Le « Plan Migrants », en particulier l'engagement de la France d'accueillir 30 000 personnes au cours des deux prochaines années, intervient alors que la réforme de l'asile, extrêmement ambitieuse, n'est pas encore réellement mise en oeuvre. Ce décalage en termes de calendriers rend les choses complexes sur le terrain.
Les problématiques liées aux violences dans le cadre de l'asile sont connues depuis longtemps. Néanmoins, le secteur de l'asile est longtemps resté cloisonné par rapport à l'ensemble du secteur de l'inclusion sociale. L'interministérialité pour appréhender les questions relatives à la traite des êtres humains me semble fondamentale dans ce cadre. La circulaire du 22 juillet 2015, relative à la mise en oeuvre du plan « répondre au défi des migration : respecter les droits - faire respecter le droit », signée à la fois par le ministre de l'intérieur et par la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, constitue une avancée notable à ce titre. Néanmoins, elle n'inclut pas le secrétariat d'État aux droits des femmes.
France Terre d'Asile gère à Paris la plus grande plateforme d'accueil de demandeurs d'asile dont la file active compte environ 10 000 personnes. Les femmes victimes de la traite des êtres humains, notamment nigérianes, sont très représentées. Je confirme que les victimes sont des personnes de plus en plus jeunes, souvent mineures. Les passeurs leur demandent généralement de ne pas révéler le fait qu'elles soient mineures pour échapper au dispositif de l'aide sociale à l'enfance.
La question de la traite des êtres humains interroge la capacité des acteurs à identifier, à protéger et à accompagner les personnes vulnérables. La loi ne définit pas cette notion de vulnérabilité, mais identifie des catégories de personnes vulnérables, par exemple les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs et les victimes de la traite des êtres humains.
Dans le cadre du guichet unique, la détection des vulnérabilités, dont découlent les solutions spécifiques de prise en charge, est fondée sur un questionnaire annexé à l'arrêté du 23 octobre 2015 relatif au questionnaire de détection des vulnérabilités des demandeurs d'asile prévu à l'article L. 744-6 du CESEDA (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). Ce questionnaire est directif, il consiste en questions fermées (on ne peut répondre que par oui ou non) et semble trop général pour permettre de comprendre le parcours des personnes et repérer les victimes de traite. Pour améliorer le travail d'identification, il conviendrait de compléter cet outil par des éléments d'information plus spécifiques, notamment sur les traitements dégradants subis par la personne ou encore leurs conditions psychologiques, sans omettre le stress dont elles peuvent souffrir.
Dans notre plateforme parisienne, certains indices nous permettent de repérer des victimes potentielles. Par exemple, il s'agira d'une personne qui, pendant l'entretien, est harcelée au téléphone par son exploiteur qui craint qu'elle ne révèle des informations.
J'aborderai à présent la situation à Calais. France Terre d'Asile y est présente depuis 2009, par l'intermédiaire notamment de son bureau d'information juridique, qui réalise des maraudes et oriente les personnes vers la demande d'asile.
Face à la hausse du nombre de migrants séjournant dans le Calaisis et exposés au risque de traite, un projet spécifique d'aide aux victimes de la traite des êtres humains dans l'ensemble de la région Nord-Pas-de-Calais a été lancé le 1er novembre 2015 (c'est donc tout récent). Ce projet, initié par le ministère de l'intérieur dans le cadre du Plan d'action national contre la traite des êtres humains, est mené en relation avec les autorités britanniques. Les attendus du projet, qui se déroule sur dix-huit mois, sont les suivants :
- développer une méthode d'identification des victimes, adaptée au contexte de la migration et au contexte calaisien ;
- mettre en place, pour la première fois, des maraudes spécifiques d'identification et d'information des victimes ;
- développer un schéma d'orientation pour ces victimes, en lien avec les dispositifs existants à l'échelle nationale ;
- proposer aux victimes des réponses d'urgence, à travers un dispositif de mise à l'abri immédiat, dans l'attente de solutions pérennes ;
- développer des supports d'information adaptés aux publics vulnérables, ainsi qu'un module de formation des professionnels.
D'après les données disponibles, 6 242 migrants étaient présents à Calais le 7 novembre 2015. Aujourd'hui, le nombre de migrants à Calais est plutôt compris entre 4 000 et 5 000 personnes. Cette diminution s'explique par la baisse des arrivées en lien avec la période hivernale, mais également par l'impact du « Plan Migrants » dont découlent des solutions d'hébergement pour les réfugiés ainsi qu'un dispositif d'orientation des migrants du Calaisis, suivi à ce jour par près de 1 200 personnes. Par ailleurs, près de 1 000 personnes ont été placées en centre de rétention lors des quinze derniers jours. Face à la situation qui n'a cessé de s'aggraver à Calais depuis le début de l'automne, les pouvoirs publics ont ainsi agi de manière très forte pour réduire la pression sur le territoire.
On estime à près de 12 % la proportion de femmes dans les différents camps du Calaisis. Sept camps sont identifiés : quatre le long de l'autoroute menant à Calais et trois le long de l'autoroute menant à Dunkerque. Le camp le plus important, celui de Calais, que les migrants appellent la new jungle, les pouvoirs publics la « lande » et les associations locales le « bidonville », compte 55 % de femmes. Il s'agit essentiellement de Soudanaises, d'Éthiopiennes et d'Érythréennes. Nombre d'entre elles sont mineures. Le camp compte également de nombreux garçons mineurs, victimes de la traite, essentiellement de nationalité afghane ou égyptienne.
Les premières maraudes d'information menées dans le cadre du projet ont permis de repérer trois circuits d'exploitation. Ainsi, sont identifiées :
- des personnes victimes de la traite ayant lieu sur les camps ;
- des personnes ayant été victimes de la traite dans leur pays d'origine ou dans d'autres pays traversés pendant leur migration ;
- des personnes victimes de la traite à leur arrivée au Royaume-Uni, notamment des Vietnamiennes exploitées dans des salons de massage ou de manucure.
Voilà donc ce que je souhaitais partager parmi les premières observations dont nous disposons. Pour prendre la mesure de la situation, je vous invite à organiser une visite de terrain dans les camps du Calaisis.
Je terminerai mon propos en évoquant le projet de loi relatif au droit des étrangers, récemment débattu au Sénat en première lecture, qui prévoit un titre de séjour pluriannuel en lieu et place des multiples titres de séjour précaires. Nous avons été étonnés de constater que parmi les catégories de population exclues de ce dispositif figurent les personnes victimes de la traite des êtres humains. Nous ne parvenons pas à nous expliquer cette exclusion.
Enfin, je soulignerai que, pour assurer la protection des femmes victimes de la traite des êtres humains, il est essentiel de créer les conditions qui permettront de libérer leur parole et de faire en sorte que les victimes acceptent de rompre avec les réseaux de traite. Pour cela, il convient de mener des actions d'information, au plus près du terrain.