Les éléments qu'Éléonore Chiossone et moi-même vous présenterons aujourd'hui sont tirés d'une étude portant sur la prise en charge des mineurs victimes de traite en France que nous avons réalisée en 2014 et 2015 en collaboration avec Béatrice Lavaud-Legendre, chargée de recherche au CNRS.
Notre méthodologie a consisté à rencontrer 46 professionnels potentiellement en contact avec des mineurs victimes, et à analyser environ 80 dossiers judiciaires. Ceci nous a permis de retracer le parcours de 70 mineurs victimes de traite. Sans prétendre à l'exhaustivité, cette étude donne un aperçu des profils des mineurs concernés par la traite et des types d'exploitation rencontrés.
Nous avons tout d'abord identifié des mineurs victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle, forcés à se prostituer. Ces victimes sont majoritairement originaires d'Afrique de l'Ouest (du Nigéria en particulier), mais également d'Europe de l'Est (Roumanie principalement) et de France. Nous savons que des garçons peuvent être victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle, mais à l'échelle de notre étude, nous n'avons rencontré que des victimes de sexe féminin. Les personnes dont nous avons retracé le parcours ont toutes plus de quinze ans. Néanmoins, les acteurs de terrain observent un abaissement de l'âge des victimes et une accélération du phénomène. Deux acteurs en région parisienne ont ainsi signalé une centaine de cas de mineurs victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle entre janvier et septembre 2015.
Les autres cas massivement représentés dans notre étude sont des mineurs forcés à commettre des actes de délinquance : vols à l'arrachée, vols aux distributeurs automatiques de billets, cambriolages. Ces mineurs sont majoritairement originaires des pays de l'Est de l'Europe - Roumanie, Bosnie, Croatie notamment. À l'échelle de notre échantillon, les filles victimes de cette forme d'exploitation sont deux fois plus nombreuses que les garçons. Les profils des victimes sont sensiblement les mêmes s'agissant de la mendicité forcée.
L'étude retrace par ailleurs les parcours de victimes de traite à des fins de servitude domestique, contraintes de gérer les tâches ménagères d'une famille, de s'occuper des enfants, de préparer les repas. Les victimes sont parfois très jeunes. Nous avons par exemple relaté le cas d'une enfant âgée de sept ans ! Elles sont majoritairement de sexe féminin et originaire d'Afrique de l'Ouest, du Nigéria et de la Côte d'Ivoire en particulier.
Enfin, nous avons rencontré des cas de mineurs forcés à travailler sans rétribution, par exemple dans un commerce tenu par un membre de la famille. Les victimes sont, cette fois, principalement de sexe masculin et originaires de pays du Maghreb.
De manière générale, l'exploitation peut être le fait de réseaux criminels organisés, mais également d'individus isolés. Comme cela a été dit, il est important d'avoir à l'esprit que la traite peut s'organiser au sein même de la cellule familiale.
Lorsque la victime est mineure, l'infraction de traite est caractérisée même en l'absence de recours par l'exploiteur à des moyens - menaces ou violences - visant à obtenir le consentement de la victime. Toutes les victimes dont nous avons retracé le parcours ont pour point commun d'être sous l'emprise de leur exploiteur. Elles s'inscrivent toutes dans une position de soumission ou de dépendance face à un exploiteur qui se positionne comme dominant. Ces mécanismes d'emprise restent particulièrement méconnus des professionnels au contact des victimes, ce qui nuit au travail d'identification et ne permet pas de proposer des mesures adaptées. En effet, sans un travail pour « déconstruire » l'emprise, la prise en charge est mise en échec et se solde souvent par la fugue des mineurs identifiés.