Intervention de Joël Labbé

Commission des affaires économiques — Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Ancrage territorial de l'alimentation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Joël LabbéJoël Labbé, rapporteur :

Cette proposition de loi, déposée par Mme Brigitte Allain, députée, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 14 janvier dernier. Reprenant des préconisations formulées en juillet 2015 par la mission d'information de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires, elle fait de la restauration collective l'un des leviers d'une alimentation issue de l'agriculture locale, durable et biologique.

Il y a une véritable prise de conscience qu'il faut modifier les schémas d'alimentation actuels. Mais cela ne suffit pas : il faut trouver des moyens opérants pour mettre un terme à des modes d'alimentation dont l'acceptation sociale est de plus en plus remise en cause.

La restauration collective représente 81 376 structures en France, 8 millions de repas servis par jour, soit 7 milliards d'euros d'achats par an. Ce n'est pas rien. Le plus souvent, une personne publique - en particulier, les collectivités territoriales avec les cantines scolaires - en assume la charge.

La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement assignait déjà à l'État l'objectif d'approvisionner ses services de restauration collective en produits biologiques ainsi qu'en produits saisonniers, à faible impact environnemental ou issus d'exploitations engagées dans une démarche de certification environnementale. La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture a renforcée cette démarche : le programme national pour l'alimentation doit prévoir « des actions à mettre en oeuvre pour l'approvisionnement de la restauration collective, publique comme privée, en produits agricoles de saison ou en produits sous signes d'identification de la qualité et de l'origine, notamment issus de l'agriculture biologique ». Malheureusement, ces mesures sont loin d'avoir porté pleinement leurs fruits.

Certes, un effort réel a été fourni. En 2015, 59 % des restaurants collectifs proposaient, au moins de temps à autre, des produits biologiques - le chiffre atteint 72 % pour les restaurants collectifs relevant de personnes publiques. Néanmoins, selon la Fondation Nicolas Hulot en 2013, ils n'avaient consacré que 2,7 % de leurs achats à des produits biologiques. Plus symptomatique encore, 87 % de la volaille qu'ils proposent était importée. Idem pour la viande bovine, importée à 80 %, nous l'avons appris lors de la crise aiguë de l'été dernier.

Si la situation est très contrastée selon les territoires, il existe une profusion d'initiatives locales - et nous avons constaté, avec Daniel Gremillet, Gérard Bailly et Frédérique Espagnac, lors des auditions, l'enthousiasme des collectivités territoriales comme du milieu associatif. Cependant, faute de coordination, ces initiatives n'ont pas d'effet d'entraînement sur le développement d'une filière plus solide. Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises dans notre commission, il faut donc structurer la demande pour structurer l'offre.

Les personnes publiques voient souvent dans les règles de la commande publique un obstacle quasi-insurmontable à l'achat de produits alimentaires répondant aux objectifs de proximité et de durabilité. En réalité, la définition de l'objet du marché et des caractéristiques techniques des produits, l'allotissement ou les critères de sélection des candidats autorisent le renforcement de l'ancrage local de l'alimentation. Depuis 2014, le ministère de l'agriculture a mis à disposition des gestionnaires de restaurants collectifs un guide pratique détaillant les outils à leur disposition.

Cette proposition de loi entend créer une dynamique de changement en s'appuyant sur la restauration collective.

Son article premier oblige les personnes publiques à introduire des produits relevant de l'alimentation durable et de l'agriculture biologique dans leurs services de restauration collective. Initialement, cet objectif devait être atteint en deux temps : dans les six premiers mois de la promulgation de la loi, 20 % de produits relevant de l'alimentation durable ; à compter du 1er janvier 2020, 40 % de produits relevant de l'alimentation durable, et 20 % de produits issus de l'agriculture biologique. L'article 2 transforme l'observatoire de l'alimentation en observatoire de l'alimentation et des circuits courts et de proximité afin qu'il s'assure du respect de l'obligation fixée à l'article premier. Avec l'article 3, les plans régionaux d'agriculture durable intégreront les politiques alimentaires transversales dans leurs objectifs et leur gouvernance. L'article 4 impose aux grandes entreprises d'inclure des exigences de consommation alimentaire durable dans leur rapport en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). L'article 5 étend le dispositif « fait maison » aux restaurants collectifs favorisant l'alimentation des convives à partir de produits bruts.

En commission comme en séance publique, les députés ont conforté ce dispositif. Ils ont notamment supprimé l'objectif provisoire de 20 % six mois après la promulgation de la loi - le délai était effectivement trop court -, précisé les catégories de produits devant être introduits en restauration collective et modifié les prérogatives et compétences de l'observatoire de l'alimentation et des circuits courts et de proximité.

Les députés ont également adopté deux articles additionnels. L'article premier bis prévoit un rapport sur l'application du texte. Si le Sénat n'aime pas beaucoup les rapports, celui-ci a son importance. L'article 3 bis confère aux chambres régionales d'agriculture un rôle d'accompagnement.

À mon sens, l'objectif contraignant fixé à la restauration collective publique est réalisable si les acteurs s'en donnent les moyens. Cela implique qu'ils modifient leur approche, les projets alimentaires territoriaux les y aideront.

Il conviendra de former les acteurs de la restauration collective. D'abord, les gestionnaires, sur les marchés publics et la planification des achats qui est absolument essentielle. Leur information sur l'offre locale et la saisonnalité des produits devra être renforcée. Les cuisiniers devront réapprendre à utiliser des produits bruts - en un mot, à cuisiner. C'est la noblesse de leur métier.

L'approvisionnement des restaurants collectifs en produits locaux n'implique pas nécessairement un surcoût. Les expérimentations le montrent : on peut réduire le coût global de la préparation des repas par la lutte contre le gaspillage alimentaire, objet d'une proposition de loi que le Sénat a récemment adoptée à l'unanimité. La promotion des produits en vrac et la limitation de la diversité des produits proposés sont d'autres voies d'économies ; et ce, sans amoindrir la qualité nutritionnelle des repas. De même que l'adaptation accrue des grammages et des menus - les recommandations du groupe d'étude sur les marchés de restauration collective et de nutrition (GEM-RCN), entre autres sur la proportion de protéines animales à respecter par rapport aux protéines végétales, ne doivent pas freiner le retour à un ancrage territorial de l'alimentation.

Enfin, jouons des complémentarités entre les acteurs pour stimuler l'offre, assurer son adéquation avec la demande et stimuler la filière.

L'Assemblée nationale est parvenue à un texte abouti. La teneur de l'obligation relative à la restauration collective publique est claire tant pour les catégories de produits à introduire que pour les quotités : 40 % de produits de l'agriculture durable d'ici le 1er janvier 2020, dont 20 % issus de l'agriculture biologique. Cette quotité sera facilement atteinte puisque les produits bio sont des produits sous signe de qualité, avec la mention « AB », et répondent à des critères de développement durable. Les dispositifs d'accompagnement de cette obligation ne soulèvent pas d'obstacles de principe, ni sur le fond ni sur la forme.

C'est pourquoi je vous invite à adopter ce texte conforme, sans quoi il ne sera pas examiné avant la prochaine niche écologiste à l'Assemblée nationale en 2017, soit en pleine campagne présidentielle. Posons-nous la question : cette proposition de loi convient-elle à la population ?

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