Intervention de Harlem Désir

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 17 et 18 mars 2016

Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, les conseils européens du mois de mars sont traditionnellement dévolus, comme vous le savez, aux questions économiques et aux perspectives financières au sein de l’Union européenne. Cependant, même si ces sujets seront traités lors de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars prochain, notamment en présence de Mario Draghi, l’ordre du jour de ce Conseil restera largement dominé par la réponse à la crise des réfugiés, et par la finalisation du plan d’action entre l’Union européenne et la Turquie, à la suite du sommet qui s’est déroulé le 7 mars dernier à Bruxelles en présence du Premier ministre turc.

Compte tenu de l’évolution de la crise migratoire, la première des urgences est de soutenir la Grèce, qui a besoin d’une aide immédiate pour gérer la situation humanitaire sur son sol, en particulier à la frontière nord avec la Macédoine, et faire fonctionner les hotspots dans les îles au large des côtes turques.

Depuis notre dernier débat, le 17 février dernier, la situation s’est en effet considérablement dégradée en Grèce. La raison est connue : après avoir fermé partiellement ses frontières avec la Grèce à partir du 29 février dernier, la Macédoine a décidé, le 9 mars, de ne plus laisser entrer sur son territoire aucun migrant en provenance de ce pays. Or les réfugiés ont continué d’y arriver depuis la Turquie à un rythme qui est resté soutenu au cours des dernières semaines, même si celui-ci semble se ralentir ces derniers jours. Vous connaissez la conséquence : des réfugiés et des migrants de plus en plus nombreux sont bloqués sur le territoire grec, en particulier à Idomeni.

Aujourd’hui, selon les chiffres rapportés par notre collègue grec ce matin à Bruxelles lors de la réunion du Conseil des affaires générales, ce serait près de 48 000 migrants et réfugiés qui seraient bloqués en Grèce, dans des conditions extrêmement précaires pour beaucoup d’entre eux, avec des besoins urgents en matière de protection, de nourriture et de soins, les familles étant en très grand nombre.

Face à cette situation, l’Europe doit faire preuve de toute sa solidarité à l’égard d’un État membre, la Grèce, pays d’entrée d’un grand nombre de migrants et de réfugiés qui veulent venir en Europe.

C’est pourquoi nous avons décidé, lors du Conseil des affaires générales de ce matin, l’adoption d’un nouvel instrument financier d’aide humanitaire pour faire face aux besoins urgents de ce pays. Ainsi, 700 millions d’euros pourront être dégagés au cours des trois prochaines années dans le budget de l’Union européenne, dont 300 millions dès cette année. Vous le savez, sur proposition de la Commission, le Conseil a accepté de recourir au fonds d’urgence humanitaire, qui était jusqu’à présent uniquement utilisé pour venir en aide à des pays tiers, afin d’aider un État membre confronté à une situation exceptionnelle et d’urgence.

De plus, la France apportera également une contribution à titre bilatéral à cet effort humanitaire. Un convoi de matériels est en cours d’acheminement vers la Grèce.

Mais il convient aussi d’apporter une réponse plus structurelle en désengorgeant, d’une certaine façon, la Grèce, en faisant en sorte que les États membres respectent leurs engagements en matière de relocalisation des réfugiés présents dans ce pays. Ce mécanisme de relocalisation commence à être opérationnel. Cependant, sa mise en œuvre est encore trop lente et insuffisante. Au début de cette semaine, seuls 374 réfugiés avaient pu être relocalisés. Même si la France est aujourd'hui le premier pays à apporter une contribution, nous souhaitons que ce mécanisme soit mis en pratique d’une façon beaucoup plus rapide.

D’une façon générale, la priorité politique, c’est la mise en œuvre effective, rigoureuse et coordonnée de la totalité des décisions prises par les chefs d’État ou de gouvernement depuis un an : la mise en place des hotspots, les relocalisations et les réinstallations, les retours vers les pays de transit ou les pays d’origine, dans le cadre d’accords de réadmission, le renforcement des moyens de l’agence FRONTEX, l’adoption du paquet « Frontières », présenté par la Commission européenne le 15 décembre dernier, visant notamment à la mise en place de gardes-frontières et de gardes-côtes européens, le dialogue avec les pays tiers, en particulier les pays d’Afrique, mais aussi avec la Turquie, qui revêt en la matière, j’y reviendrai ultérieurement, une dimension très importante, et, enfin, le renforcement des moyens de la mission EUNAVFOR Med/Sophia en Méditerranée. En effet, il faut se préoccuper non seulement de la situation au large de la Turquie, mais aussi de celle qui existe en Méditerranée centrale, au large de la Libye.

