Les marchés publics représentent, chaque année, plus de 200 milliards d'euros, soit dix points de PIB. Ce chiffre illustre l'importance que revêt la ratification de l'ordonnance du 23 juillet 2015.
Le Gouvernement a été habilité à la publier par la loi relative à la simplification des entreprises du 20 décembre 2014 pour transposer deux directives communautaires du 26 février 2014 et rationaliser le droit de la commande publique. Cette ordonnance entrera en vigueur en avril prochain. Au regard de ses enjeux, je regrette que le Gouvernement n'ait pas encore inscrit son projet de loi de ratification à l'ordre du jour de la séance publique. En me nommant rapporteur, la commission a toutefois souhaité examiner l'ordonnance dès à présent afin d'être en mesure, le moment venu, de la ratifier de la manière la plus éclairée possible.
Cette ordonnance concerne les marchés publics allotis, les marchés globaux et les marchés de partenariat, mais pas les concessions qui font l'objet d'une ordonnance spécifique publiée le 29 janvier dernier dont le projet de ratification n'a pas encore été déposé.
La transposition des deux directives précitées fournit de nouveaux outils aux acheteurs publics pour qu'ils puissent mener une politique d'achats plus cohérente. C'est ainsi que l'ordonnance crée une « procédure concurrentielle avec négociation » qui permettrait à l'acheteur de dialoguer avec les candidats pour améliorer leur offre même au-dessus des seuils d'appels d'offres.
Le principe de l'allotissement - qui consiste à diviser le marché en lot pour faciliter l'accès des PME aux marchés - est également conforté. Il est en effet étendu aux entités privées accomplissant des missions d'intérêt général comme La Poste ou la SNCF, ce qui permettrait, d'après le Gouvernement, d'attribuer 1,25 milliards d'euros de marchés supplémentaires aux PME.
La rationalisation du droit de la commande publique, second objectif de l'ordonnance, passe tout d'abord par une unification et une simplification des règles applicables : l'ordonnance remplace ainsi 17 textes en vigueur. En outre, elle fixe au niveau législatif les principes de la commande publique alors que l'actuel code des marchés publics est de niveau règlementaire.
Enfin, l'ordonnance propose une nouvelle architecture des marchés.
Il s'agit désormais de distinguer, d'abord, les marchés allotis, qui correspondent, comme aujourd'hui, à la forme contractuelle de droit commun. Par rapport au droit en vigueur, une nouvelle évaluation préalable serait nécessaire pour les marchés dépassant 100 millions d'euros, les entreprises pourraient proposer des offres variables et les acheteurs seraient contraints de motiver leur choix de ne pas allotir un marché.
Deuxième catégorie : les marchés globaux, qui dérogent à la loi de 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique car l'entreprise assume la conception de l'ouvrage, l'exécution des travaux, voire l'entretien du bâtiment. L'ordonnance simplifie le recours aux contrats globaux de performance dans lesquels l'entreprise s'engage à remplir des objectifs chiffrés. Elle étend également les marchés globaux sectoriels - qui concernent des secteurs sensibles comme les prisons - aux opérations de revitalisation artisanale et commerciale.
Enfin, les marchés de partenariat regroupent les actuels partenariats public-privé (PPP) - examinés par nos collègues Portelli et Sueur dans leur rapport de 2014 - et les contrats domaniaux qui avaient été utilisés pour répondre aux besoins des acheteurs publics.
L'ordonnance circonscrit l'utilisation des marchés de partenariat tout en simplifiant les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent y recourir. Elle réforme l'évaluation préalable de ces marchés et crée une étude de soutenabilité budgétaire. Ces documents seront respectivement transmis pour avis à la mission d'appui des partenariats public-privé et à la DGFiP. Le recours à ces marchés de partenariat nécessiterait, d'après l'ordonnance, de remplir un critère unique : celui du bilan. Les critères de l'urgence et de la complexité, jugés trop imprécis, seraient donc supprimés. Enfin, l'ordonnance crée des seuils minimaux déterminés par niveau réglementaire en-dessous desquels il ne serait pas possible de conclure un marché de partenariat.
