Intervention de Simon Sutour

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 17 et 18 mars 2016

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se déroulera les 17 et 18 mars prochain sera quasi intégralement consacré à la crise migratoire et fera suite à la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne avec la Turquie qui s’est tenue le 7 mars dernier.

Il s’agit désormais de mettre en œuvre l’ensemble des mesures et dispositifs qui ont été décidés, de trouver un consensus sur la question des migrations et d’ouvrir enfin une nouvelle phase plus favorable à la construction européenne. Cela sera le cas par exemple en matière économique avec le plan Juncker, en matière sociale avec la proposition de directive sur les travailleurs détachés, ou encore en matière environnementale avec l’adoption de la COP 21.

Aujourd’hui, il faut sauver l’Europe. Trente ans après la signature de l’Acte unique européen, l’intégration européenne est menacée. Si la crise migratoire en est le symptôme le plus perceptible et le plus douloureux, l’Europe doit faire face à d’autres défis majeurs.

En premier lieu, le secteur agricole subit une crise sans précédent. Elle est peut-être davantage médiatisée en France compte tenu de notre attachement à la terre, mais cette crise touche tous les agriculteurs européens.

Je pourrais ajouter à ce sombre tableau la menace du Brexit qui se précise un peu plus chaque jour, la croissance économique qui est atone et ne permet pas de faire reculer le chômage et la pauvreté, le spectre de la déflation ou encore la faiblesse de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme, avec le retard que l’on observe notamment dans le domaine de la coordination des moyens de renseignement et dans la mise en place du PNR, le passenger name record. À ce propos, j’ai de bien mauvaises nouvelles à vous annoncer, mes chers collègues. J’arrive de Bruxelles où je viens d’apprendre que la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, la fameuse commission LIBE, du Parlement européen semble avoir décidé de ne pas se prononcer sur le PNR tant qu’un accord ne serait pas trouvé sur le paquet relatif à la protection des données personnelles. C’est attristant et désespérant, monsieur le secrétaire d’État !

Les eurosceptiques auraient tort de se réjouir, car la principale vocation de l’Europe est de garantir la paix. Or une Europe fragilisée, des États membres fragilisés, c’est la porte ouverte à la montée des populismes et des nationalismes ! Aujourd’hui, le risque est bien celui d’une déstabilisation politique de l’Europe.

Après-demain donc, à Bruxelles, l’Europe des Vingt-Huit tentera une nouvelle fois d’apporter des réponses à la grave crise migratoire. L’année dernière, pris de panique, les pays européens ont été incapables de s’entendre pour d’emblée gérer au mieux le gigantesque afflux de réfugiés venus de Syrie, d’Érythrée et d’Irak dans un premier temps, puis les migrants économiques provenant d’autres pays du Proche-Orient, du Moyen-Orient ou d’Afrique.

Entre une Allemagne très généreuse dans l’accueil des migrants et d’autres pays totalement opposés à cet accueil, l’Europe a failli. En effet, c’est bien l’Europe qui aurait alors dû intervenir : elle dispose pour ce faire de tous les outils et notamment d’un outil menacé de disparition, Schengen ! On voit bien aujourd’hui que l’absence dès le départ d’une politique commune sur la gestion des flux migratoires nous a conduits au chaos et qu’il est, de ce fait, d’autant plus difficile d’apporter aujourd’hui sereinement des solutions pérennes et acceptées par tous les États membres.

Les pays du Nord découvrent bien tardivement le Sud. D’ailleurs, s’agissant du pourtour méditerranéen, le budget que consacre l’Union européenne à la politique de voisinage est insuffisant. Il est vrai que l’importance des relations avec les pays des rives est et sud de la Méditerranée a trop souvent été minimisée par nos partenaires européens, tout particulièrement les pays baltes et la Pologne.

Cette panique a eu pour résultat de faire fortement vaciller l’Europe. De surcroît, Schengen ne fonctionne plus et certains États membres se trouvent dans des situations préoccupantes, la Grèce en premier lieu. Cette situation a non seulement des conséquences sur les relations que les pays européens entretiennent entre eux, mais aussi sur les relations que nous entretenons avec les pays périphériques, je pense bien sûr à la Turquie.

