Intervention de Yvon Collin

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les attentats qui ont endeuillé la Nation en 2015 et qui éclatent dorénavant de façon quasi quotidienne aux quatre coins du monde, et ce week-end encore en Côte d’Ivoire et en Turquie – je veux bien sûr avoir une pensée pour les victimes –, démontrent que nous sommes confrontés à une menace spécifique : des organisations terroristes militarisées, capables de conduire des opérations commando, et visant désormais des cibles indiscriminées.

Cela a conduit le Président de la République à solliciter le concours des forces armées sur notre sol, avec pour effet, inédit dans l’histoire récente de notre pays, de faire du territoire national le premier théâtre d’engagement de nos forces armées. Une telle situation exigeait un effort de définition du cadre d’emploi de ces dernières.

Oui, monsieur le ministre, dans de telles circonstances, il ne fait plus aucun doute que l’offensive terroriste rend nécessaire la participation des forces armées, en appui des forces de sécurité intérieure, à la protection des Français.

Pourquoi ? Tout d’abord, il est évident que la sécurité nationale repose désormais sur une articulation serrée entre défense extérieure et sécurité intérieure. Ceux qui nous attaquent sur notre sol sont les mêmes que nous combattons en OPEX.

Ensuite, Daech, à la fois armée terroriste exerçant une attraction puissante jusqu’au plus profond de nos campagnes et proto-État disposant de ressources considérables, est une menace d’une dangerosité sans précédent, qui requiert, monsieur le ministre, une réponse adaptée.

Pour que cette réponse soit la plus complète et la plus efficace possible, les savoir-faire et expertises particuliers de nos armées sont un atout indéniable ; ils permettent de couvrir un large spectre de risques radiologiques, chimiques ou nucléaires, ainsi que la « cybermenace » évoquée par M. le ministre, dont on sait qu’elle ne cesse de croître.

Nous avons d’ailleurs eu recours de longue date aux armées en situation de crise, comme réservoir de compétences spécifiques. Leur plus-value s’apprécie aussi dans leur capacité de planification et de mise en synergie d’équipements et d’aptitudes interarmées. Elles ont donc, incontestablement, à prendre leur part dans la stratégie globale de contre-terrorisme mise en œuvre sur le territoire.

Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que lorsque les armées interviennent sur le territoire national, exception faite des postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime, c’est en soutien des forces de sécurité intérieure, lesquelles restent, si je puis dire, « maîtresses en leur demeure », et dans le cadre de missions bien identifiées, telles que la sécurisation des sites stratégiques et des points d’importance vitale, ou encore la protection des structures essentielles de l’État.

Les armées assurent ainsi le volet militaire des opérations de sécurité intérieure, et non des missions dévolues à d’autres acteurs relevant, par exemple, du domaine judiciaire.

La militarisation de la réponse au terrorisme doit cependant être assortie des garanties que l’on est en droit d’attendre d’un État démocratique. Il m’apparaît, monsieur le ministre, que tel est bien le cas : je vous en donne tout à fait acte.

En effet, hors état de siège, l’intervention des armées sur le territoire national ne peut s’opérer que par voie de réquisition, et sous la responsabilité des autorités civiles. Il est en outre à souligner que les militaires ne jouissent, en matière d’usage de la force, que des prérogatives reconnues à tout citoyen, à savoir, essentiellement, la légitime défense et l’exigence d’absolue nécessité. La logique du plan Vigipirate, qui consistait en un appoint ponctuel d’effectifs, est donc dès à présent dépassée, au profit de ce qui s’apparente à une véritable « opération intérieure ».

Toutefois, cette refonte de la posture de protection, qui va indéniablement s’inscrire dans la durée, doit nous obliger à accélérer l’émergence d’un nouveau modèle d’armée, pour en assurer la soutenabilité.

En effet, ces derniers mois, la mobilisation exceptionnelle des forces sur le territoire national a entraîné des ajustements pour le moins importants. Elle a notamment exercé une forte tension sur l’outil de défense – le niveau d’engagement des forces a atteint sa capacité maximale, et même dépassé ce qui était prévu dans le contrat opérationnel initial – et fait naître un besoin accru en hébergement, qui s’est traduit par l’adoption d’un plan de travail plus ou moins ambitieux.

Cela a évidemment entraîné des surcoûts à due proportion, qui ont été financés pour l’instant par décret d’avance à hauteur de 171 millions d’euros, sans qu’aucune provision n’ait été inscrite en loi de finances initiale ! Il faut donc s’attendre à une réaffectation des ressources.

Toutefois, quelles en seront les conséquences, monsieur le ministre, notamment sur l’entretien programmé du matériel, qui avait été fléché comme prioritaire dans la discussion budgétaire ? Comment, de surcroît, continuer sur le long terme à soutenir de telles dépenses, et financer le renforcement nécessaire des capacités ?

Je ferai référence, pour ne prendre qu’un exemple, à la surveillance de nos approches maritimes, qui constitue un véritable défi, à l’aune de nos 19 000 kilomètres de côtes et de la continuité naturelle que représente la mer entre notre territoire et les théâtres des OPEX.

Enfin, et puisqu’il convient de ne pas « consommer » les forces en permanence, votre projet visant à faire de la réserve un instrument privilégié de protection de la Nation est intéressant et mériterait d’être précisé.

Je partage, monsieur le ministre, la conviction selon laquelle nous ne pouvons pas nous contenter d’augmenter le nombre de réservistes, ainsi que leurs jours d’activité.

Vous indiquez souhaiter développer des partenariats avec l’enseignement supérieur, les écoles de fonctionnaires ou encore les entreprises. C’est à mes yeux une excellente piste, mais comment comptez-vous favoriser l’attractivité d’un tel dispositif ?

Il sera en outre impératif de nous doter d’un véritable plan de formation, sans lequel nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif fixé, qui est de disposer, certes, d’un réseau de personnes mobilisables rapidement, mais avant tout de personnes qualifiées !

Il nous faut vraisemblablement nous habituer pour longtemps à la présence des militaires sur notre sol ; j’ai d’ailleurs tendance à penser qu’une telle présence rassure une partie de nos concitoyens.

J’ai pu lire dans le rapport que l’opération sera maintenue tant que la menace l’exigera ; mais je m’interroge, monsieur le ministre : jusqu’à quand ? En attendant, le groupe du RDSE vous accorde toute sa confiance et tout son soutien.

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