Intervention de Chantal Jouanno

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 mars 2016 : 1ère réunion
Les femmes victimes de la traite des êtres humains — Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations de mmes corinne bouchoux hélène conway-mouret joëlle garriaud-maylam brigitte gonthier-maurin chantal jouanno et mireille jouve

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno, présidente, co-rapporteure :

Je vous remercie, ma chère collègue. Je vais vous présenter la contribution de Corinne Bouchoux, excusée pour raisons de santé, à qui j'adresse en notre nom à tous et toutes des voeux de prompt rétablissement.

L'intervention de Corinne Bouchoux concerne les perspectives d'amélioration de la gouvernance de la lutte contre la traite des êtres humains.

Si une politique publique à part entière de lutte contre la traite des êtres humains s'est mise en place, avec la création de la MIPROF et le lancement du premier plan d'action national, ce qui constitue de réelles avancées, nous avons néanmoins identifié plusieurs points qui demeurent perfectibles :

- un recours encore trop rare à la qualification de traite des êtres humains par les magistrats, au regard de l'ampleur du phénomène. Par exemple, entre mai et janvier 2015, seules 45 infractions de traite des êtres humains ont été constatées, contre 313 en matière de proxénétisme et 100 en matière de conditions de travail et d'hébergement indignes.

Ce recours encore limité à l'infraction de traite est dommageable, dans la mesure où l'incrimination de traite couvre un champ plus large et un plus grand nombre de situations que celle de proxénétisme. Cette défaillance est liée à la complexité de cette infraction dont les magistrats ne sont pas suffisamment familiers, même si on constate de réelles avancées, notamment en région parisienne. Une circulaire de politique pénale ayant été diffusée en janvier 2015 pour rappeler aux magistrats l'intérêt de recourir à cette qualification, on peut espérer des progrès en ce domaine.

- Deuxième marge de progression possible identifiée par le rapport : une formation encore insuffisante des différents professionnels susceptibles d'être en contact avec des victimes de la traite.

Comme en matière de violences conjugales, nous sommes parvenues au constat que la formation des professionnels concernés est perfectible, et qu'elle aboutit à une mobilisation insuffisante des services dans la lutte contre la traite des êtres humains et à une identification trop lacunaire de ses victimes, notamment s'agissant des mineur-e-s sous emprise. Nous recommandons en conséquence de renforcer la formation des différents professionnels (magistrats, police, gendarmes, professionnels de santé, inspecteurs du travail, services sociaux, personnel hospitalier et services de police aux frontières) aux différents aspects de la traite des êtres humains, dans le cadre de la formation initiale et continue.

En outre, afin d'accompagner les magistrats et de renforcer le volet répressif de la lutte contre la traite des êtres humains, nous recommandons la mise en place d'un référent dédié au sein des parquets les plus concernés par cette problématique.

- Troisième aspect susceptible d'amélioration : l'absence d'outils adaptés au cas des mineur-e-s victimes de la traite, malgré une réelle prise en compte de cette problématique par les pouvoirs publics.

La prise en charge des mineur-e-s victimes de la traite pâtit de plusieurs lacunes : accès insuffisant à l'assistance d'un tuteur (les associations ont particulièrement insisté sur ce point et sur la nécessité d'y remédier), manque d'accueil sécurisant, inadaptation du système de l'aide sociale à l'enfance (ASE), que connaît bien Michelle Meunier, absence d'office spécialisé en matière d'exploitation des mineur-e-s.

Les pouvoirs publics sont conscients de cet enjeu, dans un contexte où l'on constate notamment un abaissement préoccupant de l'âge des victimes. Ainsi, le plan d'action national prévoit l'expérimentation, à Paris, d'un accueil sécurisant pour les mineurs, qui pourrait être étendu à l'ensemble du territoire si elle est concluante. C'est une mesure importante, mais qui requiert des financements adéquats.

Au regard de tous ces constats, nous recommandons la désignation d'un tuteur formé à la question de la traite pour les mineur-e-s isolé-e-s étrangers et pour les mineur-e-s en danger dans leur milieu familial, victimes ou potentiellement victimes de la traite.

En outre, nous soutenons avec intérêt l'expérimentation en cours en matière d'accueil sécurisant pour les mineur-e-s et souhaitons sa généralisation si elle s'avère concluante.

- Quatrième axe d'amélioration : une sensibilisation insuffisante du grand public au phénomène de la traite des êtres humains dans toutes ses dimensions, qui demeure encore mal appréhendé.

Or, plusieurs anecdotes racontées par nos interlocuteurs ont mis en évidence que la société civile peut aider à identifier les victimes et à rompre leur isolement.

Nous invitons donc les pouvoirs publics à faire de la lutte contre la traite une grande cause nationale - comme l'ont été les violences faites aux femmes - et à lancer le plus rapidement possible une campagne de sensibilisation du grand public aux différentes formes de traite. En outre, nous recommandons la prise en compte de la traite dans les programmes d'enseignement.

- Cinquième point d'amélioration, une connaissance statistique encore trop limitée du phénomène de la traite, alors qu'il est primordial de pouvoir disposer de données statistiques fiables sur ce phénomène. Le dispositif statistique repose actuellement sur deux offices principaux, l'un spécialisé sur les questions de prostitution, et l'autre sur celles de travail illégal. Nous recommandons de confier à la MIPROF un rôle de coordination des publications des offices existants.

Je donne donc la parole à Hélène Conway-Mouret pour exposer le lien entre la question de la traite des êtres humains et la crise des migrants.

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