Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, d’emblée, je tiens à préciser que l’objet de ce débat n’est pas de procéder à un commentaire en règle du rapport très clair remis par le Gouvernement et largement exposé par M. le ministre tout à l’heure.

Il s’agit de faire mûrir nos analyses, de structurer notre travail et notre réflexion, alors que le tiers de l’exercice budgétaire a été accompli et que nous nous approchons de l’examen d’un collectif budgétaire important, puis d’un budget annuel encore plus indispensable pour la question qui nous préoccupe aujourd'hui.

La mutation constante, comme la plasticité des mouvements terroristes d’inspiration djihadiste, a induit une modification substantielle de la nature et de l’échelle de la menace visant le territoire national. C’était l’une des principales analyses du Livre blanc de 2013. Nous en mesurons toute la gravité aujourd’hui.

Nous sommes donc pris dans un véritable paradoxe stratégique : notre sécurité intérieure et notre défense nationale ont des moyens très contraints, alors que jamais autant de fronts n’ont été ouverts contre la France ces dernières décennies. C’est un paradoxe, monsieur le ministre, qu’il est urgent de résoudre à l’heure où le terrorisme international se joue des frontières nationales.

La situation actuelle a poussé notre pays à innover et à mettre en place un dispositif temporaire exceptionnel en supplément des actions menées chaque jour par les forces de sécurité traditionnelles sur notre sol. Cette innovation porte un nom : l’opération Sentinelle.

Comme le souligne le rapport, pour l’année 2015, jusqu’à 75 000 soldats ont concouru à assurer notre protection et la surveillance de plus de 1 300 sites sensibles, principalement en Île-de-France. Une mobilisation aussi exceptionnelle pose deux questions : son ciblage et sa soutenabilité.

Concernant son ciblage, son dimensionnement, je joins ma voix à celle de notre collègue Yves Pozzo Di Borgo, qui estime que, à Paris, il faut nous garder du saupoudrage des forces militaires pour mieux les concentrer sur les sites les plus sensibles, en particulier les écoles.

Au-delà, lors de notre visite au fort de Vincennes à la rencontre des soldats de l’opération Sentinelle, nous avons évoqué, avec Jean-Pierre Raffarin et plusieurs collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la problématique du bon équilibre entre le positionnement statique, qui s’accompagne d’une dimension psychologique rassurante, et le positionnement dynamique, qui permet de s’adapter à l’évolution de la menace. Telles sont des questions que nous avons actuellement à traiter.

Cependant, nous ne pouvons pas non plus céder aux sirènes du « tout militaire ». Nos forces armées ont certes vocation à assurer davantage notre protection. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ont les moyens de garantir notre sécurité quotidienne. D’autres forces de sécurité existent : la gendarmerie et la police au premier chef.

Inversement, dans un contexte marqué jusqu’en juillet dernier par une décrue des effectifs de notre armée, toute affectation considérable de nos hommes sur un théâtre d’opérations, même intérieur, représente autant de capacités que la France ne peut déployer sur le plan extérieur. Un dispositif tel que Sentinelle, de par son ampleur et sa durée, crée ainsi un certain nombre de défis d’ordre logistique, humain et financier.

Le présent rapport fait état d’une posture de protection des armées renouvelée, cela a été exposé tout à l’heure à travers tous ses aspects, compte tenu du nouveau contexte sécuritaire et de l’évolution des contraintes opérationnelles. Je salue certes cette nouvelle posture nécessaire, mais elle ne peut à elle seule répondre aux besoins que connaît actuellement la France.

Dans ce contexte de mobilisation exceptionnelle de nos armées, où il est nécessaire de faire des choix, il est désormais vital de rénover en profondeur notre politique de réserve et de définir des moyens innovants pour protéger le territoire national en cas de crise menaçant la sécurité nationale – il ne s’agit pas ici que de terrorisme, et le rapport décrit bien les différents types de crises –, sans saturer pour autant notre outil de défense. « Une réserve plus nombreuse et mieux intégrée à l’active est une nécessité opérationnelle », comme le souligne le général de Villiers.

