Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 17 et 18 mars 2016

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise migratoire s’invite une nouvelle fois à l’agenda de l’Union européenne en 2016, comme ce fut le cas lors de très nombreux conseils et réunions en 2015.

Certains ont peut-être cru voir dans l’année écoulée le pic de la crise : les chiffres des passages par les voies terrestres et maritimes étant en forte hausse par rapport aux années antérieures, ils auraient pu se stabiliser, pour enfin décroître. Seulement, le scénario à venir pourrait être assez différent. Au vrai, la relative accalmie hivernale devrait être de courte durée et laisser place au printemps à un nouveau déferlement.

Le temps des premières arrivées au large de Lampedusa semble déjà bien loin, et force est de constater que l’Europe n’a pas su tirer toutes les conséquences des désordres à sa périphérie.

Au-delà des désordres extérieurs, c’est une forme de chaos intérieur lié aux grandes difficultés que rencontrent les États membres pour juguler les flux de migrants et pour organiser de manière efficace leur tri au regard du droit d’asile et, le cas échéant, leur retour qui a pu susciter des vocations. À ce stade, hélas, la crise appelle la crise.

En vérité, quel ressortissant d’un pays en guerre, d’un État sans avenir économique, ne tenterait pas sa chance dans la confusion actuelle, surtout quand des passeurs lui font miroiter un meilleur avenir en Europe et un faible risque d’expulsion ? Pourtant, comme l’a rappelé l’agence FRONTEX, la majorité de ces malheureux ne relèvent pas du droit d’asile.

Monsieur le secrétaire d’État, la situation en Grèce paraît toujours extrêmement inquiétante, surtout après la fermeture progressive de la route des Balkans. L’identification, l’enregistrement et le suivi des migrants et réfugiés s’améliorent-ils ? Les moyens annoncés sont-ils fournis en quantité suffisante ? Sont-ils dimensionnés pour l’inévitable montée en charge du dispositif ?

Plus fondamentalement, est-il acceptable de voir la Grèce, ce pays exsangue économiquement et au territoire fragmenté, devenir un hotspot géant – certains ont parlé de « Calais de l’Europe » ?

Les milliers de migrants entassés, parfois à même le sol, dans un aéroport fantôme donnent une image déplorable de l’Europe, de ses valeurs et de l’état de dislocation de certains de ses membres. Vue de Pékin, de Washington, de Moscou ou d’ailleurs, l’image n’est pas sans conséquences.

De plus, la Commission européenne a fait récemment observer que, depuis le début de l’année 2015, la Grèce avait procédé à un nombre de retours forcés et de retours volontaires aidés de migrants économiques « insuffisant par rapport au nombre d’arrivées en 2015, soit plus de 800 000 migrants. » Elle a d’ailleurs dressé le même constat d’insuffisance à propos des retours à partir de l’Italie.

Au cours du récent sommet Union européenne-Turquie, le principe d’une coopération renforcée avec la Turquie a été entériné. Naturellement, tout ce qui peut contribuer à sortir de la crise migratoire est à considérer avec intérêt. Or la Turquie est pour l’Union européenne, à de nombreux titres, un partenaire important.

Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, les contreparties semblent substantielles : la suppression, peut-être dès l’automne, des visas imposés aux ressortissants turcs, une relance du processus d’adhésion à l’Union européenne et plusieurs milliards d’euros d’aide. Les négociations sous la pression des événements sont, vous en conviendrez, rarement avantageuses pour le demandeur…

Par ailleurs, comment sera contrôlé l’emploi des financements européens destinés aux réfugiés ?

Quant au projet de renvoyer tous les migrants en situation irrégulière vers la Turquie et de procéder, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie, à la réinstallation dans l’Union européenne d’un autre Syrien, il fait largement débat. Monsieur le secrétaire d’État, quelle position la France prendra-t-elle en la matière lors du prochain Conseil européen ?

Il faudra aussi s’assurer que la Turquie lutte efficacement contre les passeurs agissant sur son territoire, d’autant que ce sont les mêmes réseaux qui font transiter des combattants de Daech de et vers la Syrie.

La Turquie ne deviendra-t-elle pas, en définitive, une base arrière pour certains migrants qui voudront, vaille que vaille, retenter leur chance ?

Un autre sujet d’attention est, à mon sens, le déploiement d’une flotte de l’OTAN en mer Égée en vue, officiellement, de lutter contre le trafic de migrants. J’y vois d’abord – pardonnez-moi – une forme de faiblesse de l’Europe : une solution de facilité, si j’ose dire. Là aussi, l’image est désastreuse.

Quelle est la plus-value réelle de cette opération navale ? N’aura-t-elle pas un effet pervers incitatif, les passeurs, sachant que les migrants auront plus de chances d’être récupérés, étant davantage tentés de faire partir leurs embarcations ? De fait, comme l’a reconnu devant la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le commandant en second de la mission EUNAVFOR Med, « les passeurs se sont adaptés à la présence accrue des navires européens, sans compter ceux des ONG, et comptent sur l’organisation d’opérations de recueil des migrants ».

Par ailleurs, au moment où les relations russo-européennes sont toujours délicates, pour ne pas dire tendues, sur fond de crise ukrainienne et d’embargo russe, la présence de navires de l’OTAN dans cette région orientale a probablement de quoi interpeller en Russie : ce déploiement pourrait être aussi perçu comme un moyen de renseignement sur les activités des bâtiments russes en provenance de la mer Noire.

Je rappelle que, de façon parallèle, en réponse à l’annexion de la Crimée et aux inquiétudes de certains États membres de l’est de l’Europe, l’OTAN renforce actuellement sa présence dans cette zone. S’il faut sans doute rester ferme face à la Russie, cet arc de l’OTAN, des États baltes aux Balkans jusqu’à la mer Égée, est-il le meilleur moyen d’apaiser les tensions régionales ?

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