste, le Labour, encore qu'il vienne de se prononcer de manière assez claire. Je parlerai de l'opinion publique après.
Dans ce contexte, David Cameron s'exprime de manière de plus en plus positive sur l'intérêt du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, pas seulement en termes de prospérité économique, mais aussi en termes d'influence et de sécurité du pays. Si le Royaume-Uni sort de l'Union européenne, il deviendrait pour Washington un partenaire moins important et la relation spéciale avec les États-Unis n'aurait plus beaucoup de sens. David Cameron sait aussi que, vis-à-vis de la Russie et de la Chine, le Royaume-Uni n'a pas intérêt à paraître isolé.
Les principaux ministres - le ministre des affaires étrangères en particulier - sont également de plus en plus convaincus des mérites de rester dans l'Union européenne.
David Cameron a donc essayé de formuler un certain nombre de propositions. Les choses ont beaucoup évolué en un an, d'abord parce que les partenaires européens ont exprimé leur point de vue, dont Angela Merkel et le Président de la République. Je crois que ce qui a changé la perception de David Cameron vis-à-vis de la France - à un moment où il considérait un accord avec Berlin suffisant - c'est le rôle qu'a joué le Président de République lors de la crise grecque, qui a démontré que la France avait également un poids dans la négociation.
Le premier ministre ne demande plus de révision du traité, mais souhaite un accord juridiquement contraignant, ce qui peut être fait par le biais d'une déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement au Conseil européen.
Il ne réclame plus exactement de limites à la circulation - encore que la formule du frein d'urgence soit assortie d'un certain nombre de conditions, du fait de la nécessité d'une proposition de la Commission et d'une décision du Conseil. Il doit toutefois impérativement obtenir quelque chose sur ce sujet-là, qui intéresse les électeurs britanniques.
S'agissant des liens entre zone euro et non-zone euro, il a dit très clairement qu'il ne s'opposait pas à l'intégration de la zone euro, qu'il n'entendait pas y mettre de veto, et que c'était d'ailleurs l'intérêt du Royaume-Uni que la zone euro soit viable économiquement.
D'autres demandes concernent une meilleure réglementation, une moindre bureaucratie, l'achèvement du marché unique dans le domaine des capitaux et de l'économie digitale, ainsi qu'un certain nombre de dispositions allant dans le sens de l'intérêt général. Une sortie du Royaume-Uni risque d'affaiblir l'Union européenne. C'est une des économies les plus dynamiques, avec près de 65 millions d'habitants, le seul pays qui ait une capacité de projection militaire et qui est souvent à nos côtés. Ce serait très mauvais pour la France, pour l'Union européenne, et pour le Royaume-Uni, bien sûr. Si l'on veut peser face à des États continents comme les États-Unis ou la Chine, on a besoin de ce marché commun, de ces 500 millions d'habitants. On est plus forts ensemble.
Mon expérience en tant qu'ambassadeur en Chine me l'a clairement démontré : lorsque la France, l'Allemagne ou d'autres pays ont essayé de résoudre seuls leurs contentieux commerciaux, ils n'ont pas eu gain de cause. C'est la Commission qui a pesé, grâce à ses prérogatives. Le plus grand marché économique du monde, ce n'est pas celui que représentent les États-Unis, c'est l'Union européenne. C'est donc notre intérêt que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne.
On va examiner les propositions qui ont été formulées par le président du Conseil européen. Il va donc y avoir, le 5 et le 11 février, des réunions des sherpas. Il y a eu bien sûr de nombreux contacts préalables avec le Trésor et le sherpa français. David Cameron a appelé plusieurs fois le Président de la République.
Restent les crochets dans le texte, en particulier les questions de rédaction concernant la zone euro, l'Union sans cesse plus étroite. En fait, ceci figure dans le préambule, on ne va donc pas le supprimer du traité, mais les Britanniques vont dire que cela ne s'applique pas à leur cas. Il aurait été évidemment inacceptable de la retirer du traité, mais je pense qu'on approche quand même d'un compromis qui ne franchit pas nos lignes rouges, qu'on a exprimées très clairement, sous réserve, je le répète, d'une rédaction vérifiée par les juristes.
L'échéance pour trouver un accord est fixée au 18 février, lors du Conseil européen.
Après l'accord, il faut quatre mois de procédure législative, et David Cameron a dit qu'il la lançait immédiatement, la limite étant fin juin. On parle donc de la date du 23 juin pour tenir le référendum. Ensuite les Écossais partent en vacances - il vaut mieux qu'ils soient là car ils sont plutôt pro-européen dans l'ensemble, puis c'est au tour des Anglais.
