Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 2 mars 2016 à 14h30
Situation financière des départements

Jean-Michel Baylet, ministre :

La DGF des départements s’est elle aussi construite par la sédimentation de plusieurs couches d’indicateurs, créant progressivement des écarts de dotation intolérables, situation qui dure depuis trop longtemps. La réforme de la DGF n’interviendra pas en 2016, mais des correctifs ont d'ores et déjà été apportés à cette dotation. Je pense, notamment, à la simplification opérée en 2015 pour tenir compte des évolutions de population et à la progression des mécanismes de péréquation, horizontale ou verticale.

Il faudra bien naturellement se pencher à la fois sur la DGF des départements et sur la péréquation. Nous allons nous y atteler. Certes, il existe déjà des outils. Certains, d’ailleurs, ont été prévus dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité que j’évoquerai ultérieurement. Toutefois, il faut encore travailler sur la péréquation, et je souhaite bien entendu le faire en y associant les représentants des départements et tous ceux, y compris dans cette assemblée, qui souhaiteront avancer sur ces sujets. Les difficultés sont bien connues, et le constat est partagé. Il s’agit de rappeler ce qui a déjà été fait et, surtout, de définir ce qui reste à entreprendre pour régler ce point.

Dès le mois de juillet 2013, le pacte de confiance et de responsabilité a été présenté. Je rappelle que celui-ci était le fruit d’une concertation menée durant six mois avec l’ensemble des représentants des collectivités locales.

Le pacte prévoyait une augmentation des ressources des départements de 1, 6 milliard d’euros. Cette aide exceptionnelle correspondait à une réduction de 18 % du reste à charge des départements, question largement évoquée aujourd'hui, au titre des allocations individuelles de solidarité, les AIS. Elle prenait la forme d’un transfert des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti, pour un montant de dotations supplémentaire de 800 millions d’euros, et d’un relèvement du plafond des taux des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, de 3, 8 % à 4, 5 %. L’ensemble des départements a désormais adopté ces taux.

Le pacte prévoyait également – enfin ! – la création, réclamée depuis longtemps, d’un système péréquateur, par l’instauration d’un fonds d’urgence, alimenté par un prélèvement de 0, 35 % sur le produit des DMTO.

Dès 2014, ces mesures ont été pérennisées par la loi de finances, anticipant d’un an la clause de revoyure.

Afin de faire face à l’aggravation de l’équilibre financier de certains départements, le Gouvernement a engagé, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015, une aide de 50 millions d’euros.

Cette aide est mobilisée à travers un fonds d’urgence, lequel a déjà bénéficié à dix départements, notamment à celui du Nord, pour plus de 11 millions d’euros tout de même, ou à celui du Val-d’Oise, pour près de 3, 7 millions d’euros. Elle s’ajoute à la reconduction du dispositif de compensation de pertes de la CVAE pour les départements qui subissent des baisses trop brutales de fiscalité économique, par exemple en cas de fermeture d’une grande entreprise. Ainsi, deux départements ayant subi, en 2015, une diminution de CVAE supérieure à 5 % – la Creuse et le Territoire de Belfort – ont bénéficié de ce mécanisme, à hauteur de 4, 5 millions d’euros.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ces mesures visaient à répondre à l’urgence de la situation et, en quelque sorte, à donner un peu d’air aux collectivités les plus fragilisées. Cependant, nous savions bien qu’elles n’en rendaient pas moins indispensable une réflexion plus globale sur le financement du revenu de solidarité active.

Je constate que le RSA est une prestation à propos de laquelle les départements ne disposent, hélas !, d’aucune marge de manœuvre. En effet, c’est l’État qui en fixe les conditions d’accès, le montant et les revalorisations.

À ce sujet, je souhaite répondre aux propositions de certains présidents de conseil départemental, notamment de celui du Haut-Rhin, visant à introduire une conditionnalité pour le versement du RSA, par exemple en obligeant les bénéficiaires à accomplir un certain nombre d’heures de bénévolat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les érudits que vous êtes connaissent l’étymologie du terme « bénévolat » : il vient d’un mot latin qui signifie bonne volonté. J’y vois naturellement une antinomie avec toute forme de contrainte.

J’ajoute qu’une telle condition est impossible en droit, le non-versement du RSA étant strictement défini par le code de l’action sociale et des familles : aux termes de celui-ci, le versement de la prestation ne peut être suspendu qu’en cas de refus de se soumettre aux contrôles.

Par ailleurs, je relève que le dispositif même du RSA s’inscrit dans une dynamique de réinsertion, en prévoyant, notamment, un surcroît de rémunération en cas de retour, même partiel, à l’emploi.

C’est cette dynamique que les départements doivent encourager, en accompagnant les bénéficiaires du RSA, et non en les contraignant. Je vous rappelle que, à l’origine, le RMI, devenu RSA, comportait un volet « insertion » très important. Nous étions même tenus de consacrer 20 %, puis 17 % de notre budget à des actions d’insertion des bénéficiaires du RMI, les préfets étant en droit de les inscrire d’office si cette obligation n’était pas respectée !

Aujourd'hui, cette dimension ne s’est pas tout à fait évaporée, mais elle semble constituer une moindre priorité pour les départements. Comme le Premier ministre l’a rappelé, nous souhaitons que l’importance de l’insertion soit de nouveau prise en compte par les départements. C’est l’une des raisons d’être de cette prestation de solidarité que de ramener celles et ceux qui en bénéficient dans le monde du travail.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les rencontres de travail avec l’Assemblée des départements de France, l’ADF, ont été régulières. Comme vous le rappeliez, monsieur Huré, la dernière réunion en date s’est déroulée jeudi dernier à Matignon, en présence du président de l’Association, Dominique Bussereau, du Premier ministre et de moi-même. À cette occasion, nous avons formulé une proposition tendant à une recentralisation partielle du RSA, sous certaines conditions, répondant exactement à la demande présentée par l’Assemblée des départements de France.