Sur les cinq hotspots prévus en Grèce, quatre sont désormais opérationnels. Leur bon fonctionnement doit permettre à la fois l’accueil des migrants, des contrôles de sécurité systématiques et l’identification des personnes nécessitant une protection internationale, qui peuvent relever du droit d’asile. Les travaux doivent s’accélérer pour le cinquième hotspot, qui doit être localisé à Kos et dont l’ouverture est prochaine.

Le renforcement du dispositif passe aussi par une meilleure coopération entre la Grèce et la Turquie pour ce qui concerne les embarcations illégales affrétées par des passeurs en mer Égée. Pour ce faire, l’OTAN a mis à la disposition de l’Union européenne une flotte, en lien avec FRONTEX et les gardes-côtes grecs et turcs, en vue d’identifier les bateaux des passeurs afin de pouvoir secourir les passagers et lutter contre les filières d’immigration illégale.

Pour être efficace, ce dispositif passe également par des procédures de réadmission, mais j’y reviendrai en évoquant le plan négocié avec la Turquie.

Par ailleurs, nous avons décidé d’accélérer autant que possible l’adoption de la base législative qui permettra de mettre en place des gardes-frontières et des gardes-côtes. Notre objectif est d’obtenir un accord dès le prochain conseil Justice et affaires intérieures, qui se réunira le 21 avril prochain, puis un accord politique avec le Parlement européen au mois de juin.

Le Conseil européen sera également très vigilant quant à l’apparition de nouvelles routes migratoires à la suite de la fermeture de la frontière entre la Grèce et la Macédoine, en particulier via l’Albanie, qui pourraient conduire à déstabiliser d’autres pays de l’espace Schengen, notamment l’Italie, et des Balkans. À cet égard, l’Italie et l’Albanie sont déjà convenues d’une coopération très étroite pour éviter que ne se crée dans la mer adriatique une nouvelle route de passage comme celle qui s’est établie entre la Turquie et la Grèce.

Enfin, j’évoquerai un dernier élément en réponse à la crise migratoire, à savoir le partenariat avec la Turquie.

Ce partenariat est extrêmement important. Nous considérons que la Turquie a un rôle essentiel à jouer dans la résolution de cette crise. C’est pourquoi un plan d’action a été négocié avec ce pays le 29 novembre dernier. Le 7 mars, à la suite d’un échange avec le Premier ministre turc, un mandat a été donné au président Tusk pour préciser les conditions d’un dispositif de réadmission des migrants irréguliers et de réinstallation des réfugiés syriens. L’objet de ce plan est de briser la logique des trafiquants d’êtres humains.

Dans le même temps, il faut évidemment s’assurer que les modalités de mise en œuvre de ce plan sont en tout point conformes à nos obligations internationales et au droit de l’Union en matière de droit d’asile. Ainsi, il reste absolument indispensable que les autorités turques réadmettent, comme elles se sont dites prêtes à le faire, des migrants qui auraient embarqué sur des bateaux affrétés par des passeurs, mais qui n’ont pas vocation à être accueillis dans l’Union européenne, ainsi que des réfugiés, même si des procédures de traitement de demandes d’asile doivent pouvoir être faites. Avec le système de réinstallation, il sera établi qu’il n’existe pas de voie d’immigration illégale permettant d’entrer dans l’Union européenne. Les réfugiés qui souhaitent bénéficier d’une protection et de l’asile doivent faire leur demande depuis la Turquie, en coopération avec les autorités turques, mais aussi le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il faut donc ouvrir des voies alternatives, qui soient des voies d’immigration légale.

Pour ce qui nous concerne, cela doit se faire dans le cadre des décisions qui avaient déjà été arrêtées concernant l’accueil de 160 000 réfugiés au sein de l’Union européenne. Une partie de ces réfugiés proviendront des relocalisations depuis la Grèce : ce processus n’ayant pas encore été mis en place avec la Turquie, il faut accueillir des personnes qui se trouvent en Grèce, ainsi que des réfugiés qui sont dans des centres d’accueil et d’enregistrement en Italie. Mais si l’on suit la terminologie adoptée lors des réunions européennes, une partie de ces relocalisations peuvent être des réinstallations directement depuis la Turquie. Pour casser la logique consistant à tenter à tout prix de traverser la Méditerranée par l’intermédiaire d’un passeur au péril de sa vie, il vaut mieux instaurer un système de réinstallation directe depuis la Turquie.

Par ailleurs, les aides à la Turquie, qui accueille, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, 2, 5 millions de réfugiés sur son sol, ont commencé à être versées. Un montant de 3 milliards d’euros avait été initialement alloué par l’Union européenne pour le soutien aux réfugiés syriens en Turquie. Les versements doivent s’accélérer ; ils sont destinés à des projets précis d’aide aux populations syriennes. Si cela s’avère nécessaire, a été évoquée la possibilité que cette enveloppe soit complétée d’ici à 2018, mais toujours pour des projets ciblés au profit de populations de réfugiés sur le sol turc.

