Intervention de Joël Labbé

Réunion du 9 mars 2016 à 14h30
Ancrage territorial de l'alimentation — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Joël LabbéJoël Labbé, rapporteur :

Toutes les salles qui le diffusent sont pleines !

J’étais invité samedi soir au cinéma d’Auray, ville chère à mon collègue Michel Le Scouarnec, pour la projection de ce film suivie d’un débat sur l’alimentation. La première salle, prévue pour recevoir cent cinquante personnes, ne suffisant pas, une autre pouvant en accueillir trois cents a été ouverte, et encore a-t-il fallu refuser du monde !

J’animais ce débat, mais ce n’est pas Joël Labbé qui a attiré cette population ! §Perrine Hervé-Gruyer de la ferme du Bec Hellouin était également présente, monsieur le président de la commission. Le débat s’est poursuivi jusqu’à une heure du matin ; l’assistance était non pas militante, mais intergénérationnelle et représentative de l’ensemble de nos concitoyens, cette foule sentimentale qui a soif d’idéal !

Je le dis sans reproche, mais je suis convaincu que, si nous étions une majorité à avoir vu ce film dans cet hémicycle, la disposition portant sur les 20 % de produits issus de l’agriculture biologique serait facilement adoptée…

Quoi qu’il en soit, l’alimentation est par définition un besoin essentiel pour toutes les populations du monde. Le droit à l’alimentation est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui garantit à chacun l’accès à une alimentation suffisante, de qualité et correspondant aux traditions culturelles locales.

Jusqu’aux années soixante, partout dans le monde, la majeure partie de l’alimentation était produite dans les territoires par une agriculture paysanne, et consommée par les populations de ces territoires. Aujourd’hui encore, ne l’oublions pas, cette agriculture familiale et paysanne de proximité fournit 80 % en valeur de l’alimentation mondiale et occupe près de 40 % de la population active de la planète.

En France, depuis le début des années soixante, différents leviers ont été actionnés afin d’accéder à la souveraineté alimentaire et d’augmenter de manière significative la production agricole. Ces éléments ont permis des gains de productivité considérables, tout en entraînant de profonds changements dans la nature des productions, avec une tendance à la spécialisation, à la diminution du nombre d’emplois provoquant un exode rural qui s’est poursuivi, et à la modification des structures des exploitations. L’intensification de l’agriculture a également eu des effets environnementaux substantiels sur les ressources naturelles, la vie des sols et la biodiversité, ainsi que sur la santé des agriculteurs et des consommateurs.

La prise de conscience est désormais réelle : une évolution de nos approvisionnements alimentaires doit intervenir, mais elle ne suffit pas ; il faut trouver des moyens opérants pour mettre un terme à des modes d’alimentation dont l’acceptation sociale est de plus en plus remise en cause.

La loi a sa place dans la définition de notre politique alimentaire : elle peut et doit donner l’impulsion du changement qu’attendent nos concitoyens.

C’est dans cette perspective que la présente proposition de loi cible uniquement l’approvisionnement des restaurants collectifs. Ce levier n’est pas nouveau : déjà, en 2009, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement prévoyait un engagement en la matière. En 2013, cet engagement était renouvelé dans le programme Ambition bio 2017. En 2014, en clôture de la conférence environnementale, était rappelé l’objectif du Président de la République d’atteindre une quotité de 40 % de produits locaux dans la composition des repas proposés en restauration collective.

Force est pourtant de le constater, plus de six ans après les premiers engagements, les objectifs fixés n’ont pas été atteints, tant s’en faut.

Toutefois, depuis 2009, des initiatives de plus en plus nombreuses se sont fait jour pour relocaliser l’alimentation servie en restauration collective ; elles sont porteuses en germe d’un mouvement de fond qu’il convient non seulement d’accompagner, mais aussi de consolider.

Pour ce faire, la réforme la plus emblématique prévue par la présente proposition de loi est d’imposer juridiquement, à l’horizon 2020, un approvisionnement alimentaire plus proche des territoires et de plus grande qualité pour les restaurants collectifs publics de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics, en fixant une quotité précise à atteindre. C’est l’unique voie permettant de produire un effet d’entraînement suffisant de la demande et de l’offre, à même de développer la filière de l’alimentation durable qu’il nous faut aujourd’hui.

Permettez-moi de rappeler que 3, 6 milliards de repas sont servis chaque année par la restauration collective en France.

J’entends certaines réserves sur le caractère matériellement réalisable de l’obligation mise à la charge de la restauration collective publique. Cet objectif contraignant est absolument atteignable si les acteurs s’en donnent les moyens dans les années qui viennent ; son respect impliquera nécessairement un renouvellement de l’approche jusqu’ici retenue par la majeure partie des acteurs de la restauration collective. Les projets alimentaires territoriaux inscrits dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt constitueront les instruments idoines pour mettre en œuvre cette nouvelle approche.

Dans cette perspective, il convient d’abord de développer la formation de l’ensemble des acteurs, notamment des acheteurs publics et des personnels de cuisine, afin en particulier de redonner toute sa noblesse au métier de cuisinier, y compris dans la restauration collective.

Il faut ensuite développer les synergies autour de l’objectif fixé. L’approvisionnement des restaurants collectifs en produits locaux, issus de l’agriculture biologique ou sous mentions d’origine ou de qualité n’implique pas nécessairement un surcoût : divers leviers peuvent être utilisés, notamment la lutte contre le gaspillage alimentaire renforcée grâce à une loi récemment adoptée à l’unanimité par le Sénat, la promotion des produits en vrac, la limitation de la diversité des produits proposés et, enfin, l’éducation à l’alimentation qui est essentielle et désormais inscrite dans la loi.

Lors de sa réunion du 2 mars dernier, la commission a adopté cette proposition de loi en y apportant certaines modifications, visant en particulier, tout en maintenant l’obligation pour la restauration collective de servir des repas composés à 40 % de produits relevant de l’alimentation durable, à assouplir ses conditions de mise en œuvre, particulièrement s’agissant de l’approvisionnement en produits bio.

L’objet du débat d’aujourd’hui portera sur l’adoption ou le rejet des 20 % de produits bio. Il n’y a pas d’ambition sans objectifs chiffrés. À mes yeux, ce n’est pas une question de droite ou de gauche ni même d’écologistes : c’est une question de bien et d’intérêt publics, pour aujourd’hui et pour les générations futures.

C’est pourquoi ce matin, dans le cadre des travaux de la commission, j’ai proposé deux assouplissements importants : d’une part, inclure dans les 20 % de produits bio les produits issus des surfaces en conversion, ce qui élargit le champ et constitue un appel d’air pour cette filière, qui fait actuellement l’objet d’un développement fort…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion