Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 mars 2016 à 9h30
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques — Audition du dr alain masclet président de ar2s améliorer les relations soignants-soignés

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur le cadre général des essais cliniques. Nous recevons tout d'abord le docteur Alain Masclet, président de l'association AR2S (Améliorer les relations soignants-soignés), qui est affiliée à l'Uniopss Nord-Pas-de-Calais. Le docteur Masclet a souhaité nous parler de la relation soignant-soigné dans le cadre des essais cliniques. Lors de nos auditions de la semaine dernière, le professeur Jean-Louis Bernard a souligné les difficultés que pose la relation entre le médecin investigateur et le volontaire lors des essais de phase 1. A ce stade en effet, le volontaire est dit « sain », il n'est traité pour aucune pathologie et n'est donc pas pris en charge par le médecin comme l'est une personne malade dans le cadre des essais cliniques de phase ultérieure. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus et nous indiquer quelles seraient vos préconisations pour mieux garantir la protection des personnes participant aux essais cliniques ?

Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de vous parler des difficultés relationnelles qui peuvent exister entre les soignants et les soignés, en particulier dans le domaine des essais cliniques. Lorsque j'ai pris connaissance par la presse de l'accident survenu à Rennes, j'ai relevé que la définition donnée des essais cliniques de phase 1 ne correspondait pas à celle que j'en avais ou à laquelle fait référence l'Inserm. La définition proposée renvoyait à la mesure de la tolérance et des effets indésirables alors que la phase 1 porte en réalité sur la mesure de la toxicité. Il s'agit d'un glissement sémantique qui n'est pas anodin car il pose le problème du consentement des volontaires. La mesure de la toxicité peut révéler un risque d'empoisonnement, voire de mort, tandis que la notion de tolérance renvoie à la possibilité d'effets indésirables mais de moindre gravité. L'information donnée aux volontaires sains n'a pas porté sur la possibilité d'effets toxiques graves, voire mortels ; le respect du principe de leur consentement libre et éclairé pose question. En tout cas, l'avis des volontaires n'a pu être éclairé et leur consentement a sans doute été d'autant moins libre qu'il s'agit souvent de personnes particulièrement vulnérables. On ne participe pas à un essai de phase 1 par altruisme pour la science mais d'abord parce qu'on connaît des difficultés financières.

Dans sa grande sagesse, le législateur a limité les possibilités d'indemnisation des volontaires à 4 900 euros par an et il a interdit la participation à plusieurs essais en même temps. Ma première réaction a été de dire que ce n'est pas cher payé pour le risque encouru. Le participant fait don de son corps mais en face c'est la recherche du profit qui compte. Ce profit est légitime, beaucoup de personnes investissent de l'argent dans les essais. Les essais cliniques s'étalent au total sur dix, quinze, voire vingt ans, et le retour sur investissement est incertain. Je ne mets pas en cause les investisseurs, dont nous faisons partie puisque beaucoup d'entre nous avons des placements en assurance-vie.

J'ai visionné les auditions récemment organisées par votre commission sur les liens et les conflits d'intérêts. Les positions étaient tranchées. Il y était question d'abattre le monstre tentaculaire, de couper les têtes d'experts car ils sont corrompus. Je ne pense pas que cela soit la solution.

Je reviens au problème du consentement. Comment améliorer sa qualité ? Un certain nombre de mesures législatives ont déjà été prises. Je pense notamment aux comités de protection des personnes (CPP), dont le Sénat est un peu à l'origine. Leur mission est de s'assurer que le consentement est bien obtenu. Mais que peut-on espérer lorsqu'on communique sur des termes qui ne sont pas les termes réels de l'expérimentation ?

