Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Hommage à claude estier ancien sénateur

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président :

Homme de courage et de conviction, entré adolescent dans la Résistance, plus tard fondateur et directeur de l’hebdomadaire l’Unité, un mot qui lui était cher, Claude Estier mena de front une double carrière de journaliste et d’homme politique de premier plan.

Fervent partisan de l’union de la gauche, il s’engagea aux côtés de François Mitterrand, qu’il suivit dans tous ses combats politiques, jusqu’à l’Élysée, et dont il pouvait s’honorer d’être l’ami, voire le confident.

Fidèle d’entre les fidèles, secrétaire général de la Convention des institutions républicaines, il joua l’un des premiers rôles au congrès d’Épinay, en 1971, pour la renaissance du parti socialiste.

Tour à tour député à l’Assemblée nationale, député européen, sénateur, il trouva dans chacun des mandats qu’il exerça le prolongement naturel de son engagement militant de toujours pour les valeurs de sa famille politique et, au-delà, de la République.

Au Palais-Bourbon, il présida de 1983 à 1986 la commission des affaires étrangères, où il fit partager sa parfaite connaissance des questions internationales, acquise au fil de ses nombreux déplacements aux « quatre coins du monde ».

Cette inclination pour les enjeux diplomatiques restera au cœur des dix-neuf années qu’il passa ensuite au sein du Sénat. Il y fut ainsi tout naturellement membre de la commission des affaires étrangères, où plusieurs rapports importants lui furent confiés, vice-président de la délégation sénatoriale pour l’Union européenne, où il suivit comme rapporteur le processus d’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne, membre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et, enfin, président du groupe d’amitié France-Algérie et vice-président du groupe d’amitié France-Russie.

Comme président du groupe d’amitié France-Algérie, il se fit l’avocat inlassable de son projet de toujours de refondation d’une nouvelle relation avec ce pays, tant il avait su tisser un lien particulier avec ses amis algériens, ayant vécu de près les heures tragiques du début des années soixante et suivi avec inquiétude celles du terrorisme islamique. Pour avoir effectué une visite officielle dans ce pays à l’automne dernier, je puis témoigner qu’il était présent dans la mémoire de nombre d’Algériens.

En 1988, à la suite de la nomination d’André Méric au secrétariat d’État aux anciens combattants, il est élu à l’unanimité président du groupe socialiste du Sénat. Il dirige avec pondération et le souci constant de la communication un groupe politique en expansion, qui montre la voie en se rajeunissant et en se féminisant.

Très attaché au bicamérisme, il prend une part active à la réflexion sur la rénovation du Sénat et insiste, parmi ses préoccupations, sur la nécessité d’une présence renforcée de ses collègues dans les débats en commission et en séance publique…

Ses multiples responsabilités ne l’éloignent pas pour autant de son « territoire », le XVIIIe arrondissement de Paris –car il y a aussi des « territoires » dans la ville capitale –, où il fait partie de ce que l’on a appelé la « bande des quatre », avec Lionel Jospin, Bertrand Delanoë et Daniel Vaillant.

À la fin du mandat sénatorial de Claude Estier, c’est Jean-Pierre Bel qui prend les rênes d’un groupe socialiste en pleine progression, avec l’avenir que chacun sait…

Épris de liberté, homme d’écriture et de presse autant que chroniqueur de l’histoire du parti socialiste, on pouvait souvent le croiser dans notre belle bibliothèque, ou près de son bureau du deuxième étage du 26, rue de Vaugirard, non loin de la photocopieuse… Pendant près de trois ans, j’ai ainsi été son voisin de bureau. Nous avions fréquemment l’occasion de nous saluer et d’échanger.

Toujours la plume au poing, il avait refusé la retraite pour revenir à sa première vocation, celle de journaliste, avec un quatorzième ouvrage consacré à ses mémoires et intitulé J’en ai tant vu, qu’il publia en 2008 et où il nous apparaît tel qu’en lui-même : engagé dans tous les combats de son siècle, sur le plan tant national qu’international.

Ceux qui ont eu la chance de le connaître peuvent en témoigner, Claude Estier savait faire preuve d’un humour parfois mordant et d’une énergie passionnée. Il était un débatteur de premier ordre. Ses joutes oratoires avec Charles Pasqua résonnent encore dans les mémoires de ceux qui ont connu cette époque.

En ces temps de doute, d’interrogations, de repli, je voudrais citer l’une de ses dernières interventions, qui fut pour rappeler les promesses de l’Europe et que nous pouvons tous, me semble-t-il, partager, quelle que soit notre appartenance politique :

« J’appartiens à une génération qui a connu les débuts de la construction européenne : elle apparaissait alors, au lendemain des déchirements de la Seconde Guerre mondiale, comme une utopie. À partir de la réconciliation franco-allemande, le projet des pères fondateurs a connu tantôt des avancées, tantôt des reculs. Mais, au total, quel chemin parcouru depuis cinquante ans ! Cela n’a été possible que parce que la force des idées et des convictions a été plus forte que tous les obstacles. » Ces propos méritent aujourd'hui une réflexion collective.

Claude Estier était un grand républicain, qui souhaita réaffirmer, peu avant de quitter cet hémicycle, son attachement à « la valeur de la laïcité, l’un des principes fondateurs de notre République ».

Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter à son épouse nos condoléances les plus attristées et assurer sa famille, ses proches et les membres du groupe socialiste et républicain de notre sincère compassion.

C’était un grand socialiste, un grand parlementaire. Je vous propose d’observer un moment de recueillement en la mémoire de celui qui fut aussi un grand journaliste et un grand militant. Quelle que soit la formation politique à laquelle nous appartenons, les valeurs militantes font partie des valeurs essentielles qui nous construisent et nous permettent, en ces temps de doute, de croire au destin, au rôle et à la place du politique.

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