Intervention de Louis Guinamard

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 novembre 2015 : 1ère réunion
Les femmes victimes de la traite des êtres humains

Louis Guinamard, conseil en communication et plaidoyer international, auteur des Nouveaux visages de l'esclavage :

J'interviens ici comme auteur de l'ouvrage Les nouveaux visages de l'esclavage, publié en mai dernier sur la commande du collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains ». Mon travail, non pas d'expert mais de journaliste, visait à mettre des mots et des visages sur les concepts liés à la traite des êtres humains. Je l'ai réalisé grâce au soutien et à la disponibilité de l'ensemble des associations membres du collectif.

On ne peut réduire la traite des êtres humains aux seules questions de l'esclavage domestique et de la prostitution. Nous avons tous à l'esprit non seulement les histoires des « petites bonnes », ces jeunes filles maltraitées et tenues en esclavage, mais aussi la question extrêmement prégnante de la prostitution, le système prostitutionnel fonctionnant essentiellement grâce aux mécanismes de la traite. Mais la traite des êtres humains va bien au-delà, en englobant les phénomènes de mendicité et de délit, très présents dans la traite des enfants, mais également les questions, plus anecdotiques mais souvent dramatiques, de la traite dans le sport, ou encore le phénomène des « bébés ancres » qui servent à légitimer les personnes lorsqu'elles arrivent sur un territoire.

Toujours sur le thème des mots que recouvre la traite, nous souhaitions, par cet ouvrage, contrer certaines paroles et idées reçues qui peuvent paraître anodines, mais qui contribuent à légitimer et à entretenir le système de la traite : « la prostitution est le plus vieux métier du monde » en est un exemple. Les mots ont leur importance ! Nous entendons souvent dire que la traite est une atteinte aux droits de l'homme, ce qui revient à biaiser la réalité. La traite est avant tout une atteinte aux droits humains, en ce qu'elle touche très majoritairement les femmes.

Dans le même ordre d'idée, il est difficilement admis qu'un mariage puisse s'inscrire dans le cadre de la traite, puisque juridiquement, le mariage implique un consentement. Or, je pense à l'histoire de Leila, une jeune fille qui nous a raconté comment un jour, on est venu la recruter dans son pays pour l'emmener en France. Son « mari » ne l'attendait même pas à l'aéroport ! Dès son arrivée, elle a été « prise en main » par sa belle-mère, qui l'a placée dans la maison, au service de la famille. Ici, tous les mécanismes de la traite sont bien réunis. Encore une fois, il est essentiel d'employer les bons mots derrière ces situations.

À travers des reportages, l'ouvrage relate des situations de traite dont certaines se déroulent à quelques centaines de mètres d'ici. Il suffit de se rendre au carrefour de Strasbourg-Saint-Denis pour observer le système prostitutionnel, avec, dès le matin, l'arrivée d'un groupe de femmes chinoises, puis, plus haut dans la rue, de femmes nigérianes. Tout cela se déroule sous nos yeux. La question est de savoir ce que l'on accepte ou non ; elle se pose aussi évidemment en province, où la prostitution se déroule dans les camions installés au bord des routes nationales, à la vue de chacun.

Il s'agissait également, à travers ce livre, de mettre des visages sur les notions que recouvre la traite, tout d'abord pour compatir avec les victimes, les laisser se raconter. L'ouvrage reprend le témoignage de la psychologue de l'association Foyer Jorbalan, qui évoque les femmes qu'elle accueille quotidiennement, généralement extraites de la prostitution en urgence et qu'il faut mettre à l'abri. Ces femmes ont souvent été dans le déni, ce qui leur a permis précisément de résister alors qu'elles étaient prises dans le mécanisme de la traite. L'une d'entre elles rapporte les mots suivants : « J'ai été traitée comme un animal pendant des années, je ne sais pas ce que c'est que d'être une femme ».

Nous souhaitions également mettre des visages sur la traite pour donner de la chair aux réseaux de traite.

Les réseaux internationaux, tout d'abord, nous dépassent, car ce sont de véritables nébuleuses, largement inaccessibles et qui s'inscrivent dans des sphères complexes. Néanmoins, il nous a semblé important d'expliquer que l'on parvenait parfois à remonter des filières, arrêter des personnes et identifier des responsables. Combattre ces réseaux n'est pas une lutte vaine, on peut y arriver.

Il s'agissait aussi de mettre des visages sur les réseaux de proximité. Très souvent, la traite se déroule au sein même de la famille. L'ouvrage relate le témoignage d'une petite fille Éthiopienne, Waris, dont l'histoire et notamment les conditions d'arrivée en France rassemblent tous les éléments de la traite. Orpheline, Waris est recueillie par sa tante, qui la place à son service. Ne supportant plus la situation de maltraitance qui lui est faite, Waris s'enfuit. S'ensuit une succession d'épisodes qui la conduiront en France, dans un processus qui rejoint le thème des migrations qu'aborderont les intervenants de la seconde séquence. Son histoire souligne bien que la traite ne s'inscrit pas forcément dans un contexte de marchandisation, mais qu'elle se déroule souvent dans le cadre privé, pour un « usage direct ».

La réalité de la traite soulève par ailleurs la question de l'impunité et de l'immunité de certaines personnalités, découlant de certains statuts. Sur cette question, les règles évoluent et plusieurs procédures engagées ont abouti. Encore une fois, il n'est pas vain de poursuivre le combat.

En bout de chaîne, nous tenions à mettre des visages sur les clients, qui sont les commanditaires de la traite. À ce titre, ils sont totalement impliqués et tiennent une responsabilité certaine dans le mécanisme. Il était important de le rappeler.

Enfin, nous avons souhaité présenter les visages bienveillants, et tout d'abord ceux des « tiers intervenants ». Le tiers intervenant est la personne qui repère une situation et qui décide d'agir. J'ai à l'esprit l'histoire d'une femme qui, alors qu'elle vient de s'échapper de la voiture de la personne qui la maintenait en esclavage, s'arrête dans un parc. Une dame la voit et lui demande : « Pourquoi pleures-tu ? ». Cette dame entend son histoire et aussitôt, cherche de l'aide. Ce cas n'est pas isolé. D'après l'Organisation internationale contre l'esclavage moderne (OICEM), un quart des signalements provient de personnes de la société civile.

Enfin, parmi ces visages bienveillants, figurent bien évidemment les associations qui prennent en charge les victimes.

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