Intervention de Sylvie Bermann

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Référendum britannique sur l'appartenance à l'union européenne et revue de défense et de sécurité britannique — Audition de Mme Sylvie Bermann ambassadeur de france auprès du royaume-uni de grande bretagne et d'irlande du nord

Sylvie Bermann, ambassadeur de France auprès du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord :

Merci à Mme Garriaud-Maylam et à Mme Keller des propos qu'elles ont tenus. Je me réjouis toujours de les recevoir à Londres.

La difficulté, pour l'adoption du projet de loi d'organisation du référendum, au mois de décembre, a d'abord été d'élaborer un projet, ce qui n'était pas évident. Au début, la question était : « Souhaitez-vous être dans l'Union européenne ? ». Ils se sont aperçus que c'était dangereux, beaucoup de Britanniques ne sachant pas qu'ils sont membres de l'Union européenne. C'est la raison pour laquelle la question est à présent en deux parties, in et out. Ce sera effectivement plus facile pour les électeurs de se prononcer.

Par ailleurs, des financements ont été accordés aux partisans du in et du out, mais il existe également beaucoup de financements privés. Par exemple, Sainsbury soutiendra les partisans du maintien dans l'Union européenne, alors que les partisans du non bénéficient déjà de l'appui d'un certain nombre de grands financiers.

En ce qui concerne la presse, il existe le meilleur et le pire au Royaume-Uni. Les meilleurs, comme le Financial Times, ou The Economist, sont plutôt pro-européens. Certains journaux n'ont pas encore pris de décision, mais ils sont conservateurs et soutiennent David Cameron. La position de David Cameron sera donc assez déterminante.

La presse dite « de caniveau » est très anti-européenne. Là aussi toutefois, certains soutiennent David Cameron. On dit qu'un ou deux de ces journaux pourraient in fine se rallier à lui. Pour le moment, ce sont des spéculations. On n'en sait rien, mais le rôle de la presse est souvent toxique, car ils sont naturellement anti-européens.

Quelqu'un posait la question de savoir si les Britanniques se rendent compte de l'agacement qu'ils provoquent. Pas vraiment ! La question qu'ils posent souvent aux pro-européens est inverse : « Comment pouvez-vous trouver l'Union européenne parfaite ? Ce que l'on demande n'est-il pas aussi dans votre intérêt ? ». C'est leur perception. Ils n'ont pas le sentiment qu'ils ennuient les autres et qu'ils en demandent trop. Pour eux, l'Union européenne ne fonctionne pas, elle est trop bureaucratique, trop interventionniste. Selon eux, on devrait accorder davantage de poids au principe de subsidiarité, au rôle des parlements nationaux. Ils ne sont pas dans la même logique que nous.

Pour ce qui est des arguments et des moyens de les contrecarrer, il existe bien sûr la voix des politiques, mais également celle des groupes de pression. Beaucoup se sont organisés, comme Business for Europe, et d'autres.

Une de leur dirigeante m'a dit qu'ils allaient également mener campagne en province car, à Londres, 40 % des gens ne sont pas nés au Royaume-Uni. C'est une ville très multiculturelle et plutôt pro-européenne. Ailleurs, c'est évidemment beaucoup plus difficile. Cette dirigeante m'a par exemple expliqué qu'ils allaient essayer de détourner les slogans des partisans du non, en disant « Brexit is for the rich », alors qu'on a l'impression que c'est l'inverse, ou en démontrant que les hedge funds peuvent être n'importe où dans le monde sans que cela change quoi que ce soit pour les moins nantis.

Tout ceci est en train de se préparer et sera plutôt réalisé en dehors de Londres.

Vous avez évoqué la question de la revue de compétences. C'était effectivement un très bel exercice pour savoir si l'Union européenne bénéficiait ou non au Royaume-Uni et si tout était bien respecté. Le résultat a été très positif, mais ce n'est plus aujourd'hui le sujet des experts : il appartient désormais à une opinion publique. C'est là le résultat de ce que Nigel Farage a réussi à faire. À l'époque, l'Europe venait au dixième rang des préoccupations britannique. À cause du lien qu'il a établi entre l'immigration et l'Europe, elle est passée au premier rang des préoccupations.

