On ne compte plus le nombre d'études qui, depuis trois ou quatre ans, prédisent la fin de l'emploi. Moshe Vardi, un grand scientifique américain affirmait, en 2013, que la moitié des emplois disparaîtrait dans les vingt prochaines années. Roland Berger, en 2014, annonçait que le taux de chômage français en 2025 serait de 18 % compte tenu du chômage technologique. Tout récemment, des instituts aussi sérieux que le World Economic Forum ou l'OCDE ont produit des analyses tout de même bien différentes.
Selon le World Economic Forum, l'un des meilleurs organes de prévisions, en 2020, la perte nette d'emplois liée à l'automatisation s'élèvera à l'échelle du monde à deux millions ; à rapporter aux quatre milliards d'emplois existants, deux milliards si on enlève l'économie informelle. Ces deux millions d'emplois menacés se situent dans les fonctions de support administratif : paie, comptabilité, une partie des ressources humaines.
Il convient donc d'être extrêmement prudent par rapport aux prévisions apocalyptiques et savoir que d'autres études moins « sensationnalistes » existent même si elles font beaucoup moins que les précédentes la une des journaux et des magazines.
Il est toujours intéressant de se pencher sur l'influence de la robotique dans la vie quotidienne et sur la façon dont une organisation réagit à l'installation de robots en son sein. Cela crée, d'abord, des frictions et des freins. La robotique est un investissement coûteux, qui n'est pas accessible à toutes les entreprises. Une fois les résistances aplanies, on entre dans la période d'adaptation aux nouvelles machines, pendant laquelle l'organisation est de facto moins productive, voire inefficace. Une fois que l'opérateur humain s'est approprié la machine, vient le cycle vertueux des gains de productivité.
En 1987, Robert Solow énonçait son fameux paradoxe : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de la productivité. » En fait, on était encore en période dite « basse » et il fallait laisser le temps à la société tout entière de s'adapter et de faire évoluer son organisation. En la matière, le coeur du problème, c'est la formation des utilisateurs.
Par ailleurs, je signale que les entreprises qui, aujourd'hui, investissent massivement en Chine pour moderniser leur outil de production, améliorer leurs process de fabrication et monter en qualité sont des entreprises non pas occidentales, mais chinoises.
Quant au débat sur le temps de travail, il tourne souvent au conflit idéologique. Comme je le note dans un livre à paraître prochainement et dont le numéro du Point qui sort aujourd'hui se fait l'écho des bonnes feuilles, en 2014, un Français adulte travaillait en moyenne 902 heures par an. En 1933, Keynes affirmait qu'au tournant de l'an 2000 on travaillerait deux à trois heures par jour. On s'est beaucoup moqué de lui, mais ses prévisions étaient d'une réelle acuité : divisez 902 heures par 365 et vous obtiendrez exactement deux heures et vingt minutes.
Toutes les statistiques le montrent, sur très longue période, l'automatisation libère du temps pour faire autre chose. Après, tout est une question d'équilibre par rapport aux autres : il ne faut ni décrocher trop rapidement ni être trop en avance, car ce peut être annonciateur d'un retard futur. C'est un peu ce dont la France souffre aujourd'hui. Avec 902 heures travaillées par an et par adulte, nous sommes les champions du monde. Dans le même temps, nous avons moins de robots que les autres pays développés.