Concernant la mise en œuvre de la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas, je veux insister sur un point : cette libéralisation doit répondre à des critères.

Ainsi, dans le cadre des négociations avec tous les partenaires de l’Union européenne susceptibles d’être intéressés par cette mesure, soixante-douze critères ont été fixés, qui sont très loin d’être remplis pour ce qui concerne la Turquie. Le Président de la République l’a rappelé avec force et une très grande clarté, la France ne transigera pas avec le respect de ces soixante-douze critères, qui doivent être remplis avant d’envisager une telle libéralisation. Or c’est encore loin d’être le cas.

Concernant l’ouverture de chapitres de négociation – onze chapitres ont été ouverts entre 2007 et 2012, et deux l’ont été depuis 2012 –, la discussion se poursuit.

Peut-être un chapitre pourrait-il être ouvert cette année, de même qu’un l’a été l’an passé.

En tout état de cause, le processus suivi est extrêmement méticuleux et long, et on ne peut préjuger son issue. Le Président de la République a ainsi rappelé que la conclusion des discussions avec la Turquie n’était pas déterminée à l’avance et que, en toute hypothèse, les Français seraient consultés à l’issue du processus. Il faut rappeler que l’ouverture de chapitres de négociation a pour objet de rapprocher la législation turque de celle de l’Union européenne dans différents domaines de coopération.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ces trois grandes priorités, les décisions qui ont été prises depuis un an, l’action des gardes-frontières et des gardes-côtes européens qui vont enfin être mis en place et les mesures du plan d’action arrêté avec la Turquie, l’Union européenne va être dotée d’un dispositif complet, qu’il faut maintenant mettre en œuvre de façon résolue, rapide et générale, afin que l’espace Schengen revienne à un fonctionnement normal dans les mois qui viennent, ce qui est notre souhait.

On ne peut pas faire vivre un espace de libre circulation entre les pays de l’Union européenne si l’on ne reprend pas le contrôle de la frontière extérieure commune. §On ne peut pas protéger les vies humaines si l’on ne donne pas un coup d’arrêt à cette sorte de filière massive d’immigration irrégulière qui s’est développée entre la Turquie et les côtes grecques.

Tel est l’esprit du plan qui a été adopté et qui doit être confirmé lors du Conseil européen des 17 et 18 mars, avant d’être mis en œuvre dans son intégralité.

Le second grand sujet à l’ordre du jour du Conseil sera économique : il s’agit de l’agenda européen pour l’emploi, la croissance et la compétitivité.

En particulier, le Conseil européen endossera une révision du semestre européen visant à simplifier celui-ci autour de trois principes : la relance de l’investissement, les réformes structurelles et des politiques budgétaires responsables – les flexibilités nécessaires étant prises en compte. C’est ce triptyque qui devra être traduit par les États membres de la zone euro dans les programmes nationaux de réforme et les programmes de convergence.

Lors du Conseil européen du mois de juin, les chefs d’État et de gouvernement pourront étudier les progrès accomplis pour compléter l’Union économique et monétaire sur le fondement du rapport des cinq présidents, mais aussi accélérer l’approfondissement du marché intérieur, s’agissant en particulier du marché unique du numérique et de l’Union des marchés de capitaux.

Nous voulons également que le prochain Conseil européen se saisisse de la situation de l’industrie sidérurgique européenne, confrontée à des pratiques de concurrence déloyale, afin que toutes les mesures soient prises pour y faire face et qu’une stratégie de long terme soit élaborée pour l’acier européen.

Par ailleurs, les chefs d’État et de gouvernement aborderont les grandes crises internationales et réaffirmeront nos positions communes au sujet de la Syrie et de la Libye.

Enfin, la France tient beaucoup à ce que le Conseil européen maintienne la dynamique issue de la COP 21, pour que l’Union européenne reste leader dans la lutte contre le changement climatique. Il convient en particulier que les pays européens soient représentés au plus haut niveau pour la signature de l’accord, prévue à New York le 22 avril prochain, et qu’ils s’engagent à procéder très rapidement à la ratification de l’accord de Paris. Ainsi l’Union européenne et l’ensemble de ses États membres auront-ils ratifié l’accord parmi les premiers et le paquet énergie-climat adopté en octobre 2014 pourra-t-il être mis en œuvre.

Faire l’unité face aux urgences, affirmer la volonté de bâtir une réponse européenne commune à la crise migratoire, contrôler les frontières de l’Union européenne, renforcer l’économie européenne : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands enjeux du Conseil européen des 17 et 18 mars. Au fond, ce sommet montrera que l’Europe répond aux urgences sans oublier de préparer l’avenir, satisfaisant ainsi les attentes des citoyens !

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