Pour ma part, je vous propose d'adopter ce projet de loi de ratification sous réserve de certaines modifications tendant à un meilleur équilibre entre les marchés allotis, les marchés globaux et les marchés de partenariat.
Tout d'abord, le champ et le délai de l'habilitation ont été respectés. Je n'ai pas repéré de sur-transposition manifeste, à l'exception de la nouvelle obligation d'évaluation préalable pour les marchés allotis dépassant 100 millions d'euros, que je vous proposerai de supprimer pour ne pas alourdir la charge des acheteurs publics.
Le Gouvernement a repris certaines propositions parlementaires, notamment en prévoyant des seuils minimaux pour le recours aux contrats de partenariat. Nous pourrions ajouter une proposition que j'avais formulée lors de ma communication du 11 février 2015 : préciser les modalités de prévention des conflits d'intérêts dans la commande publique en s'inspirant de la loi sur la transparence de 2013. L'idée est de privilégier le déport de l'acheteur concerné par un conflit d'intérêts et non l'exclusion d'une entreprise de la procédure de mise en concurrence.
Concernant la répartition entre le domaine législatif et le domaine règlementaire, je n'ai constaté qu'une seule incohérence, à laquelle je vous proposerai de remédier : l'encadrement de la possibilité pour l'acheteur public d'attribuer un marché à partir du seul critère « prix » doit être précisé au niveau législatif car il aura des conséquences sur les collectivités territoriales.
Enfin, je regrette que plusieurs propositions de nature règlementaire de la mission commune d'information sénatoriale sur la commande publique n'aient pas été reprises, notamment les mesures visant à améliorer la trésorerie des entreprises.
Concernant l'économie générale du texte, je vous proposerai de rechercher un meilleur équilibre entre les différents types de marchés. Il convient en effet de concilier les marchés allotis - qui doivent rester le principe car ils constituent les contrats auxquels toutes les entreprises peuvent accéder, y compris les PME - des marchés globaux et des marchés de partenariat - qui présentent des avantages qu'il ne faut pas sous-estimer pour les acheteurs publics mais qui qui doivent rester une exception au regard de leurs effets d'éviction sur les PME et les entreprises spécialisées dans un seul corps d'état.
Je vous proposerai ainsi de conforter l'allotissement en renforçant les modalités de motivation de la décision d'un acheteur de ne pas allotir son marché.
Je souhaite également supprimer le nouveau dispositif des offres variables car il permettrait à de grands groupes de proposer des « prix de gros », ce qui les avantagerait de manière excessive par rapport aux entreprises spécialisées et aux PME.
Nous aurons inévitablement un débat sur la place des marchés globaux et des marchés de partenariat. Pour ma part, je souhaite les encadrer mais je ne veux pas prendre des mesures qui reviendraient à les supprimer. N'oublions pas qu'il s'agit d'instruments pour concrétiser les projets d'investissement publics et qu'il serait contreproductif de réduire la palette d'outils à la disposition des acheteurs publics.
S'agissant des seuils minimaux de recours aux marchés de partenariat, je souhaite qu'ils soient fixés par décret et à un niveau relativement bas : 60 % des PPP ont un montant inférieur à 30 millions d'euros et 60 % sont inférieurs à 3 millions d'euros dans le cas particulier de l'éclairage public. Ne mettons pas en danger ces contrats avec des seuils trop élevés ! Je rappelle également que d'autres sécurités sont prévues, comme l'étude de soutenabilité transmise à la DGFiP, qui sera très contraignante pour les acheteurs locaux.
Je propose de renforcer ces sécurités afin de mettre en oeuvre un encadrement raisonné des marchés globaux et de performance. L'un de mes amendements vise ainsi supprimer les opérations de revitalisation artisanale et commerciale de la liste des marchés globaux sectoriels et un autre tend à donner plus de garanties aux sous-traitants intervenant dans un marché de partenariat.
En conclusion, le texte du Gouvernement est équilibré même s'il doit être amélioré sur certains points. Ce débat sera également l'occasion d'aborder la question fondamentale du délit de favoritisme, qui constitue le noeud gordien de la commande publique et que notre collègue Bonnecarrère propose de réformer conformément à une proposition de la MCI qu'il a présidée.