Mon dernier livre ne traite pas spécifiquement de la robotisation.
Si de nombreux robots ont investi nos services pour remplacer les emplois de caissière ou de guichetier, c'est en partie parce que le salaire minimal est extrêmement chargé en France. Nous entrons là dans des considérations politiques. Dans l'industrie, le coût du travail ne représente qu'un quart environ des coûts totaux, loin derrière les matières premières, le foncier, les taxes.
Dans une usine, on installe un robot pour améliorer la qualité de la production ; dans la grande distribution, c'est uniquement dans le but de substituer une machine à un humain, ce qui rapporte très peu économiquement, ne crée pas de gains de productivité, donne juste un peu de flexibilité. Et même pas de la flexibilité horaire, puisque les conventions collectives sont suffisamment souples en ce domaine. Ma conviction est faite : c'est vraiment néfaste pour l'économie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis efforcé de vous faire un exposé le plus objectif possible, en explorant le champ des possibles. Il y a aujourd'hui un monde entre les études très négatives et d'autres plutôt positives. Une telle « dispersion des augures » - très belle formule que je reprends à mon compte - est réelle.
Je le répète, à un horizon de dix-quinze ans, la moitié des tâches est automatisable, mais seulement 5 % à 10 % des emplois. Un emploi comporte à la fois des tâches à faible, moyenne et forte valeur ajoutée. C'est valable pour à peu près toute la gamme des emplois qui existent dans notre pays.
Au-delà de ces chiffres, l'exercice prospectif devient ardu. Si, un jour, le véhicule automatique est suffisamment fiable pour être autorisé à rouler, effectivement, de très nombreux emplois seront détruits dans le secteur du transport à la personne et du fret. Mais cela n'est pas encore près d'arriver, en tout cas pas du jour au lendemain. Aujourd'hui, si vous mettez un véhicule automatique à un carrefour, il ne passera jamais. Tout simplement parce que c'est une machine réglée pour respecter les règles de priorité et de prudence, ce qui n'est pas le cas de tous les autres conducteurs. Pour bien connaître le sujet, je peux vous dire que l'on ne progressera qu'étape par étape et que la cohabitation entre les deux mondes - véhicule automatique et conducteur humain - s'annonce très difficile.
Globalement, la France accuse un retard non seulement dans le développement des robots et machines-outils sur son territoire mais également dans la qualité de l'équipement et de l'investissement. Il n'existe qu'une seule usine qui fabrique des robots dans notre pays : celle de Staübli, en Haute-Savoie. Nous ne sommes ni de bons fabricants ni de bons consommateurs. Il est d'ailleurs rare à l'échelle du monde de trouver un pays qui soit un bon fabricant d'un produit qu'il ne consomme pas.
Si les robots sont si peu nombreux dans les usines françaises, c'est parce que la fiscalité sur le capital est à ce point délirante et la réglementation en la matière tellement instable qu'elles incitent plus à placer l'argent dans des produits défiscalisés que dans des investissements productifs. Ne l'oublions pas, l'investissement a une dimension éminemment psychologique. Même que les conditions paraissent plutôt favorables, on a parfois du mal à expliquer le fait que les entrepreneurs ne réinvestissent pas le produit de leurs activités.