Dans son rapport d'étape sur l'accident de Rennes, l'Igas relève que le lieu de l'expérimentation ne pose pas de problème particulier. S'agissant du rôle de l'ANSM, elle souligne qu'au total, on a fait le minimum mais pas le maximum. En ce qui concerne l'expérimentateur lui-même, des remarques importantes sont faites sur les conditions d'augmentation des doses, sur le passage de la phase de dose unique aux doses multiples, sur les cohortes, sur la manière dont on a pris en compte le cas du premier volontaire hospitalisé et les conditions d'information et de réitération du consentement pour les autres volontaires à la suite de cette première hospitalisation. Ceux-ci ont reçu une nouvelle dose sans être averti de la situation du volontaire hospitalisé. L'Igas nous dit que la législation n'est pas très précise, que les recommandations sont imprécises et qu'il faudrait peut-être mettre en place un comité de surveillance qui s'intéresserait particulièrement aux essais de phase 1. L'avis de l'Igas va peut-être évoluer car à ce stade elle n'a pas eu le temps d'approfondir suffisamment ses investigations.

Le dossier à remplir pour obtenir l'autorisation de réaliser l'expérimentation comporte des documents très précis, notamment l'annexe 4, qui nous renvoie aux recommandations de bonnes pratiques de l'agence européenne du médicament (EMA). Ces recommandations sont mises en avant par l'ANSM mais on se demande si les gens qui ont étudié le dossier de demande d'expérimentation ont bien lu ces recommandations. Celles-ci existent en anglais et ne sont apparemment pas traduites en français, ce qui explique peut-être la situation. Contrairement à ce qu'affirme l'Igas, il existe donc en tout cas des recommandations très précises en matière de réalisation d'essais cliniques de phase 1.

On constate par ailleurs que l'ANSM s'est facilement contentée du refus du laboratoire de fournir des indications en ce qui concerne l'expérimentation préclinique, in vivo et in vitro chez l'animal, sous le prétexte fallacieux d'un article du code des relations entre le public et l'administration qui n'a absolument rien à voir avec le secret industriel. On se demande s'il y a des juristes à l'ANSM.

Des réactions se sont également fait entendre au niveau européen. Je pense notamment au professeur Cohen, éminent pharmacologue, qui a réagi vertement à ce qu'a dit l'ANSM.

L'Igas a fait remarquer que le CPP de la région Ouest 6 avait bien fait son travail et émis un certain nombre de remarques qui étaient pertinentes. Mais elle s'interroge sur les conditions de fonctionnement de ce CPP et rappelle notamment que les décrets d'application de la loi dite « Jardé » de 2012, pour améliorer les conditions de choix des CPP, ne sont toujours pas parus. On peut le regretter car nous savons très bien qu'un certain nombre de CPP sont privilégiés par les expérimentateurs, soit parce qu'ils connaissent bien les sujets, soit peut-être parce qu'ils donnent des avis plus volontiers favorables. On peut se poser la question.

Cela n'est pas rassurant du point de vue du consentement, de point de vue de la sécurité des volontaires et pour la suite de l'expérimentation qui se déroule en quatre phases. Le passage de l'expérimentation sur l'animal à celle sur l'être humain, c'est-à-dire la phase difficile qu'est la phase 1, pose une question fondamentale, formulée dès le XVIème siècle par les anatomistes, qui est celle de l'analogie : comment faire pour tenir compte des différences entre les espèces animales elles-mêmes et, à partir de là, pour passer à l'être humain ? Cette question est très complexe. Vous recevrez tout à l'heure Madame Geneviève Chêne, biostatisticienne et méthodologiste bien connue, avec qui cette problématique pourrait être évoquée. On se demande si on ne se trouve pas un peu dans une situation de bricolage. Comment fait-on pour déterminer la première dose ? Plusieurs méthodes de calcul existent. La plus usitée, mais j'ignore si c'est celle qui a été appliquée par le laboratoire Biotrial, consiste à tenir compte de la dose létale 10 chez les rongeurs et à administrer à l'homme le dixième de cette dose à condition qu'elle n'ait pas d'effet toxique chez le chien. En cas d'effet toxique chez le chien, on diminue la dose par trois.

