Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères :

En effet, on attend de vous toujours plus, toujours mieux ! Et aujourd’hui, nous attendions plus quant au rapport particulièrement important qui fait l’objet de ce débat, dont nous vous remercions, monsieur le ministre.

Logiquement, c’est au Sénat que ce débat se tient en premier lieu, car c’est la commission des affaires étrangères et de la défense de la Haute Assemblée qui en a introduit le principe dans la loi de programmation militaire.

Il est vrai que le Gouvernement a pris le temps de la réflexion. Ce déploiement sur notre sol de forces jusqu’alors principalement engagées à l’extérieur constitue en effet un tournant majeur des relations entre l’armée et la Nation, sans doute le plus important depuis la suspension du service national par le président Chirac.

Je propose ici une triple exigence : il nous faut une pensée, afin de fixer la politique que nous devons mener et de la faire partager, il nous faut un cadre d’action et il nous faut des moyens. C’est cette triple exigence que je vais interroger. En conclusion, je vous transmettrai volontiers, monsieur le ministre, non pas un ordre de mission, mais un mandat de fidélité aux convictions du Sénat !

Première question : disposons-nous vraiment d’une doctrine d’emploi ?

Cet aspect ayant été fort bien traité par plusieurs orateurs avant moi, je ne m’y étendrai que pour souligner à la fois la pleine légitimité de l’armée dans la protection du territoire, mais aussi, quelques insuffisances de la situation actuelle. Malgré la mise en place d’états-majors tactiques et le très lent reflux des gardes statiques, les militaires restent guettés par le piège d’être des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure. La sédimentation des réquisitions et la trop lente dynamisation du dispositif Sentinelle en sont la preuve.

En conséquence, les qualités de nos armées sont trop peu exploitées : pas de remontée vers le renseignement territorial, pas d’utilisation des compétences proprement militaires, autonomie limitée. C’est se priver du pouvoir de faire changer l’incertitude de camp !

Demandons plutôt aux militaires un effet final recherché et laissons-les déployer leur savoir-faire. Les scènes de guerre, la sécurisation de zones, le contact avec les populations sont leur lot en OPEX. Sachons mieux en tirer profit. Il reste du chemin à faire.

Disons-le clairement, à quel autre ministère oserait-on demander un tel effort dans la durée ? Quelque 10 % des soldats de Sentinelle campent pour six à huit semaines dans des lits de camp, et en plein Paris, pas à Gao ni à Kidal ! Leurs journées sont du genre six heures vingt-trois heures et ils font quinze kilomètres de marche en portant vingt-cinq kilogrammes sur le dos. Cela doit être dit : les conditions sont dures.

Enfin, le Président de la République a demandé à la défense, en quelque sorte, de « faire tapis » et d’engager d’entrée de jeu un plafond de 10 000 soldats, ce qui ne permet pas de remontée en puissance ultérieure. Il y a là, à mon sens, une des lacunes de ce rapport, monsieur le ministre : il manque un outil pour adapter Sentinelle.

En conséquence, les tensions seront fortes pour l’armée de terre, au moins jusqu’en 2017, et nous n’avons pas de réserve pour faire face à un nouvel attentat.

Deuxième question : disposons-nous d’un cadre juridique solide ?

Dans le code de la défense, il est écrit noir sur blanc que le devoir militaire va jusqu’au sacrifice suprême, celui de sa vie. C’est une réalité, chaque année, pour de nombreux soldats, auxquels nous rendons tous ici hommage. Réciproquement, la Nation doit à ses militaires des conditions claires et sûres d’exercice de leur mission.

Concernant les opérations extérieures, la rédaction du Sénat, plus protectrice pénalement, avait prévalu en 2013, lorsque, à la suite du traumatisme d’Uzbin, le code de la défense et le code pénal avaient été modifiés pour mettre un terme à l’utilisation abusive des recours juridictionnels contre les opérations militaires, lesquelles comportent, par leur nature même, le risque du combat, donc celui de la mort. Je le rappelle et je salue la sagesse de notre assemblée.

Sur le territoire national, c’est la règle de la légitime défense qui s’applique. Chacun connaît les fortes exigences de la Cour de cassation en la matière. L’article 19 du projet de loi contre le crime organisé propose d’autoriser l’usage des armes en cas de « périple meurtrier ». Notre commission s’en est saisie pour avis. Il importe que les militaires bénéficient de la même sécurisation juridique que les forces de sécurité intérieure, avec lesquelles ils opèrent désormais.

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