Intervention de Élisabeth Moiron-Braud

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 novembre 2015 : 1ère réunion
Les femmes victimes de la traite des êtres humains

Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) :

Je remercie la délégation aux droits des femmes de m'avoir invitée à m'exprimer à l'occasion de cette Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, auprès des associations qui sont mes interlocuteurs quotidiens.

Je ne reviendrai pas sur les constats, remarquablement posés par les intervenants, mais citerai néanmoins les données que nous devons garder à l'esprit :

- la traite des êtres humains est une infraction extrêmement grave ;

- il s'agit de l'une des activités criminelles les plus développées dans le monde, en Europe et en France ;

- la majorité des victimes de la traite sont des femmes, mais aussi des filles et de très jeunes enfants. Beaucoup d'entre elles sont exploitées à des fins sexuelles ;

- la traite des êtres humains est l'une des atteintes les plus graves aux droits humains, et la troisième source de profit criminel, après le trafic de drogue et le trafic d'armes.

J'ai entendu les attentes des associations.

La première d'entre elles est de rendre visible le phénomène de la traite des êtres humains par des campagnes de sensibilisation, comme le prévoit le Plan d'action national. J'espère que l'augmentation des crédits inscrits sur la ligne de l'action 15 « Prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains », du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », nous permettra de mener la campagne à laquelle, comme vous, j'aspire. Par ailleurs, j'adhère tout à fait à la proposition de Geneviève Colas, qui peut compter sur notre soutien pour que la lutte contre la traite des êtres humains soit reconnue grande cause nationale, si possible l'année prochaine.

La formation est à mon sens l'un des noyaux durs de la lutte contre la traite des êtres humains, une nécessité absolue, dont l'insuffisance est aujourd'hui à l'origine de la plupart des problèmes que vous avez soulevés. Je pense notamment à l'hébergement et à l'absence de formation des Services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) aux problématiques liées à la traite des êtres humains.

Comme vous l'avez souligné, l'hébergement dédié pose des difficultés. Néanmoins, il est impératif d'y arriver, comme le prévoit expressément le quatrième Plan de prévention des violences faites aux femmes. Des progrès sont réalisés et j'espère que des places dédiées seront plus fréquemment mises à disposition des victimes de traite, notamment de femmes victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle.

Il est essentiel de mieux protéger les victimes mineures, de plus en plus nombreuses. À cet effet, nous travaillons notamment avec l'ECPAT, l'association Hors la rue et le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », sur l'expérimentation, à Paris, d'une protection adaptée aux mineurs. La convention que nous allons signer début 2016, qui rassemble un grand nombre d'acteurs, prévoit des mesures de protection basées sur l'éloignement géographique (aujourd'hui prévu uniquement pour les victimes majeures) et sur la formation des éducateurs qui reçoivent les mineurs dans les centres. Si cette expérimentation fonctionne, le dispositif sera étendu à l'ensemble du territoire.

En termes de budget, il est vrai que les moyens manquent. Le programme 137 est le principal contributeur à la lutte contre la traite. Il a été décidé de doubler le budget de l'action 15 du programme, qui sera porté, dès 2016, à 4,8 millions d'euros.

Je signale par ailleurs qu'en matière de formation, la MIPROF a mis en place trois groupes de travail : sur l'exploitation sexuelle, sur l'exploitation des mineurs et sur l'exploitation par le travail. Nous espérons aboutir à des outils concrets de formation. Comme cela a été souligné, des formations doivent être adressées à l'ensemble des forces de sécurité et des magistrats, au-delà des professionnels spécialisés sur la question.

Concernant les magistrats, la difficulté dépasse à mon sens le domaine « psychologique » et concerne de manière plus générale celui du droit. L'infraction de traite des êtres humains est juridiquement complexe. Dans un contexte de surcharge des tribunaux, il est souvent considéré plus simple de poursuivre sur le fondement du proxénétisme aggravé ou du travail dans des conditions indignes que sur celui de la traite des êtres humains.

Je terminerai en soulignant que c'est en protégeant et en libérant la parole des victimes de la traite que l'on luttera le plus efficacement contre les réseaux. Cela passe nécessairement par un accompagnement global, qui implique un accueil par des personnels formés, des solutions d'hébergement ainsi que des parquets dédiés. À ce sujet, il serait intéressant d'envisager un référent dédié à la traite des êtres humains dans certains parquets.

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