Rassurez-vous, il existe aujourd'hui des méthodes mathématiques qui permettent d'améliorer les choses, bien qu'elles suscitent toutefois des interrogations. La méthode qui est la plus souvent retenue pour la phase 1 a été mise au point par un mathématicien italien exerçant à Pise au XIIIème siècle. Il s'agit d'une méthode de progression arithmétique de doses de laquelle nous nous sommes inspirés. Au début, la progression est relativement lente, puis elle s'accélère. Le coefficient de multiplication est de plus en plus important à mesure que les doses augmentent. Cette méthode ne fonctionne pas bien et on a donc essayé de modérer cela. Cependant, pour l'expérimentation d'une dose unique, entre la première dose et la deuxième, on opère une multiplication par cinq (de 0,25 mg à 1 mg). Ensuite, on utilise un multiplicateur par deux. Pour la dernière dose, on multiplie par 2,5 puisqu'on passe de 40 à 100 mg. Un mois s'écoule entre la première et la deuxième dose, huit jours, quinze jours ensuite mais on ne sait pas comment les délais sont respectés. C'est un peu la même chose en ce qui concerne les cohortes : on répète les mêmes doses pendant un certain nombre de jours jusqu'à l'accident qui est arrivé au cinquième jour. Dans cette cohorte, la dose précédente était de 20 mg par jour pendant dix jours, ce qui faisait un total de 200 mg. A la phase suivante, lorsque le problème est apparu, on était arrivé à 250 mg, c'est-à-dire qu'on administrait dix doses de 50 mg et c'est à la dose de 50 mg au cinquième jour que le patient a présenté des atteintes neurologiques qui ont par la suite entraîné son décès. On ne comprend pas bien la logique de progression des doses.

L'ANSM, qui a demandé à un comité d'experts de se pencher sur le fonctionnement du type de molécule expérimenté, pose la question de savoir pourquoi cette méthode de progression des doses a été retenue car plus la dose augmente, plus on devrait prendre des précautions et du temps supplémentaires et avoir un coefficient de multiplication des doses moins important.

Il semblerait que les experts n'aient pas joué leur rôle. Je rappelle que l'ANSM dispose d'un budget annuel de 150 millions d'euros et de 1000 salariés et qu'elle consulte 2000 experts. L'Igas appelle de ses voeux la mise en place d'un comité d'experts supplémentaire. Je ne sais pas à quoi cela va servir.

Notre association considère que les recommandations européennes existent. Un nouveau règlement a été adopté par le Parlement européen et la Commission européenne en 2014. Il doit être appliqué pour le mois de mai 2016 mais ne le sera pas car l'ANSM en est seulement à la phase pilote de la mise en oeuvre des nouvelles règles. De notre point de vue, la législation, qui n'est certes pas parfaite, et les recommandations, que l'on peut sans doute encore améliorer, existent mais le problème est leur mauvaise application ou leur inapplication. La vraie question est de savoir comment on peut les appliquer.

Cette question nécessite de remonter à la création de l'agence du médicament en 1993 avec l'affaire du sang contaminé. Jusque-là les décisions médicales étaient prises par le ministère de la santé et le Premier ministre en était le responsable. La création de l'agence a permis de mettre en place un fusible. On n'en est pas resté là. On lui a confié des missions en matière de sécurité du médicament. L'agence est devenue l'Afssaps, incluant non seulement les médicaments mais aussi les produits de santé. Est ensuite malheureusement arrivée l'affaire du Mediator. Donc, quelques têtes ont été coupées et on a changé de dénomination. L'Afssaps devient l'ANSM. Et voilà qu'apparaît une nouvelle affaire avec l'accident de Rennes. On s'empresse tout de suite de dire que finalement l'ANSM a fait son travail, même si elle a fait le minimum.

Notre association estime que tout cela révèle un problème de gouvernance. Quand les ministres décidaient, l'autorité politique décidait. Aujourd'hui, ce sont les experts qui décident. Manifestement, l'autorisation d'expérimentation est donnée au sein de l'ANSM par un groupe d'experts ou par un expert, on ne sait pas très bien comment cela se passe. On sait les liens qu'entretiennent les experts avec l'industrie pharmaceutique. On a 2000 experts répertoriés à l'ANSM, ils sont tous un peu consanguins. Plus grave, à l'issue de la phase 3, où l'on compare le candidat médicament à un placebo ou à un autre médicament qui existe déjà pour mesurer l'efficacité et le rapport bénéfice-risque, c'est le directeur de l'ANSM qui donne l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament, c'est-à-dire un expert.