D'ailleurs, l’ADF, réunie hier en assemblée générale extraordinaire, a fait, à l’unanimité moins une voix, le choix de la négociation. Tant mieux ! La négociation et l’effort pour rapprocher les points de vue sont toujours préférables au conflit… J’en suis très satisfait.

Afin que nous puissions, je l’espère, avancer dans la voie d’un accord, je recevrai, dès la semaine prochaine, la délégation de l’ADF qui a été constituée et mandatée hier pour ce faire. Si nous devions aboutir à un accord, celui-ci devra intervenir rapidement, dès la fin de ce mois, afin que les conseils départementaux puissent bénéficier d’une meilleure visibilité dans la construction de leurs budgets.

Cette recentralisation se ferait alors selon trois modalités.

La première concerne la détermination de la compensation pour l’État. Je sais bien que cette question est l’un des points d’achoppement des échanges. Il a été décidé, en effet, que la compensation serait évaluée sur la base desdépenses de l’année n-1, à savoir 2016.

À ce sujet, je veux tout de même rappeler que l’on a procédé ainsi pour tous les transferts de compétence de l’État vers les collectivités locales – en particulier, lors de la décentralisation du RSA, en 2003. Il n’est donc pas anormal que l’on fasse de même quand le transfert s’opère en sens inverse.

La deuxième modalité concerne le panier de ressources sur lequel s’opérera ce transfert. Conformément aux demandes de l’ADF, il a été décidé que les ressources dynamiques des départements – je pense à la CVAE et aux DMTO – ne seraient pas concernées, contrairement à ce qui avait été envisagé à un certain moment. Là encore, nous avons tendu la main à l’ADF.

La troisième modalité vise la mise en œuvre de mécanismes incitant les départements à renforcer leurs dispositifs d’insertion – clause de retour à meilleure fortune, bonification de la DGF, entre autres – en complément d’une inscription obligatoire des dépenses d’insertion des bénéficiaires du RSA.

Les travaux conduits par le député Christophe Sirugue sur la simplification et l’harmonisation des minima sociaux doivent également aboutir avant la fin du mois. Trois pistes sont évoquées dans le cadre d’une concertation permanente avec les départements et les associations. Nous prendrons en compte les résultats de ces travaux, le temps dont nous disposons pour parvenir à un accord équilibré étant particulièrement court.

Je veux enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, dire un mot d’une autre AIS dont il a été beaucoup question cet après-midi : l’allocation personnalisée d’autonomie.

Un certain nombre d’entre vous a souligné le poids de cette allocation, en particulier Mme la présidente du conseil général des Pyrénées-Orientales, département confronté au vieillissement de sa population dans des proportions importantes.

La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dont un décret d’application vient d’être publié, a prévu la revalorisation de l’APA. Préparée en concertation étroite avec l’ADF, cette mesure sera intégralement compensée par l’État. Grâce à cette loi, le taux de compensation des dépenses liées à l’APA, après être passé de 43 % en 2002 à 31 % en 2012 – soit une chute de douze points ! –, atteindra 36 %.

Le maintien de ces ressources aux départements doit leur permettre, comme beaucoup d’entre vous l’ont espéré, de retrouver des marges de manœuvre accrues pour non seulement mener leurs politiques d’insertion, mais aussi jouer un rôle central en matière de solidarité et de soutien à la ruralité.

Tel est en tout cas l’objectif de la recentralisation que nous proposons, laquelle constitue – nous le pensons, tout comme vous ! – une solution pérenne aux difficultés rencontrées par les départements. En la matière, le Gouvernement prend ses responsabilités.

À cet égard, sachez qu’une mission d’inspection a été lancée voilà quelques jours sur la situation de la CVAE. Les départements seront strictement ponctionnés à due concurrence des transferts de charges, pas davantage.

M. Labbé a souligné l’importance des investissements publics liés à la transition énergétique. Je me permets de lui rappeler qu’il existe déjà un fonds auprès de la Caisse des dépôts et consignations et qu’une partie d’un autre fonds, doté de 1 milliard d’euros, est fléchée vers la transition énergétique.

Comme le rappelait le sénateur Adnot, qui connaît bien ces questions, les départements ont beaucoup souffert ces dernières années, quelles que soient les majorités, non par la volonté de tel ou tel gouvernement de les mettre en difficulté, mais en raison de diverses décisions.

La quasi-suppression de la fiscalité départementale, par exemple, a beaucoup contribué à leur perte d’autonomie. Par ailleurs, Bercy, qui n’a pas un travail facile, a été parfois tenté de rogner sur les dotations destinées à compenser les transferts de charges.

S’il est vrai que les départements traversent des moments difficiles, nous avons repris le dialogue. Nous avançons ensemble. Comme je l’ai dit, chacun doit prendre ses responsabilités ; moi, je prendrai les miennes. Je m’impliquerai – je le fais déjà – sur ce dossier de toutes mes forces, afin de mener à bien cette concertation et de créer les conditions, pour peu que nous cultivions les convergences plutôt que les divergences, d’un accord dans l’intérêt de tous – des départements et de l’État, qui a aussi ses contraintes. Notre proposition de recentralisation représente tout de même 700 millions d’euros. Il ne s’agit pas d’une paille !

Dans la confiance retrouvée, je souhaite que nous puissions avancer dans le meilleur intérêt des départements, de leurs finances et de nos concitoyens.

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