Quelques jours après la Journée européenne contre la traite des êtres humains du 18 octobre, nous sommes réunis en cette Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes pour débattre et réfléchir ensemble à la façon dont nous pouvons utilement contribuer à l'éradication du phénomène de la traite, qui n'épargne ni l'Europe, ni la France.
La traite des êtres humains touche 22 millions de personnes dans le monde. Elle fait chaque année 2,5 millions de victimes, qui sont à 80 % des femmes et des jeunes filles : on comprend que ce soit un sujet de préoccupation pour la délégation aux droits des femmes.
Le sujet de la traite n'est pas tout-à-fait nouveau pour notre délégation. Nous avons eu l'occasion de l'aborder, notamment sous la présidence de Brigitte Gonthier-Maurin. Le projet de loi transposant la directive de 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la protection des victimes a donné lieu à un rapport d'information de notre collègue Maryvonne Blondin, publié en 2013. Évidemment, la traite a également été abordée au cours du débat sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel qui, même s'il a abouti à un vote que l'on ne peut que regretter, a été très riche au Sénat.
Le travail que notre délégation prépare depuis le mois de septembre sur les femmes victimes de la traite des êtres humains sera présenté par six rapporteures, une par groupe : outre moi-même pour le groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC, il s'agit de Corinne Bouchoux pour le groupe écologiste, d'Hélène Conway-Mouret pour le groupe socialiste, de Joëlle Garriaud-Maylam pour le groupe Les Républicains, de Brigitte Gonthier-Maurin pour le groupe communiste républicain et citoyen et de Mireille Jouve pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen. Cette diversité montre l'intérêt de tous les groupes du Sénat pour ce sujet déterminant en matière de violences faites aux femmes.
Les tragiques attentats qui ont frappé notre pays ont mis en évidence des liens entre le terrorisme et la traite. Daesh et Boko Haram s'appuieraient entre autres sur la traite des êtres humains pour financer leurs activités, qu'il s'agisse d'esclavage sexuel ou de trafic d'organes.
Nos premières auditions l'ont montré, la traite revêt des aspects divers, ce qui implique de disposer d'une expertise complète en s'appuyant sur le témoignage des acteurs de terrain. Là est précisément l'objet de notre table ronde, et je vous remercie d'avoir accepté d'y participer.
Avant de vous présenter toutes et tous et de vous donner la parole, je voudrais rappeler que nous aurons cet après-midi deux temps de débat.
Le premier sera consacré aux enjeux auxquels sont confrontés les acteurs qui luttent contre la traite. Nous entendrons des experts ou associations de terrain qui pourront nous dire ce qui caractérise leur action et ce que le législateur peut faire pour les aider dans leur combat.
La seconde partie permettra quant à elle de nous éclairer sur les enjeux liés à la crise actuelle des migrants. Nous avons bien compris que ce phénomène et celui de la traite sont juridiquement distincts, car la traite implique une contrainte exercée sur une victime alors que les migrants, par définition, fuient volontairement leur pays. Cependant, l'actualité a malheureusement montré que ces personnes, une fois arrivées en Europe dans le plus grand désarroi, peuvent se retrouver victimes de traite des êtres humains car elles constituent des cibles « faciles » pour les réseaux. Il s'agira pour nous de comprendre comment ces questions sont aujourd'hui appréhendées et quel est le degré de risque supplémentaire lié à cette situation inédite en Europe.
Je remercie chacune et chacun d'entre vous d'être venus jusqu'à nous et je vous propose de commencer sans plus tarder nos échanges. Nous écouterons ensuite une interview de Mme Michèle Ramis.
Vous trouverez aussi, sur le site du Sénat, une présentation vidéo de Mme Myria Vassiliadou, coordinatrice européenne de la lutte contre la traite des êtres humains que notre délégation a rencontrée le 22 septembre. Dans vos dossiers figure le texte français de son intervention.
Notre audition fait, par ailleurs, l'objet d'une captation vidéo qui sera mise en ligne sur le site du Sénat.
Pour cette première partie consacrée à l'expérience des associations et aux enjeux en matière de traite, nous accueillons six intervenants, que je présenterai successivement.
Notre premier intervenant est Louis Guinamard, qui a créé l'agence TAOR, spécialisée dans des sujets sensibles tels que l'excision ou les viols de guerre. La délégation a déjà eu l'occasion de l'entendre, il y a deux ans, dans le cadre de la préparation d'un rapport d'information sur ce sujet. Dans son ouvrage intitulé Les nouveaux visages de l'esclavage, publié sous la direction de Geneviève Colas, Louis Guinamard décrit les différentes formes que peut revêtir la traite, notamment celle des mineurs. Son intervention nous donnera donc une vision d'ensemble du phénomène de la traite des êtres humains.
Notre deuxième intervenante, Geneviève Colas, représente le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », dont la coordination est assurée par l'association Secours catholique-Caritas France. Geneviève Colas a par ailleurs contribué à la publication d'un ouvrage sur la traite des êtres humains dans les situations de conflits. À l'occasion de la Journée européenne de lutte contre la traite, ce collectif a publié un communiqué rappelant notamment le rôle des associations et formulant un certain nombre de recommandations. Nous serons très intéressés par son analyse du rôle de la société civile dans la lutte contre ce fléau.
Nous entendrons ensuite Patrick Hauvuy et Federica Marengo, qui représentent l'association ALC (Accompagnement Lieux d'accueil Carrefour éducatif et social). ALC a créé en 2001 le dispositif national Ac.Sé (Accueil Sécurité), réseau d'associations et de centres d'hébergement qui vise à protéger les personnes victimes de la traite des êtres humains se retrouvant en danger localement. Patrick Hauvuy et Federica Marengo pourront nous faire part des principales difficultés rencontrées dans leur action.
Puis la question des mineurs sera abordée avec Eléonore Chiossone et Alice Tallon, qui représentent ECPAT France (End child prostitution, child pornography and trafficking of children for sexual purposes). La mission de cette ONG est de lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, en France et à l'étranger. La situation des mineurs victimes de traite est en effet très délicate. L'expérience de nos intervenantes, nourrie de nombreuses études et missions menées en France comme à l'étranger, nous apportera des éléments clés pour nos travaux.
Enfin, Maître David Desgranges nous parlera de son expérience à la tête du Comité contre l'esclavage moderne. Depuis sa création en 1994, le CCEM s'est rapidement spécialisé dans la prise en charge des personnes victimes de traite à des fins d'exploitation par le travail, en particulier domestique. Son accompagnement juridique et administratif des victimes est extrêmement important. Maître David Desgranges aura certainement de nombreuses recommandations à nous faire.
La conclusion de cette première partie reviendra à Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), que la délégation a auditionnée voilà une semaine.
Nous ouvrirons ensuite un échange avec les membres de la délégation. Louis Guinamard, vous avez la parole.