Le problème vient de l'immigration intérieure à l'Union européenne, non de celle en provenance d'ailleurs, qu'ils sont en mesure de contrôler, mais plutôt de Pologne et d'autres pays. Le Royaume-Uni compte aujourd'hui un million de Polonais. Au moment de l'élargissement, nous n'avons pas voulu du « plombier polonais ». Ils se moquaient alors de nous, affirmant que la libre circulation était une très bonne chose ; à présent, ils jugent que la ville de Rugby compte une majorité de Polonais, et affirment que même les pancartes y sont en polonais. Le ressentiment est donc réel.

Toutefois, certains eurosceptiques et parlementaires réalisent que le problème vient du fait que, sans les ouvriers polonais, on ne pourrait rien faire, les ouvriers britanniques ne voulant pas des emplois en cause. La perception populaire est plutôt que « les Polonais prennent les emplois des Britanniques » et les places de leurs enfants à l'école. Il est très difficile d'expliquer qu'en réalité, l'immigration polonaise ou celle d'Europe de l'Est est dans leur intérêt - ce que savent bien les dirigeants.

S'agissant des prestations sociales, ne pouvant mettre fin à la libre circulation, ils ont essayé de trouver d'autres formules, comme le délai de quatre ans, ou de deux ans renouvelables. Les choses sont en cours de négociation, afin de pouvoir annoncer aux Britanniques que le Gouvernement est en mesure de contrôler cela.

Pour ce qui est du rôle des parlements nationaux, les Britanniques voulaient un carton rouge, un veto absolu. On leur a dit que ce n'était pas possible. Ils ont essayé d'élever le seuil à 55 %, ce qui est déjà assez conséquent. Ceci serait pris en considération par la Commission et par le Conseil.

S'agissant du traité de Lancaster House, la force expéditionnaire conjointe est en effet très importante. Elle sera pleinement opérationnelle au printemps. Il s'agit de mille hommes, ce qui est loin d'être négligeable.

Je pense qu'ils sont aujourd'hui dans une logique de réengagement. Je rappelais que David Cameron disait : « Britain is back ». Des déclarations de réengagement dans les opérations ont été également faites lors de l'assemblée générale des Nations unies. Aujourd'hui, les Britanniques interviennent en Syrie ; ils sont par ailleurs prêts à s'investir davantage dans d'autres opérations des Nations unies.

A la suite du traumatisme irakien, il y a deux ans, il n'y avait pas eu d'accord sur l'intervention en Syrie mais la situation a évolué et ils ont effectivement commencé à se réengager.

Quant aux groupes de pression extérieurs, je ne les connais pas nécessairement et je n'ai pas de contact avec eux. Les Britanniques comprennent-ils l'agacement des Européens ? Non. Ils considèrent qu'on devrait être sur la même ligne qu'eux.

On parle de détricotage. Je crois qu'il y a eu une évolution très forte au cours des dernières années, qui n'est pas uniquement le fait du Royaume-Uni. L'euroscepticisme touche la plupart des pays, les reproches en matière de bureaucratie et d'intrusion sont très forts, même en Allemagne. Je crois qu'il y a eu une renationalisation des politiques.

À l'époque où j'étais à Bruxelles, il y a dix ans, les institutions européennes avaient le vent en poupe, la Commission en particulier. On pensait à une communautarisation de l'Union européenne : c'est l'inverse qui s'est produit, et ce n'est pas à cause des Britanniques. On a maintenant une Europe différenciée, qui ne pourra nécessairement pas aller à la même vitesse sur tous les sujets.

Il faut le reconnaître : ce sont aujourd'hui les Conseils européens qui décident ; à l'époque, ils se réunissaient deux fois par an. En plus de sessions informelles, ils sont maintenant convoqués régulièrement sur tous les sujets - l'immigration, etc. Je crois que ce sera effectivement la ligne.

Les Britanniques sont entrés à un moment - je ne sais pas si c'est par hasard - où l'Union européenne était performante, et où eux-mêmes étaient dans une situation économique difficile. C'était un peu un rêve d'Eldorado. C'est l'inverse aujourd'hui, et c'est pourquoi beaucoup de Britanniques estiment ne pas avoir besoin de l'Union européenne, pensant que le Royaume-Uni sera beaucoup plus prospère sans elle.