Alors qu’attendre du Conseil européen de cette semaine ? Il est difficile d’apporter une réponse tant l’ébauche d’accord avec la Turquie suscite des réactions, au mieux contrastées, le plus souvent de franche hostilité. Nombre de pays européens sont opposés à cet accord, et nos collègues eurodéputés ont accueilli l’accord de principe plutôt fraîchement, tous groupes politiques confondus.

Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous précisiez la position de la France à ce sujet, car cette négociation avec la Turquie suscite de légitimes interrogations : sur la légalité du dispositif, sur sa faisabilité et sur des contreparties que beaucoup jugent exorbitantes.

La surenchère permanente de la part de la Turquie ne semble pas être le meilleur moyen de traiter le problème. Faut-il, par exemple, lier la question des réfugiés avec les négociations sur son adhésion à l’Union européenne ? Je ne le pense pas.

On ne peut aussi passer sous silence les restrictions des libertés dans ce pays, en particulier dans le domaine de la presse. Décidément, la Turquie s’éloigne un peu plus chaque jour des standards démocratiques de l’Union européenne.

De plus, la France, qui a toujours été aux cotés de la Grèce au cours des dernières années, doit pouvoir, une fois encore, réaffirmer de manière forte son soutien à ce pays. C’est urgent, et la crise humanitaire menace, avec la fermeture de la route dite des Balkans. Vous avez cité le chiffre, monsieur le secrétaire d’État, 48 000 migrants sont d’ores et déjà bloqués en Grèce, dont environ 13 000 à Idomeni, qui s’entassent dans des conditions difficiles, voire inacceptables.

La Grèce, c’est l’évidence, ne peut faire face seule. Il faut l’aider à tout prix car la crise humanitaire, s’ajoutant à la crise économique, peut être fatale à ce pays.

La solution à court et moyen termes passe par plus d’Europe, et non par un repli national.

À ce titre, nous devons saluer la feuille de route présentée par la Commission européenne, qui souhaite revenir à un fonctionnement « normal » de Schengen d’ici à la fin de l’année – le rétablissement des frontières est illusoire, coûteux et contre-productif. Cela implique de renforcer le dispositif, notamment en s’attaquant à un sujet trop longtemps négligé : le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union.

Comme le rappelle très justement Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté : « Un espace sans contrôle aux frontières intérieures n’est viable que si ses frontières extérieures sont dûment protégées ». Contrôles renforcés, création d’un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes sont quelques-unes des pistes envisagées à cet égard.

Il y a urgence, car nous ne pouvons pas nous accommoder de la situation actuelle, avec des êtres humains qui périssent chaque jour en Méditerranée et des mafias de passeurs qui s’enrichissent sur cette détresse. Ce n’est plus tolérable !

Renforcer Schengen, c’est donc mettre un terme à l’immigration désordonnée par la multiplication des centres d’accueil ; c’est permettre une application rationnelle du droit d’asile ; c’est aussi relancer l’intégration européenne.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais évoquer un aspect de la crise agricole, celui qui est lié aux sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie et pénalisant très durement nos agriculteurs.

Récemment, notre ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, s’est à plusieurs reprises déclaré favorable à la levée des sanctions contre la Russie.

On estime que l’embargo alimentaire a déjà coûté plus de 250 millions d’euros à notre agriculture, dont 50 millions d’euros pour le secteur des fruits et légumes, 109 millions d’euros pour les professionnels du lait et 100 millions d’euros pour la filière porcine.

La semaine dernière, le Sénat a reçu une délégation du Conseil de la Fédération de Russie conduite par M. Konstantin Kossatchev, président du comité des affaires internationales. À ce sujet, est-il normal que la présidente du Sénat russe soit toujours interdite de séjour dans l’Union européenne ? À titre personnel, je ne le pense pas !

La commission des affaires européennes, la commission des affaires étrangères ainsi que M. le président du Sénat ont rencontré cette délégation et il est clair que la volonté d’une normalisation des relations avec ce grand pays est forte.

Quel est votre sentiment à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ? Il a été décidé, semble-t-il, de prolonger les sanctions jusqu’en septembre. Va-t-on procéder de la sorte indéfiniment ?

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, l’Europe est au milieu du gué. Nous avons le choix soit de céder au pessimisme, soit, au contraire, de rebâtir une Europe plus forte, plus humaine, capable de redonner de l’espoir et du bien-être à ses citoyens.

En tant qu’Européens convaincus, nous espérons que les graves difficultés actuelles, mettant en lumière les faiblesses de l’Europe, seront, au bout du compte, ce qui la renforcera.

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