Le rapport de force est actuellement difficile à déterminer, parce que les sondages sont très serrés. Un Britannique m'a dit que cela allait être chaotique, mais qu'à la fin, il était convaincu que le Royaume-Uni resterait dans l'Union européenne. Je partage cette opinion, parce que je pense que la conjonction des intérêts pour le Royaume-Uni, pays dont on fait remarquer qu'il est à la fois pragmatique et conservateur, fera que les Britanniques ne voudront peut-être pas sauter dans l'inconnu. De plus, comme le dit fort justement David Cameron, le Royaume-Uni a le meilleur des deux mondes. C'est ce que vous disiez tout à l'heure : ils sont dedans, et ils sont dehors. C'est vrai qu'ils ne sont pas dans les programmes qui posent des difficultés, comme l'euro et Schengen. Ils en tirent donc des avantages. D'ailleurs, le gouverneur de la Banque d'Angleterre a fait une étude sur ce sujet et, de plus en plus, les hommes d'affaires s'expriment.
Pour le moment, il est difficile de voir le rapport de force, parce que les partisans du non, qui veulent sortir, sont déjà intervenus à voix haute, même s'ils n'ont pas de grand porte-parole pour le moment. Leurs arguments ne sont pas très crédibles. Ils disent par exemple que l'Union européenne peut être remplacée le Commonwealth, ou qu'ils pourraient avoir le statut de la Norvège. Le Premier ministre norvégien leur a dit : « Nous, nous payons à l'Union européenne. Nous sommes obligés d'en respecter les règles, et nous ne sommes pas à la table des négociations pour les élaborer. Nous ne voyons donc pas bien l'intérêt pour vous ! ».
Pour le moment, les partisans du non ont du mal à trouver des arguments ou des alternatives, mais dans ce que l'on peut appeler l'Angleterre profonde, le thème de l'immigration a une résonance. Les Britanniques y ont le sentiment qu'on leur prend leurs emplois, qu'ils ont plus de mal à trouver de la place pour leurs enfants dans les écoles, ou à aller dans les hôpitaux.
Le camp du oui ne s'est pas encore exprimé de manière claire. David Cameron veut précisément jouer sur les succès qu'il aura remportés vis-à-vis de l'Union européenne, mais le monde des affaires, l'équivalent du MEDEF, la Confederation of British Industries (CBI) sont dans les starting-blocks. C'est pour eux une évidence, mis à part les 20 % qui ne sont pas sur cette ligne-là parce qu'ils ont une activité plus concentrée géographiquement sur le Royaume-Uni. Cela étant, ces derniers sont souvent fournisseurs de grands groupes, comme Airbus ou autres, et leur intérêt pourrait donc être également mis en cause.
Je pense que cette campagne va commencer sérieusement après l'adoption du paquet européen. Encore une fois, in fine, si l'on considère l'épée de Damoclès que constitue un nouveau référendum écossais en cas de sortie de l'Union européenne, je suis plutôt optimiste.
Pour finir, quel est l'intérêt pour la France que le Royaume-Uni demeure dans l'Union européenne ? C'est notre meilleur partenaire sur les questions de défense et de sécurité en termes d'échanges de renseignements.
Il existe un sujet difficile, celui de Calais, même si on a développé notre coopération. On pourra y revenir.
En matière de défense, ils sont membres permanents du Conseil de sécurité, comme vous l'avez dit, monsieur le président, et ont confirmé l'objectif de 2 % de dépenses militaires dans le budget. David Cameron a dit, après les élections : « Britain is back ! ». Le premier ministre veut se réinvestir dans les affaires internationales. Je dis souvent que, en matière de défense européenne, les Britanniques sont pratiquants mais non croyants. En réalité, ils n'aiment pas le concept de défense européenne, mais quand on leur demande d'y aller, ils y vont, que ce soit au Mali ou dans le cadre de l'opération Sofia, en Méditerranée. Ils dirigent toujours l'opération Atalante de lutte contre la piraterie. En réalité, ils nous aident.
La coopération bilatérale est étroite. On va avoir un sommet franco-britannique début mars, dont grande partie sera consacrée à la sécurité, à la défense et aux programmes d'armement communs, comme l'avion du futur, le FCAS, les programmes de missiles.
Dans la revue de défense, après les États-Unis, c'est la France qui est leur meilleur partenaire. Beaucoup de chercheurs britanniques remarquent la place qui a été prise par la France en matière de défense.
Ce sujet va être un des sujets prioritaires, à côté du nucléaire, avec la centrale d'Hinkley Point et la coopération dans ce domaine. Je signale ici - je l'ai proposé, j'espère que ce sera retenu - notre intention de développer également les relations transfrontalières avec les provinces limitrophes dans tous les domaines, ainsi que le programme Young Leaders, comme on l'a fait avec les États-Unis et, récemment, avec la Chine.
On a souvent l'illusion, beaucoup de Français passant leur week-end à Londres et beaucoup de Britanniques - 12 millions, en fait - venant en vacances chaque année en France, que l'on se connaît bien, mais je crois que ce n'est pas le cas. On aimerait développer le tissu de nos relations. J'espère que cette suggestion sera retenue. Ce que l'on souhaite, c'est qu'il y ait des échanges. Je pense que c'est important : encore une fois, ce n'est pas parce qu'on est proches que nous nous connaissons aussi bien qu'on l'imagine. Je suis à présent prête à répondre à vos questions.