On a évoqué la Chine et les États-Unis. Le président Obama est très clair. Il a déjà dit - et il l'a répété hier - que les États-Unis, qui se sentent plus proches des Britanniques que d'autres pays, en particulier des pays du Sud, voulaient une Grande-Bretagne forte et influente au sein de l'Union européenne. La France a un peu évolué, puisque nous sommes partenaires sur les questions de défense, mais il est certain que les États-Unis sont beaucoup plus proches du Royaume-Uni. Le président Obama devrait encore le redire clairement.

Xi Jinping l'a dit également au moment de sa visite au Royaume-Uni, lors de la signature de très nombreux contrats. Il a estimé que, pour la Chine, le Royaume-Uni était la porte d'entrée sur l'Union européenne, et qu'il était important pour eux d'avoir un Royaume-Uni fort dans l'Union européenne.

Encore une fois, ma conviction est qu'on aura besoin de l'Union européenne quand on négociera avec les puissances d'aujourd'hui et de demain, qui seront des États continents. Je n'ai pas de doute quant à moi sur notre intérêt.

Je suis arrivée au Royaume-Uni directement de Chine trois semaines avant le référendum sur l'Écosse, au moment où le territoire risquait d'être amputé d'un tiers. Les Chinois se demandaient comment on pouvait se fragmenter ainsi, alors que la puissance consiste à être ensemble. Cela génère beaucoup d'interrogations.

Les Chinois sont très favorables à l'Union européenne. Pour eux, c'est un contrepoids aux États-Unis. Ils ont toujours soutenu la construction européenne et l'euro. 26 % de leurs réserves sont en euros et, pendant toute la crise grecque, les Chinois disaient publiquement à tous les dirigeants français, allemands ou autres qu'ils croyaient à l'Union européenne et à l'euro. En fait, ils ont acheté de la dette et sont assez clairs sur ce plan. Ils n'hésiteront pas à s'exprimer.

S'agissant de la Norvège, c'est toute la difficulté des partisans du non. À chaque fois qu'ils ont avancé un contre-modèle - la Norvège, la Suisse, le Commonwealth - ils ont été démentis pas les responsables mêmes de ces pays. Certains rêvent en pensant pouvoir s'appuyer sur le Commonwealth, mais les Australiens regardent la Chine, les Canadiens regardent les États-Unis.

Il y a beaucoup d'illusions et de réactions passéistes. Il existe deux sujets différents. D'un côté, les parlementaires et les membres des Tories sont sur la ligne de la grandeur de l'empire britannique, n'ayant pas vu l'évolution du monde, de l'autre la population est plus préoccupée par le risque de perte d'emploi.

Je ne pense donc pas que le Brexit puisse être « une chance pour l'Europe », car je ne crois pas qu'un tête-à-tête avec l'Allemagne, alors que la performance économique française est moins bonne, soit réellement dans notre intérêt. Si l'Allemagne est plus sur nos lignes en théorie, elle ne l'est pas dans la pratique.

J'ai été ambassadeur à Bruxelles il y a dix ans au Comité politique et de sécurité. Si la discussion était très difficile avec les Britanniques quand on a lancé les premières opérations de l'Union européenne, elles ont été faciles en théorie avec l'Allemagne, mais la participation a été britannique. Il y a donc la position de principe et la réalité. Selon mon expérience, les Britanniques ont des positions de départ qui semblent éloignées parfois mais, in fine, nous aident.

Évidemment, il est hors de question de parler de la défense européenne avant le résultat du référendum, car c'est une phobie totale, alors qu'à l'époque ils prétextaient un risque de découplage avec l'OTAN ou avec les Américains, qui avaient très peur de la défense européenne.

Aujourd'hui, ils plaident pour celle-ci, parce qu'ils ne veulent pas faire ce travail à notre place, et ont fait des campagnes de promotion pour les opérations au Tchad ou en Méditerranée. Ils ont donc évolué et sont les seuls à rester sur cette ligne.

En matière de sécurité, les Britanniques ont beaucoup évolué. Ils étaient très attachés au respect total des libertés publiques. Ils ont pris conscience des dangers qui les menacent et savent que la France n'est pas seule dans ce cas. David Cameron, quand il a vu le Président de la République, a dit que c'était comme si cela était arrivé aux Britanniques, et que cela pouvait d'ailleurs leur arriver. Ils ont mis en place un dispositif équivalent à celui de Sentinelle.

