Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 mars 2016 à 9h30
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques — Audition de Mme Geneviève Chêne directrice de l'institut de santé publique inserm

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Nous recevons maintenant le professeur Geneviève Chêne, directrice de l'Institut de santé publique (Inserm).

Vous avez, madame le professeur, un parcours remarquable au coeur de la recherche clinique française et vous êtes particulièrement bien informée de ses enjeux.

Notre objectif est évidemment de promouvoir la recherche et particulièrement la recherche en France pour permettre le développement des thérapies au service des malades. Le cadre légal et réglementaire de la recherche clinique est cependant en évolution avec la loi dite Jardé, à ce jour non appliquée dans l'attente de la mise en oeuvre d'un règlement européen. On s'inquiète parallèlement de la baisse du nombre d'essais cliniques en Europe et en France.

Pourriez-vous nous faire part de votre analyse et de vos préconisations ?

Pr Geneviève Chêne, directrice de l'Institut de santé publique. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j'interviens comme directrice de l'Institut de santé publique qui dépend de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale dont le président directeur général est M. Yves Levy. Vous avez également rappelé, monsieur le président, qu'au gré de mon parcours, j'ai acquis une expérience personnelle des essais cliniques, mais assez peu des phases 1 ou très précoces comme l'essai Biotrial qui préoccupe aujourd'hui votre commission.

L'Inserm est le seul organisme public de recherche français entièrement dédié à la santé humaine. L'expertise et la veille scientifiques figurent également parmi les missions officielles de l'Institut. La communication des expertises collectives, qui contribuent en particulier à l'élaboration de la norme, donnent également lieu à des auditions. L'Inserm comprend 289 unités de recherche majoritairement implantées dans des universités, hôpitaux ou centres de lutte contre le cancer. Plus de 10 000 personnes travaillent dans des unités labellisées Inserm. Les liens privilégiés avec les hôpitaux, que ce soit auprès des laboratoires ou auprès des patients, voire des volontaires sains, sont également une particularité de l'Inserm, dont l'objectif est notamment d'améliorer la santé de la population française.

L'Inserm assure une mission de coordination qui a conduit à la création de 10 instituts thématiques qui lui sont associés depuis 2007. Les domaines de ces instituts sont variables et comprennent la biologie la plus fondamentale, la lutte contre le cancer ou encore l'amélioration de la santé publique.

l'Inserm assume une ambition très forte au niveau international et joue un rôle de première importance dans la construction de l'espace européen de la recherche. En effet, la recherche dans le domaine clinique demeure internationale et ses résultats sont jugés à l'aune de ce qui se passe dans le monde entier. L'environnement européen est ainsi pris en compte et la compétition est internationale pour l'ensemble des unités de recherche qu'elles soient publiques ou privées. L'Inserm est ainsi parfaitement consciente de ces aspects.

L'Inserm joue également un rôle de promoteur des recherches cliniques translationnelles, en relation directe avec les résultats des travaux de ses unités. Cette translation vise l'application des résultats des recherches conduites en laboratoire aux patients ou aux volontaires dans les cliniques. À ce titre, l'Inserm intervient comme promoteur pour une vingtaine de nouveaux projets chaque année. Le profil de promoteur de l'Inserm concerne peu les essais cliniques de produits de santé, mais celle-ci suit la tendance générale constatée dans la recherche clinique où les innovations vont désormais bien au-delà des médicaments eux-mêmes pour concerner les dispositifs médicaux jusqu'aux applications sur internet et aux études observationnelles de grandes cohortes qui sont très importantes pour fournir des données.

L'Inserm bénéficie d'un réseau régional de 36 centres d'investigation clinique dont la plupart sont situés dans les hôpitaux ou les universités. Ils fournissent des lits et une organisation dédiée afin de constituer un environnement optimal pour la recherche et bénéficient d'un cadre très réglementé afin d'assurer les conditions requises pour la sécurité des volontaires.

Vous m'aviez posé la question de fond de savoir si le cadre législatif et réglementaire français encadrant les essais cliniques assurait le bon équilibre entre la protection des personnes et la nécessité de développer la recherche. On peut répondre à cette question à l'aune de la situation d'aujourd'hui ou avec comme perspective l'application de la loi Jardé. Dans les deux cas la réponse est oui, et l'analyse des conséquences de l'essai de Biotrial souligne que le problème n'est pas tellement le cadre législatif et réglementaire français. En effet, celui-ci est assez complet et adapté à la recherche clinique depuis la loi Huriet-Serusclat et les évolutions induites par la loi Jardé. À cela s'ajoute une circulaire très récente de la DGS aux directeurs d'ARS leur demandant, dans les essais de phase 1, d'être extrêmement attentifs, en particulier quant à la déclaration très rapide des effets indésirables graves conduisant à une hospitalisation. Cette contrainte est assez logique en effet. Certaines dispositions législatives et réglementaires ne sont pas totalement appliquées. Par ailleurs, les CPP qui sont en charge d'évaluer les projets a priori ont une charge de travail qui n'est pas à la hauteur des enjeux de la complexité scientifique des projets à revoir. Ils n'ont d'ailleurs pas les moyens de mobiliser toutes les compétences dont ils ont besoin en fonction du type d'études. Ce point est important, car toute évolution de la législation requiert des conditions suffisantes pour qu'elle soit effectivement appliquée. On est dans le cadre de la recherche mais également dans ce que nous désignons sous l'appellation de « frontière de la science », à savoir des nouvelles formes d'essais pour prendre en compte des interventions nouvelles dont la méthodologie et les aspects opérationnels ou de « gouvernance » restent largement à définir. Ainsi, la revue des protocoles, telle qu'elle est aujourd'hui conduite, nécessite d'être renforcée.

