Intervention de Benoît Huré

Réunion du 2 mars 2016 à 14h30
Situation financière des départements

Photo de Benoît HuréBenoît Huré, au nom du groupe Les Républicains :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, nous le savons tous désormais, la situation financière et budgétaire des conseils départementaux est devenue si difficile que c’est la question même de leur survie qui est posée.

En préalable à mon intervention, je veux rappeler quelques chiffres.

Les conseils départementaux sont l’un des tout premiers investisseurs publics en France. Durant la seule année 2014, ils ont investi 11, 3 milliards d’euros, pour une dette cumulée de 33 milliards d’euros ; toutes proportions gardées, c’est un chiffre dont on se prend à rêver pour notre pays ! Au cours de cette même année, ils ont engagé 59 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement, dont plus de 50 % concernent la solidarité. Toutes les actions et missions des conseils départementaux sont mises en œuvre par 294 000 agents.

Avec les lois de décentralisation, l’État a transféré aux départements la gestion des collèges, des routes et, naturellement, la mise en œuvre des politiques sociales. Depuis 2002, à la faveur de différents textes législatifs sur la dépendance, le handicap et le RSA, les dépenses à la charge des départements ont considérablement augmenté, car les ayants droit ont été mieux aidés, tout en devenant de plus en plus nombreux.

Si les départements ont été chargés d’appliquer toutes ces politiques de solidarité par l’État, c’est parce que celles-ci supposaient des réponses de proximité, adaptées aux réalités locales. Les conseils généraux ont donc dû recruter et former des équipes de terrain, qui représentent souvent de 40 % à 50 % de leurs effectifs actuels.

La situation financière difficile, voire désespérée pour une quarantaine d’entre eux, est due au fait que l’État a « oublié » année après année de rembourser un pourcentage de plus en plus élevé du montant des allocations prescrites par lui et versées par les départements. La situation est devenue de moins en moins supportable à partir de 2013 ; elle est désormais intenable. Les raisons en sont le vieillissement accéléré de la population conjugué à une meilleure prise en charge de la dépendance, mais, surtout, l’explosion du nombre de bénéficiaires du RSA : si la hausse est, en moyenne, de 9, 1 % en France, elle peut atteindre 20 % dans certains départements, notamment industriels, voire 25, 5 % dans les Ardennes, département que j’ai l’honneur de présider. Au point que, pour l’année 2014, les sommes non remboursées aux départements, appelées « reste à charge », ou RAC, ont atteint le chiffre de 7, 2 milliards d’euros, pour arriver à 8, 1 milliards d’euros en 2015.

S’est ajoutée parallèlement, pour les départements comme pour toutes les autres collectivités territoriales, au titre de l’effort de redressement des comptes de la Nation, une diminution cumulée de 30 % de leurs dotations à compter de 2014 jusqu’en 2017, qui représentera au total 4 milliards d’euros.

Par ailleurs, il faut le savoir, les mécanismes de remboursement des allocations individuelles de solidarité, ou AIS, par l’État aux départements répondent à une logique quelque peu ubuesque : plus un département compte de bénéficiaires du RSA et d’ayants droit à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, moins il est compensé. En France métropolitaine, le reste à charge ramené à l’habitant par département, c'est-à-dire la non-compensation, varie de 77 euros à 217 euros et atteint des sommes encore plus élevées dans les départements ultramarins.

Forte de telles constatations et en s’appuyant sur un travail conduit par des experts, dont le cabinet Klopfer, l’ADF – l’Assemblée des départements de France – a, dès le printemps 2015, et dans une démarche toujours unitaire, alerté et rencontré les ministres concernés, le Président de la République et, à plusieurs reprises, le Premier ministre. Sur la base de ces expertises, validées à la fois par l’ADF et par le Gouvernement, à défaut d’une meilleure compensation des dépenses liées à ces allocations, dix départements étaient annoncés en déséquilibre budgétaire avant la fin de l’année 2015. Entre trente et quarante départements le seront en 2016, et les autres finiront par tomber en 2018. Voilà qui a fait dire à certains esprits chagrins ou lucides que la disparition des départements, faute d’avoir été obtenue par la loi, surviendrait par asphyxie financière…

À la suite de différentes réunions de travail entre l’ADF et le Gouvernement, dans le cadre d’un dialogue certes âpre, mais toujours constructif, des perspectives de solutions pérennes ont été proposées par le Premier ministre le 25 février dernier.

On semble avoir enfin pris la mesure que le conseil départemental représente la seule collectivité capable de mettre en œuvre sur le terrain auprès des usagers l’un des aspects fondamentaux de notre pacte républicain issu du Conseil national de la Résistance : la solidarité nationale à l’égard des plus fragiles d’entre nous. Il est d’ailleurs à noter que, dans le cadre des débats préparatoires à la loi NOTRe, aucune autre collectivité n’a revendiqué l’exercice de cette grande et nécessaire mission de cohésion.

Lors de notre dernière rencontre, le 25 février, sans attendre les conclusions de la mission Sirugue, compte tenu de l’urgence de la situation, M. le Premier ministre a, dans un premier temps, annoncé une prise en charge par l’État du financement du RSA dans le cadre d’une réforme globale des allocations de solidarité. La mise en œuvre sera effective avec la loi de finances pour 2017. Le Premier ministre a rejoint l’ADF sur un certain nombre de points essentiels.

Premièrement, la prise en charge du RSA par l’État sera financée non par les recettes dynamiques des départements, en l’occurrence les droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, et ce qu’il reste de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE – les départements les conservent –, mais sans doute par un prélèvement sur leur dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui prendra en compte la situation de chacun, ainsi que, a précisé M. le Premier ministre, l’efficacité de leurs politiques d’insertion.

Deuxièmement, le principe de la clause de retour à meilleure fortune est acquis. Les départements qui parviendront à faire baisser leur nombre d’allocataires du RSA verront alors leurs prélèvements diminuer d’autant.

Troisièmement, une aide d’urgence pour les départements les plus en difficulté pour l’exercice budgétaire 2016 est actée. Elle pourrait se chiffrer à 250 millions d’euros.

Le chemin à parcourir reste long et difficile. Des points cruciaux doivent encore être négociés : le calendrier de la réforme et l’année de référence, qui, pour l’ADF, ne peut pas être postérieure à 2014. Ce n’est pas un caprice, monsieur le ministre ; il s’agit de la dernière année où les départements ont pu faire face !

En résumé, les récentes évolutions pour les conseils départementaux sont un rayon de soleil dans un ciel qui reste très assombri. C’est au vu des résultats des négociations sur les modalités de mise en œuvre des propositions du Premier ministre que nous pourrons dire : « Non seulement nous avons été écoutés, mais, en plus, nous avons enfin été compris ! »

Pour illustrer mon propos, je me permettrai de donner quelques chiffres concernant mon département. Ils permettent de mesurer plus clairement les enjeux.

Les Ardennes, ce sont 280 000 habitants, 450 millions d’euros de budget, un levier fiscal qui représente 500 000 euros par point de fiscalité pour le seul foncier bâti et des investissements contraints aux côtés de l’État qui représentent 242 millions d’euros en quinze ans. Nous cofinançons actuellement avec l’État l’achèvement, dans sa partie française, de la liaison autoroutière non concédée Rotterdam-Marseille.

En trois ans, l’État aura baissé nos dotations – comme celles de toutes les autres collectivités – de plus de 9 millions d’euros, soit 18 % de notre fiscalité, mais il aura aussi oublié de nous rembourser 106 millions d’euros d’allocations de solidarité…

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