Intervention de Hélène Conway-Mouret

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 mars 2016 : 1ère réunion
Les femmes victimes de la traite des êtres humains — Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations de mmes corinne bouchoux hélène conway-mouret joëlle garriaud-maylam brigitte gonthier-maurin chantal jouanno et mireille jouve

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, co-rapporteure :

Merci, madame la présidente.

Nous traversons actuellement une période de régression, voire de menaces concernant les droits des femmes partout dans le monde et nous devons contribuer à une prise de conscience, qui me semble tarder, des dangers liés à cette dégradation. Nous devons nous réjouir que le Parlement européen ait consacré la journée internationale des droits des femmes, hier, à la question des femmes réfugiées et demandeuses d'asile. La commission des droits de la femme et de l'égalité des genres a consacré en février un rapport à cette question, présenté par Mary Honeyball. Ce document souligne le lien entre traite, trafic des êtres humains et violences sexuelles. Il constate que l'intervention des passeurs et l'utilisation d'itinéraires de migration peu sûrs engendrent des problèmes spécifiques pour les femmes, plus particulièrement des risques importants de violences sexuelles. Il relève des cas de violences et d'abus sexuels tant pendant le voyage des migrants que dans les centres d'accueil en Europe.

C'est un fait, la crise migratoire actuelle a des conséquences sur la traite des êtres humains. En effet, tous les éléments sont réunis pour favoriser l'expansion des réseaux de traite : des populations généralement jeunes, démunies, en situation de vulnérabilité extrême, souvent cachées pour fuir les services administratifs ou policiers qui pourraient entraver leur périlleux parcours vers le pays où ils espèrent trouver refuge et travail.

Si la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants sont deux phénomènes juridiquement distincts, comme le souligne le rapport, on ne peut ignorer la porosité existant entre les deux notions, qui a d'ailleurs été soulignée par les ambassadrices Michèle Ramis et Patrizianna Sparacino-Thiellay : la vulnérabilité des migrants peut les faire « tomber » aux mains de réseaux de traite, et il est parfois difficile de distinguer ces deux formes de trafics.

C'est malheureusement ce que nous avons pu constater sur le terrain, au cours d'un déplacement à Calais, le 11 janvier 2016, à l'invitation de France Terre d'Asile. Ce camp aux conditions de vie infrahumaines, en cours de démantèlement partiel depuis le 29 février dernier, peut être qualifié « d'enfer » pour des migrants en situation d'extrême fragilité.

Le risque de traite des êtres humains est bel et bien une réalité dans les camps, au point que France Terre d'Asile a mis en place à Calais une structure dédiée à la lutte contre la traite des êtres humains, comme le rappelait Brigitte Gonthier-Maurin. Le fait de pouvoir ouvrir des solutions d'hébergement spécifiques permet à mon avis la protection des personnes contre les réseaux mafieux. Les femmes et les jeunes filles se retrouvent parfois, dans ces camps, dans des situations de détresse terrible, comme a pu en témoigner l'association Gynécologie sans frontières.

Autre problème, les victimes de la traite sont particulièrement difficiles à identifier dans la mesure où les migrants se trouvent bien souvent dans une situation clandestine qui leur fait craindre toute démarche officielle pour sortir de la traite.

Dans ce contexte, nous recommandons la création, de toute urgence, des 50 postes de médiateurs culturels prévus par le plan d'action national, des intermédiaires connaissant la langue et la culture des migrants s'avérant essentiels pour gagner leur confiance.

En outre, l'évaluation des personnes en situation de vulnérabilité par l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) est aujourd'hui insuffisante dans la mesure où le questionnaire défini à l'arrêté du 23 octobre 2015, sur lequel se basent ses agents, est incomplet. Il ne mentionne qu'un nombre partiel de vulnérabilités limitées à la grossesse, la maladie ou le handicap. Plusieurs catégories de personnes vulnérables ne sont pas visées, parmi lesquelles les victimes de traite, qui ne seront identifiées que si elles font expressément état d'un besoin de prise en charge spécifique.

Cette absence de recherche systématique des victimes de traite parmi les demandeurs d'asile constitue une carence non négligeable dans notre système d'accueil, qui limite très fortement l'identification précoce des victimes potentielles. Nous recommandons donc que soit complété le questionnaire de l'OFII de façon à prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilités visées au deuxième alinéa de l'article L. 744-6 du CESEDA.

S'agissant de la question du traitement des demandes d'admission des victimes de la traite, notre déplacement à Nice nous a confortées dans l'idée qu'il faut renforcer la coordination des acteurs pour une instruction plus rapide des dossiers. Nous avons été favorablement impressionnées par le dispositif de coordination des acteurs concourant à la lutte contre la traite des êtres humains mis en place à la préfecture des Alpes-Maritimes, et nous suggérons ainsi que cet exemple soit largement diffusé par le ministère de l'intérieur.

Pour compléter ces propos sur les conséquences de la crise des migrants sur la traite des êtres humains, je souhaiterais également vous faire part des enseignements que j'ai tirés d'un entretien avec plusieurs expertes du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l'ONU en décembre :

- la création de « hot spots » où sont enregistrés les migrants dans le pays où ils arrivent atteint ses limites car il ne s'agit généralement pour eux que d'un pays de transit (voir les migrants arrivant à Calais qui souhaitent à tout prix rejoindre l'Angleterre) ;

- une solution à encourager pourrait être d'essayer de limiter à la source les départs par la répression des trafics dans le cadre de législations nationales plus rigoureuses ; cela semble déjà être le cas par exemple au Soudan où la législation s'est considérablement durcie ;

- les observations de terrain confirment que les migrants sont généralement des hommes, jeunes et célibataires, ensuite rejoints par leur famille, mais de plus en plus souvent accompagnés d'enfants. Il y a là incontestablement un danger potentiel pour ces enfants, si l'on se réfère au fait que 10 000 mineurs non accompagnés auraient disparu après leur enregistrement à leur arrivée en Europe, selon Europol, depuis un an et demi, ce qui laisse craindre leur exploitation, notamment sexuelle, par le crime organisé ;

- les passeurs se transforment en trafiquants pour diversifier leurs ressources et le trafic d'êtres humains s'insère dans tous les trafics mafieux ;

- une difficulté notable à prendre en compte tient à l'approche différente de la place et du rôle des femmes dans les pays d'origine des migrants : une réflexion sur l'intégration de ces populations est donc cruciale. Une formation à nos valeurs, et en particulier à l'importance de l'égalité entre les hommes et les femmes doit leur être dispensée en vue de leur intégration.

Pour conclure cette présentation polyphonique de nos travaux, je souhaiterais insister sur un point plus général de vigilance qui a été porté à notre attention par l'ambassadrice Patrizianna Sparacino-Thiellay : une tendance de fond au « grignotage » des droits des femmes dans les enceintes internationales serait à l'oeuvre, à travers une série de revendications relativistes liées à la religion et à la tradition, y compris au sein du bloc occidental. L'une de nos recommandations appelle donc le Gouvernement à maintenir la vigilance de la diplomatie française dans la défense des droits des femmes au niveau international, afin de lutter contre cette tendance relativiste qui semble remettre en cause l'universalité des droits acquis.

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