Ils sont en train de revoir leur dispositif de sécurité à la suite des attentats du 13 novembre. Il y a maintenant des policiers armés dans les rues de Londres, ce qui n'était pas concevable auparavant. Ils sont favorables à la surveillance et vont également adopter une loi pour la renforcer, ainsi que celle des réseaux sociaux, mais cela a été très compliqué parce qu'ils n'arrivent pas à contrôler WhatsApp et les applications de ce genre. Pour ce qui est de la question de l'Écosse, celle-ci pourrait demander un nouveau référendum, mais ne le redemandera qu'à condition que l'Écosse vote oui et que le reste du Royaume-Uni vote non. Si eux-mêmes votent non pour des raisons tactiques, cela ne fonctionnera pas. Je pense que la situation actuelle de l'Écosse, avec la baisse des prix du pétrole, peut aussi faire réfléchir. C'est un levier des partisans du oui.

Un mot sur le Brexit. Je parlerais ensuite de Calais.

Lors d'un récent colloque franco-britannique, quelqu'un, plutôt que de parler de Brexit, qui suppose que l'on va sortir, a choisi d'évoquer le « Bremain », - contraction des mots « Britain » et « remain ». C'est certes moins populaire et on a tendance à parler de Brexit mais, personnellement, je parle toujours du référendum sur l'Europe et non du Brexit. C'est une nuance, mais qui compte car le but n'est pas de sortir de l'Europe.

Quant à la question de Calais, il s'agit d'un sujet qui est également très difficile au Royaume-Uni. J'ai été, fin juillet-début août, fortement sollicitée par la presse britannique, qui montrait les photos non seulement des réfugiés qui prenaient le tunnel ou les camions attaqués, mais aussi des pneus brûlés, en disant que la police ne faisait pas son travail. J'ai dû à chaque fois répondre et rectifier les choses, en essayant de leur expliquer que, de l'autre côté de la frontière, la perception était totalement différente et que beaucoup d'autorités régionales et locales se demandaient pourquoi elles feraient le travail de police pour les Britanniques. Ce sont là les résultats des accords du Touquet.

J'ai également relativisé les choses en rappelant qu'à Calais, il s'agissait de 4 000 personnes, mais qu'un million était entré en même temps dans l'Union européenne. J'ai dit tout ce que la France faisait sur le plan financier, j'ai évoqué le centre d'accueil des migrants, mais c'était très difficile. Eux nous parlaient des camionneurs, des grèves.

Il y a une incompréhension très forte. Elle demeure. Nos ministres de l'intérieur s'entendent très bien. Ils ont pris des mesures de sécurité communes, en renforçant énormément la sécurité, à l'entrée du tunnel en particulier. Il n'y a plus de passage par le tunnel, mais les migrants se déportent évidemment vers le port ou vers d'autres ports.

On insiste pour que les Britanniques financent également les mesures de sécurité - ce qu'ils ont fait - ainsi que les mesures de protection des migrants, et qu'ils prennent en particulier des migrants qui ont des familles au Royaume-Uni. Ce sont souvent des Soudanais, des Érythréens et, quoi qu'on fasse, même si on leur propose l'asile, ils ne veulent pas rester chez nous, préférant aller au Royaume-Uni, où il y a plus d'emplois et où ils ont soit de la famille, soit des communautés très importantes.

David Cameron, dans le contexte du référendum, a décidé d'accueillir quelques réfugiés dans les camps du Liban ou de Jordanie, pour éviter ce qu'il appelle « l'appel d'air » et inciter les gens à ne pas venir jusqu'à Calais. Mais un jugement d'un tribunal britannique concernant les enfants qui ont de la famille au Royaume-Uni fait qu'ils vont être obligés d'en accueillir un certain nombre. Même s'ils vont faire appel, l'immigration est actuellement la question la plus sensible.

Il existe un sujet international, qui est celui de l'euro et de la place de la City, mais le sujet qui sera déterminant pour le référendum réside dans l'immigration et dans la manière dont seront perçues ces questions migratoires.

Je ne sais si j'ai répondu à toutes les questions, mais j'ai essayé d'être exhaustive.

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