Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après les attentats de janvier 2015, l’exécutif a procédé à un déploiement massif et rapide des forces de sécurité. En trois jours, le ministère de la défense a su mobiliser 10 000 militaires.

Afin de rassurer nos concitoyens et de protéger les écoles, les lieux de culte, les grands magasins et tous les autres lieux dits « sensibles », gardes et missions se sont additionnées. Le résultat, aujourd’hui, consiste en un millefeuille de 1 300 sites dont la protection est assurée de façon différenciée, allant de la garde statique permanente, majoritaire, à la patrouille aléatoire.

L’affectation à l’opération Sentinelle de 7 000 militaires, et peut-être bientôt de 10 000, est, de fait, permanente. Elle dépasse les capacités de l’armée de terre, alors même que nos armées sont déjà en situation de surtension.

Certes, monsieur le ministre, la déflation des effectifs a été réduite, grâce à la révision de la loi de programmation militaire. Toutefois, les effets de cette décision ne se feront vraiment sentir qu’en 2017.

La situation est grave : nos militaires enchaînent plusieurs rotations, jusqu’à six dans l’année, au sein de Sentinelle, avec une semaine de préparation et six semaines de déploiement, et, pour les plus chanceux, une projection en OPEX.

Ce rythme ne permet plus à nos militaires de se régénérer. Il les prive de préparation opérationnelle indispensable, de formations classiques, et génère une réduction des permissions. Il affecte en outre fortement le moral de nos militaires, lesquels, pourtant, ne manquent ni de courage ni de professionnalisme.

Après la mobilisation et l’enthousiasme initiaux, l’usure, le manque d’intérêt opérationnel et l’éloignement croissant de la famille se font sentir.

Monsieur le ministre, nous avons reçu votre document. Il s’agit d’un bon bilan, bien présenté. Rappel historique, comparaisons internationales, évolution des menaces, cadre juridique, impact budgétaire : la méthodologie est bien là, mais pas les propositions. Le nouveau concept d’emploi se limite à quelques pages, dont une partie est consacrée à la posture permanente, en temps de paix… En réalité, ce document est un parfait état des lieux.

Premièrement, vous l’avez rappelé, Sentinelle résulte de la volonté du Président de la République, chef des armées.

Deuxièmement, l’emploi des forces armées sur le territoire national est encadré par une réquisition de l’autorité civile ; elles sont placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur et commandées – heureusement pour nous ! – par le chef d’état-major des armées.

Le rapport précise que « les militaires jouissent des prérogatives reconnues à tout citoyen en matière d’usage de la force » – nous sommes rassurés ! –, que « les capacités spécifiques de surveillance et observation […] à fins opérationnelles ne se confond[ent] pas avec le renseignement à fins judiciaires, qui ne relève pas des armées », et que « lors de la définition des effets à obtenir […], énoncés dans les réquisitions des préfets, la prise en compte par les autorités administratives des spécificités des armées permet d’en optimiser l’emploi ».

Nous sommes malheureusement dans l’incantatoire : les juristes seront certes rassurés, mais les armées restent, de fait, des supplétifs du ministère de l’intérieur.

Conscient que Sentinelle prive nos militaires de la préparation nécessaire à des projections extérieures de guerre, vous indiquez : « Déployées dans des zones peu fréquentées ou difficiles d’accès, en coordination avec les autorités administratives et les forces de sécurité intérieure, les unités peuvent travailler des savoir-faire utiles en OPEX ». Toutefois, la quasi-totalité des forces est déployée dans des zones urbaines denses ! De qui se moque-t-on ?

Rassurez-vous, monsieur le ministre, ce bilan renferme quelques points positifs : la posture permanente, en temps de paix, appliquée à l’armée de l’air et à la marine, sera étendue à l’armée de terre, au service de santé des armées, au service de soutien pétrolier et à la cyberdéfense.

Mes chers collègues, ce rapport est très en deçà de nos attentes, mais il pouvait difficilement en être autrement, car nous vivons sur un malentendu profond. Les plus hautes autorités de l’État, après les abominables attentats du 13 novembre, ont affirmé que la France était en guerre. Or il n’en est rien !

Le symbole est fort, mais la réalité, en termes militaires, est bien différente. Daech n’a pas envahi le territoire national, et des combats de rue n’ont pas lieu dans nos centres-villes. Notre pays subit certes des attentats perpétrés avec des armes de guerre ; mais ce n’est pas la guerre.

Contre le terrorisme, l’essentiel de la mobilisation doit porter sur le renseignement, l’infiltration des réseaux et l’action en amont, à l’extérieur et à l’intérieur du territoire ! Le reste n’est qu’accompagnement et réassurance politique. Toutes les forces déployées n’empêcheront pas d’autres attentats.

Cette menace va durer, d’autant qu’une partie importante des terroristes se trouve déjà en France ou dans les pays voisins. Ce volet-là du problème est primordial, et il est européen !

Sentinelle contribue à rassurer nos concitoyens, mais ceux-ci doivent connaître la réalité de la situation. Nous ne dissuadons par les terroristes, au contraire : nous les aidons à choisir leurs cibles – soit ils visent un site non protégé par nos armées, soit ils frappent d’abord les militaires avant de commettre l’attaque globale.

La réserve opérationnelle, dont vous avez raison, monsieur le ministre, de vouloir augmenter les effectifs, allégera, dans quelques années, l’engagement des militaires de carrière. Encore faut-il préciser que nos armées ont besoin, pour les états-majors et les OPEX, de réservistes confirmés possédant des compétences particulières. Ceux-là ne pourront assurer des gardes statiques.

Il faut donc innover et territorialiser cet embryon de garde nationale voulue par le Président de la République, et la construire avec des citoyens volontaires, mobilisés pour leur pays, près de chez eux. Mais il faut aller vite – pas dans un an : dans six mois !

Oui, l’exécutif peut difficilement baisser la garde. En même temps, la mobilisation de 10 000 militaires par Sentinelle altère fortement notre capacité opérationnelle, d’autant, nous le savons tous, que de nouveaux défis au nord du Sahel risquent de nécessiter des moyens qui ne sont déjà plus disponibles.

Il est grand temps d’adapter notre outil militaire et notre doctrine d’emploi des forces à la réalité du monde et de trouver un équilibre entre nos ambitions, nos capacités budgétaires et les menaces qui nous concernent.

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