Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 mars 2016 à 9h30
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume-uni de grande-bretagne et d'irlande du nord ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d'un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche et une annexe — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le Royaume-Uni sur la liaison fixe transmanche.

À titre liminaire, quelques rappels sur le tunnel sous la Manche : en février 1986, la France et le Royaume-Uni signent le traité de Cantorbéry qui autorise la construction et l'exploitation, par des sociétés privées concessionnaires, du lien fixe transmanche et interdit tout financement public. Une commission intergouvernementale (CIG) est chargée de « suivre au nom des deux Gouvernements et par délégation de ceux-ci l'ensemble des questions liées à la construction et à l'exploitation de la liaison fixe »

En mars 1986, un contrat de concession quadripartite est signé entre les gouvernements français et britanniques, France Manche S.A. et The Channel Tunnel Groupe Limited qui constituent le groupe Eurotunnel. Ce contrat de concession, qui court jusqu'en 2086, définit les droits et les obligations d'Eurotunnel au regard de la conception, du financement, de la construction et de l'exploitation de cet ouvrage transfrontalier, d'une part, ainsi que les engagements des États afin de faciliter le fonctionnement du lien fixe transmanche, d'autre part. Après sept ans de travaux pour un coût de construction total de 15 milliards d'euros, la liaison fixe transmanche est inaugurée le 6 mai 1994. C'est le plus long tunnel, en réalité 3 tunnels, jamais réalisé sous la mer avec une section sous-marine de près de 38 km.

Depuis les années 2000, l'histoire du tunnel sous la Manche a été notamment marquée par l'impact de la pression migratoire. L'aggravation du phénomène en 2015 a conduit à un renforcement considérable des clôtures et des dispositifs de surveillance largement financé par le Royaume-Uni, combiné à la présence constante et massive des forces de l'ordre françaises sur le site, en vue d'empêcher les tentatives d'intrusion de personnes cherchant à rejoindre illégalement l'Angleterre. Très récemment, lors du 34ème sommet franco-britannique du 3 mars 2016 qui s'est tenu à Amiens, la Grande-Bretagne s'est engagée à verser une aide supplémentaire de 22 millions d'euros qui sera affectée notamment à « des infrastructures prioritaires de sécurité à Calais, pour soutenir le travail des forces de l'ordre française ».

Depuis 1994, Eurotunnel a enregistré plus de 330 millions de voyageurs et près de 290 millions de tonnes de marchandises ont été transportées par navettes camions et trains de fret. Pour l'exercice 2015, Eurotunnel a annoncé un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros, soit une hausse de 5 %.

Venons-en au règlement binational de 2015 qui nous est soumis : le tunnel sous la Manche est régi à la fois par des accords bilatéraux franco-britanniques et par les normes européennes applicables au transport ferroviaire. Le règlement de 2015 vise à transposer au tunnel sous la Manche la directive 2012/34 de novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen que les États membres devaient transposer au plus tard le 16 juin 2015. Cette directive a été transposée dans le droit national notamment par la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, l'ordonnance du 15 juillet 2015 et le décret du 20 août 2015 relatif à l'accès au réseau ferroviaire. Le règlement de 2015 abroge et remplace le règlement binational de 2009.

Le règlement de 2015 a pour objet d'intégrer les changements exigés par la directive : en premier lieu, son article 55 exigeant un régulateur ferroviaire national unique et totalement indépendant des États, les fonctions de régulation de la Commission intergouvernementale (CIG) sont expressément transférées aux organismes de contrôle nationaux : pour la France, l'Agence de régulation des activités ferroviaires (Araf), devenue, depuis la loi dite Macron d'août 2015, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), et pour le Royaume-Uni, l'Office of Rail and Road (ORR). Chacun de ces organismes est compétent sur la partie de la liaison fixe située sur le territoire dont il relève.

En deuxième lieu, le règlement exige que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières et l'Office of Rail and Road coopèrent étroitement et coordonnent leurs processus décisionnels pour que leurs décisions ou avis aient des effets juridiques et pratiques concordants sur l'ensemble de la liaison fixe transmanche. Ces deux organismes ont ainsi conclu, par anticipation, le 16 mars 2015, un accord de coopération en matière de régulation économique de la liaison fixe transmanche que vous trouverez à la fin de mon rapport écrit.

En troisième lieu, le règlement introduit une annexe qui définit le cadre applicable au gestionnaire d'infrastructure pour la tarification de la liaison fixe transmanche. Il reviendra ainsi au groupe Eurotunnel de calculer le montant des redevances dans le respect des principes de non-discrimination, de transparence et d'équité en tenant compte de la manière dont les coûts à recouvrer sont liés aux activités des entreprises ferroviaires concernées.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Ce règlement, auquel ne s'attache guère d'enjeu, permet simplement l'unification du régime juridique en matière de régulation économique des transports ferroviaires sur l'ensemble du réseau ferroviaire national comme exigé par la directive. Au contraire, tant que le règlement de 2009 n'est pas abrogé, la commission intergouvernementale (CIG) reste compétente pour la régulation économique du tunnel sous la Manche, ce qui entache les décisions qu'elle prend, dans ce domaine, d'une fragilité juridique au regard de la réglementation européenne et un risque de contentieux n'est pas à exclure. Il faut en outre rappeler que la France et le Royaume-Uni se sont engagés, en 2013, à transférer le rôle d'organisme de contrôle de la CIG aux deux régulateurs nationaux dans le cadre d'une procédure précontentieuse lancée par la commission européenne. Il importe donc de ratifier rapidement cet accord, d'autant que le Royaume-Uni a notifié l'achèvement de ses procédures internes de ratification le 25 septembre 2015.

L'examen en séance publique est fixé au mardi 15 mars 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, décision à laquelle je souscris.

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