Dans ses grands principes, la législation pose que l'intérêt de la personne prime toujours sur les seuls intérêts de la science et de la société. Pour les chercheurs, ce point est crucial car tout au long de l'application des protocoles, la sécurité de chaque participant est primordiale. Même en déviant parfois de l'aspect méthodologique, il est absolument crucial de se rappeler à chaque instant cette primauté. La formation des personnels à cette priorité est aussi importante. Enfin, les accidents sont historiquement rarissimes ; le cadre législatif et réglementaire français peut certes être amélioré, mais dans l'ensemble, il est plutôt suffisamment contraignant et doit être rappelé dans des conditions opérationnelles.

Néanmoins, des marges de progrès demeurent, mais elles doivent être guidées par la prudence. D'après les rapports sur l'accident de Rennes, la législation semble avoir été appliquée, mais il apparaît tout aussi important que certaines informations, collectées au fur et à mesure, soient examinées avec beaucoup d'attention et que le déroulement des traitements mobilise des personnels ayant la capacité d'analyser chaque événement. Cette analyse doit être conduite dans le sens du maintien permanent de la sécurité pour les participants concernés. Par exemple, qu'un participant ait été hospitalisé un dimanche tandis que la déclaration n'a eu lieu que le jeudi constitue évidemment un problème. Les personnels sont particulièrement conscients de l'importance de la sécurité des participants aux essais cliniques. La réglementation permet déjà de faire cette déclaration et il y a là des marges d'amélioration.

La première catégorie d'améliorations concerne l'évaluation et le déroulement scientifiques. Il n'y a pas d'attention suffisante portée sur la justification de la pertinence des doses choisies. On voit ainsi dans le rapport conduit par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) que la pertinence des doses, allant jusqu'à la dose maximale, n'est sans doute pas suffisamment précisée dans le protocole. Le second élément relevant de l'évaluation et du déroulement scientifiques concerne l'étendue des études précliniques, réalisées chez les animaux en particulier, et les informations que l'on doit analyser. Ce point n'est toujours pas stabilisé.

La seconde catégorie concerne les méthodes et les schémas. J'ai à cet égard demandé à mes équipes situées à Paris et Bordeaux de regarder, avant cette audition, si ceux-ci étaient stabilisés. Pas du tout ! À combien de personnes sentinelles dans chaque cohorte doit-on administrer la première dose avant d'en administrer d'autres à l'ensemble des personnes ? Rien n'est écrit là-dessus, faute d'une recherche très active sur ce sujet. Les leçons de l'accident de Londres n'ont pas été totalement tirées et je pourrai dire que j'en fais le mea culpa au nom de la communauté des méthodologistes, des épidémiologistes et des statisticiens qui devraient se préoccuper davantage de ces aspects. Il faudrait également se pencher sur la clarification des séquences d'administration chez les volontaires, ainsi que sur l'espacement entre l'administration des traitements. Rien n'est écrit.

La troisième catégorie concerne la décision et la gouvernance. J'ai été frappée de voir, dans cet exemple, que la décision de passage d'une cohorte à l'autre était faite par l'investigateur et le promoteur. Des recommandations, ainsi que l'arrêté du 24 mai 2006 fixant le contenu, le format et les modalités de présentation du dossier de demande d'avis au comité de protection des personnes sur un projet de recherche biomédicale portant sur un médicament à usage humain, précisent que cette décision doit demeurer a priori indépendante et qu'un comité indépendant de surveillance doit être instauré. Il importe ainsi que ce soit ce comité qui décide de passer à chaque palier de doses même en l'absence de problème. Ces outils existent déjà. D'ailleurs, dans les modalités prévues par l'arrêté du 24 mai 2006, on doit justifier qu'un comité indépendant n'est pas constitué. Ce point a-t-il été revu lors de l'examen du protocole de Rennes ? Une telle démarche permet que la décision ne puisse pas venir que du promoteur et de l'investigateur, dans un contexte où tout ne saurait être automatisé et où les résultats provenant d'autres essais doivent pouvoir être précisément pris en compte.

La formation initiale et continue des personnels représente enfin la quatrième catégorie susceptible d'être améliorée. On pourrait délivrer une autorisation de professionnels à l'instar de celle accordée aux lieux de recherche. J'ai le souvenir d'avoir personnellement validé en ligne, pour un essai américain où j'étais méthodologiste, près de sept modules de formation pour que le CPP examine le projet. Cette démarche est organisée de manière très motivante et représente quelque quarante heures de formation nécessaire à l'obtention d'une autorisation valable deux ans. Des progrès quant à la connaissance de la législation par les personnels ainsi qu'en matière d'encadrement me semblent ainsi pouvoir être accomplis.

Je vous remercie, madame le professeur, de vos propos liminaires et passe la parole à mes collègues.

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