Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 17 et 18 mars 2016

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’Europe affronte des crises multiples, interconnectées et qui, additionnées les unes aux autres, représentent la plus lourde remise en cause qu’elle ait connue depuis sa création.

L’Europe tente de faire face, alors qu’elle se trouve dans une situation de faiblesse liée à la perte de confiance des opinions publiques et aux réactions de plus en plus nationales des États membres.

Chaque crise, qu’il s’agisse de crise migratoire, de lutte contre le terrorisme, du Brexit ou des difficultés économiques, se caractérise par le fait que la solution qui lui correspond ne dépend jamais d’une seule partie. Elle résulte en réalité de la combinaison de causes et de solutions interdépendantes. Chacun détient une partie de la solution, personne n’en dispose seul. Manifestement, monsieur le secrétaire d’État, les pays européens n’arrivent plus à se parler ou à mettre suffisamment en commun pour décider.

Si nous en sommes arrivés là, c’est parce que le couple franco-allemand a sa part de responsabilité et que la France a également sa part de responsabilité dans ce qui a pu être qualifié de « panne sèche ».

Nous assistons à un découplage entre la France et l’Europe, d’une part, et entre la France et l’Allemagne, d’autre part.

Tout d’abord, il existe un découplage entre la France et l’Europe, qui est flagrant en matière économique.

Deux grands sujets sont inscrits à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, dont l’un est de nature économique et porte sur la stratégie pour le marché unique des biens et des services. Cette stratégie vise à « libérer tout le potentiel du marché unique et à améliorer ainsi la compétitivité de l’économie européenne. » Il s’agit d’« ouvrir de nouvelles perspectives aux consommateurs et aux entreprises » en développant l’économie collaborative, en favorisant la croissance des PME, et en créant un marché sans frontières des services. Il s’agit également d’« encourager la modernisation et l’innovation. »

Vous l’avez compris, mes chers collègues, on peut résumer ainsi la stratégie pour le marché unique : premièrement, mener des réformes structurelles ; deuxièmement, travailler sur la compétitivité de l’économie. Exactement, ce que notre pays peine à faire !

Monsieur le secrétaire d’État, ne percevez-vous pas le découplage qui s’accentue entre le parcours de notre pays et la trajectoire de l’Europe ? Ne pensez-vous pas que l’actualité accable quelque peu notre pays, quand on sait que le Conseil de l’Union européenne, dans sa décision du 5 octobre 2015 relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des États membres, demande d’« améliorer le fonctionnement des marchés du travail » au travers de la mise en œuvre d’un système de flexisécurité, quand on sait également que le Jobs Act de Matteo Renzi date d’il y a plus d’un an ou encore que les accords Hartz de nos amis allemands ont plus de dix ans ?

Selon vous, monsieur le secrétaire d’État, à qui s’adresse le commissaire européen aux affaires économiques et financières, M. Pierre Moscovici, sinon à notre pays, lorsqu’il déclare : « Aujourd’hui, nous voyons clairement que les pays qui sont parvenus à réformer leur économie rapidement et en profondeur recueillent les fruits de leurs efforts. D’autres doivent passer à la vitesse supérieure pour pouvoir offrir plus de croissance et d’emplois à leurs citoyens » ? Il parle bien du découplage qui s’accentue entre la France et l’Europe !

Ensuite, il existe un découplage entre la France et l’Allemagne. Deux sujets parmi d’autres illustrent ce découplage. Il s’agit, en premier lieu, de la question agricole, sur laquelle je vais aller très vite. Si vous en avez la possibilité, monsieur le secrétaire d’État, et sans développer davantage ce thème, je vous demanderai de répondre à une question très pratique : pourriez-vous nous expliquer ce que signifie l’annonce faite il y a peu de temps concernant « l’activation d’une mesure permettant aux opérateurs du secteur laitier de s’entendre, sur une base volontaire, sur des limitations de la production pour une période de six mois renouvelable une fois » ? Que veulent dire les termes « sur une base volontaire » ? Cela signifie-t-il que certains pourraient réduire provisoirement leur production quand d’autres continueraient à augmenter la leur ?

Il s’agit, en second lieu, de la crise migratoire – peut-être la plus grave –, sujet que mes collègues viennent de développer largement. Sur ce thème, mes collègues de la commission des affaires européennes et moi-même estimons à la quasi-unanimité qu’il n’existe pas d’alternative à Schengen, du moins à un Schengen opérationnel. En outre, je souhaite vous dire ô combien je regrette que les positions allemande et française aient pu s’éloigner au sujet de cette crise.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué la Turquie tout à l’heure. N’avez-vous pas été blessé tout de même, comme chacun d’entre nous l’a été, compte tenu de ce que représente notre pays aujourd’hui, de constater que nos amis allemands ont lancé leurs négociations avec la Turquie sans nous en informer préalablement ? En effet, c’est bien cela la réalité !

En conclusion, quelles sont nos attentes ? Tout d’abord, notre pays doit assumer ses responsabilités dans le domaine économique, se réformer et retrouver à la fois sa place et sa voix en Europe. Ensuite, il faut que notre pays redevienne le moteur de la politique européenne.

Pour terminer, monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué les hotspots. Autorisez-moi à réaliser un modeste retour d’expérience à l’issue de la visite du hotspot de l’île de Lampedusa que j’ai faite hier avec M. le président du Sénat, Gérard Larcher, qui m’avait fait l’honneur de m’inviter à l’accompagner. Le bilan sera très positif sur le hotspot lui-même : l’État italien assume ses responsabilités, a mis de gros moyens dans ce centre, assure remarquablement ses devoirs humanitaires, identifie et vérifie les données grâce au système d’information Schengen, et a dépêché sur place des professionnels de l’antiterrorisme. Par ailleurs, les migrants ne restent en moyenne que trois à quatre jours dans ce hotspot.

En revanche, plusieurs points nous ont frappés. Tout d’abord, nous avons constaté un changement dans l’origine géographique des migrants. Parmi les personnes arrivées récemment, la moitié venait d’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique francophone. Aussi mesure-t-on le trajet que cela représente pour eux. Il ne s’agit plus simplement de réfugiés provenant de l’Afrique de l’Est, via la Libye.

Ensuite, nous avons été frappés par l’ignominie vécue par les migrants en Libye, État failli – chacun le sait –, sans qu’il soit nécessaire de nous appesantir sur le sort des quelques femmes qui ont participé aux voyages.

Enfin, nous avons noté le faible nombre d’accords de réadmission, y compris avec l’Afrique de l’Ouest qui bénéficie pourtant de notre aide financière et militaire. C’est très clairement un sujet sur lequel l’Europe peut travailler directement et pour compte commun.

Envisager l’après-hotspot, c’est-à-dire la situation des migrants lorsqu’ils poursuivent leur route, qu’ils aient ou non déposé une demande d’asile, nous engagerait presque dans un autre débat. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je me contenterai de vous remercier de votre attention et des éléments de réponse que vous apporterez à mes interrogations.

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