Intervention de Catherine Génisson

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 mars 2016 à 9h30
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques — Audition du dr alain masclet président de ar2s améliorer les relations soignants-soignés

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson :

Je crois qu'on tourne autour du même problème : qui prend la décision et comment est-elle prise ? Bien évidemment, les experts sont incontournables, avec toutes les questions qu'on peut se poser, notamment les liens d'intérêts qu'ils peuvent avoir avec les laboratoires, qui ne sont pas forcément des choses condamnables, et qui sont aussi des réalités. Il est vrai que depuis une vingtaine d'années on assiste à la création de nombreuses agences qui dépossèdent le politique de la prise de décision. Celle-ci relève de gens qui revendiquent une très forte indépendance, au grand contentement de tout le monde. C'est un vrai sujet politique, qui va au-delà même du médicament et des essais cliniques. Cela dit, le politique, même entouré de professionnels et d'usagers dans un souci de démocratie sanitaire, a une marge de manoeuvre très faible et ne peut prendre une décision qu'en fonction du respect de la méthodologie. La compétence personnelle du politique n'a pas à entrer en ligne de compte dans la prise de décision. Il n'y a que le respect de la méthodologie que le politique peut examiner. On ne peut pas contester ce que nous dit l'expert. Peut-être faudrait-il alors réunir plusieurs experts d'horizons différents, sans qu'une seule formation d'experts ne propose la décision...

Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Le déroulement de la conférence de consensus est une question ouverte. Il faut y réfléchir, trouver des méthodes acceptables pour tout le monde, trouver la place de chacun. Il est évident qu'on ne peut pas se contenter de l'avis d'un expert ou de l'avis favorable du directeur de l'ANSM pour accorder l'AMM alors que, dans le même temps, d'autres experts ont exprimé leur désaccord. De pareilles situations existent : je pense en particulier à certains antidiabétiques depuis retirés, qui ont reçu l'AMM après l'accord du directeur de l'ANSM contre l'avis des experts. La prise de décision n'est pas bonne. Certains experts ne font pas le travail, ceux qui le font ne sont pas toujours écoutés. Le directeur de l'ANSM est lui-même un expert. On ne peut pas laisser des gens seuls prendre des décisions aussi importantes. Il faut à mon sens revenir sur cette question, qui est au coeur du problème. Il faut le faire à un moment clef, celui de l'AMM. Pour le suivi, il existe des structures qui en sont normalement chargées. Le technology assessment est mené par la HAS. Elle est là pour veiller à l'existence de la quatrième phase de pharmacovigilance, pour donner son avis sur le rapport coût-efficacité, sur la notion d'efficience et sur le service médical rendu. Elle doit normalement le faire avant que la Caisse nationale d'assurance maladie ne fixe le prix. Pour ne pas être totalement négatif, des choses ont été faites depuis la loi Huriet-Sérusclat : des règlements européens ont été pris, des recommandations ont été faites, tout cela va dans le bon sens. Mais il reste des choses imparfaites, et il faut d'abord mettre en place ce qui a été voté.

Le dernier règlement européen cherche à améliorer et raccourcir le circuit de décision pour répondre certes aux préoccupations de l'industrie. Il comporte aussi un paragraphe 5 qui évoque de manière très développée le consentement libre et éclairé et la méthodologie permettant de le garantir.

En matière d'éthique, on distingue l'éthique professionnelle et l'éthique déontologique. Chacun, en fonction de ses convictions et de croyances, respecte un certain nombre de valeurs et n'en respecte pas d'autres. Il y a quatre grands principes en médecine. Le principe de bienfaisance selon lequel toute activité médicale doit apporter du bénéfice au patient ; le principe de non-nuisance selon lequel il ne doit pas y avoir de risque inutile ni d'inconvénient ; le principe d'autonomie selon lequel le patient prend la décision pour un acte dont les conséquences lui incombent. Dans le cadre d'un essai au cours duquel il se met en danger, va-t-il se contenter de 1 900 euros ? Est-ce vraiment éthique de n'accorder que 1 900 euros à quelqu'un qui se met en danger alors qu'il est en difficultés financières et qu'il se trouve particulièrement vulnérable ? Il va donner son corps pour permettre à l'industrie de faire des bénéfices. Bien que le monstre soit une image, à laquelle bien évidemment je ne souscris pas, il n'en demeure pas moins que si l'on veut que l'industrie pharmaceutique se comporte bien, il faut mettre en place des règles dans cet objectif. Et si elle se comporte mal, il faut prendre des sanctions, y compris contre les experts. Quatrième principe, dont on n'a pas parlé ici : la justice distributive. On donne énormément d'argent pour des médicaments qui n'ont aucune utilité et cela pose une vraie question. Dans les thèmes de ces auditions, vous évoquez « l'innovation thérapeutique » et je me dois de signaler un glissement sémantique : ce qui est innovant est-il effectivement facteur de progrès ?

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