Alors que faire ? Le politique est désinvesti, ce sont les experts qui prennent les décisions et puis ça ne marche pas bien.

A l'époque où j'étais médecin généraliste et où j'avais des responsabilités syndicales qui m'ont conduit à me préoccuper de l'évaluation en santé, j'ai été administrateur de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), qui a précédé la Haute Autorité de santé (HAS) et qui a succédé à l'association nationale de développement de l'évaluation médicale (Andem). Au sein de cette association, on s'était posé la question des experts. En suivant les auditions organisées par votre commission sur les liens d'intérêts, j'ai revécu un peu les débats qu'on a eus il y a trente ans. Nous avions mis en place une méthodologie qui a été utilisée par l'Anaes pour élaborer les recommandations et qui reposait sur trois possibilités.

La première méthode, la plus simple et celle qui a été le plus longtemps utilisée, est celle de l'avis d'expert. Un expert reconnu dans le monde entier définit la façon de procéder et on s'arrête là. On a ensuite évolué et les experts se sont réunis. La deuxième méthode définie a été celle de l'avis d'expert formalisé, c'est-à-dire reposant sur une méthodologie particulière faisant en sorte que les experts essaient de se mettre d'accord pour donner un avis consensuel. On arrive donc à une recommandation avec un consensus formalisé d'experts. Mais c'était loin d'être satisfaisant et on a utilisé une troisième méthode qui était, à mon sens, la meilleure et sur laquelle il va falloir revenir. C'est d'ailleurs un peu celle que vous utilisez dans votre commission. Il s'agit de la méthode de la conférence de consensus. Cela fonctionne comme un tribunal avec un jury formé non pas d'experts mais de gens qui s'intéressent au problème. Par exemple, pour la médecine, des médecins généralistes et des médecins spécialistes. Il y a quelques juristes, des représentants des usagers. Tous forment un jury qui écoute les experts qui viennent argumenter sur l'intérêt ou, au contraire, les défauts, de tel ou tel médicament ou de telle ou telle stratégie thérapeutique. Cette méthode, qui a l'inconvénient d'être lourde, a pleinement donné satisfaction. Cependant, elle n'est plus utilisée depuis que la HAS a remplacé l'Anaes.

Pour des raisons de philosophie de la médecine, on considérait à l'Anaes que les recommandations devaient être négatives compte tenu du fait que les décisions médicales sont généralement prises avec une part d'incertitude. Elles devaient être formulées négativement (en disant par exemple qu'il n'y a pas lieu, dans une situation donnée, de faire telle ou telle chose).

On est cependant revenu à un fonctionnement où, comme à l'ANSM, on ne demande l'avis de personne d'autre ; ce sont les experts qui décident. Nous pensons que si on veut se sortir de ces difficultés, il faut rétablir une certaine forme de gouvernance : il faut évidemment tenir compte des avis d'experts qui sont indispensables, mais également de celui de toutes les personnes concernées : professionnels de santé ou utilisateurs.

Je voudrais rajouter un mot, parce que vous allez recevoir tout à l'heure un expert brillant, qui est l'un des coordinateurs d'une structure dénommée EUCLID rattachée au réseau F-CRIN. F-CRIN est une structure opérationnelle au service d'acteurs académiques, hospitaliers et industriels de la recherche clinique, qui bénéficie de financements issus du Grand emprunt de 2010 à hauteur de 70 %, soit 18 millions d'euros. Il y a, lit-on sur les documents de F-CRIN, incitation à trouver des cofinancements complémentaires. Et qui voit-on apparaître au nombre de ces cofinancements complémentaires ? Le laboratoire Pierre Fabre SA, le monstre tentaculaire qui revient. Alors je ne remets pas en cause l'indépendance de Mme Geneviève Chêne, que vous allez écouter par ailleurs, mais je pense qu'il faudra lui poser la question. EUCLID est financé par F-CRIN ; EUCLID a pour ambition de faire fonctionner une plateforme académique de services pour les essais cliniques et les interventions de santé. On est encore une fois entre experts...

La parole est à Jean-Pierre Godefroy, qui a été notre rapporteur de la proposition de loi Jardé.

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