Ainsi que vous le savez, les réservistes opérationnels et citoyens contribuent pleinement à entretenir le lien fondamental qui relie notre armée à notre nation, tout en diffusant au sein de la société cet esprit propre à notre défense nationale.

Cette composante de la défense, la réserve, a pourtant été trop souvent utilisée par le passé comme une variable d’ajustement budgétaire. Je le souligne avec beaucoup d’humilité pour avoir été moi-même aux responsabilités sur ces questions, à un moment où j’ai peiné à me faire entendre, comme d’autres avant et après moi. C’est une pratique que vous avez commencé à changer et à faire évoluer. Encore aujourd’hui, nos réservistes ne sont pas employés à la mesure de leurs compétences et de leurs savoir-faire. Cette situation est bien dommageable. Je crois, monsieur le ministre, que nous partageons sur ce point la même analyse que vous.

Je ne puis ainsi qu’être satisfait de vos récentes annonces faites la semaine dernière, à l’occasion des premières assises de la réserve à l’École militaire, auxquelles j’ai assisté avec certains de mes collègues. Je tiens à signaler les augmentations de budget déjà engagées par le Gouvernement depuis plusieurs années.

L’effort sera poursuivi durant la période 2016-2018, pour atteindre réellement – depuis le temps que l’on en parle ! – l’objectif des 40 000 réservistes opérationnels, avec une capacité permanente de déploiement de 1 000 réservistes par jour. Monsieur le ministre, vous venez d’évoquer ce point, qui a été mis en avant dans votre rapport. Ainsi, nous pourrons réaliser cet objectif ancien, sans oublier la question du statut du réserviste et celle du lien avec l’entreprise ou l’administration dans laquelle il travaille. Ce sont autant de freins que nous connaissons bien. C’est un objectif ambitieux, mais atteignable, auquel je souscris.

Le présent rapport détermine également l’objectif de pérenniser les réserves comme parties intégrantes du modèle de l’armée 2025. C’est une idée assez innovante, qui fait à l’heure actuelle l’objet d’un groupe de travail au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat que j’ai l’honneur de coprésider avec ma collègue Gisèle Jourda. Je veux parler, bien sûr, de la problématique de la « garde nationale ».

En effet, au regard de la montée en puissance des réserves, le concept de garde nationale, avancé par les sénateurs centristes depuis longtemps, mais défendu certainement pas d’autres aussi, et appelé de ses vœux par le Président de la République à Versailles, est particulièrement intéressant, car il ouvre une réflexion nouvelle en termes de défense du territoire. En outre, ce concept répond à la volonté d’engagement de nombre de nos concitoyens.

Pour l’heure, cette garde nationale suscite encore un certain nombre d’interrogations tant au regard de ses compétences propres que des moyens qui seront mis à sa disposition. S’agira-t-il d’un prolongement de la réserve ou d’un dispositif adjacent ? Ce point reste encore à déterminer.

Sur ces questions, Jacques Gautier a prononcé des mots justes et a évoqué les pièges qu’il convient d’éviter. Une réflexion doit être menée et poursuivie, afin de définir clairement les missions et les compétences qui seront attribuées à cette garde nationale, pour que le nouveau dispositif dispose de moyens à la hauteur de l’exigence que nous lui aurons imposée.

Nous allons contribuer, au sein de la commission - son président s’y est engagé -, à cette nécessaire réflexion, en étroite collaboration avec vous, monsieur le ministre, et avec les forces armées. J’espère que vous pourrez nous donner, aujourd'hui ou en d’autres occasions, l’état de vos réflexions, car c’est un sujet qui n’est pas défini, qui est évolutif et qui mérite d’être précisé. Il nous donne la possibilité, en tant que parlementaires, de nous impliquer pleinement dans une démarche conceptuelle au sujet de la nouvelle réserve qui est devant nous.

Ne ratons pas ce rendez-vous avec nos concitoyens, qui, sur ces questions, sont disponibles comme jamais, nous le constatons tous les jours. Ne les décevons pas !

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